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Le poids de cet oiseau-là

Publié le par Yv

Le poids de cet oiseau-là, Aline Bei, Aldeia éditions, 2021 (traduit par Anne-Claire Ronsin)

C'est une femme qui s'exprime à différents âges de sa vie de ses huit à ses cinquante-deux ans. A chaque âge, un événement marquant voire traumatisant : dès 8 ans, c'est son amie Clara qui meurt et la vie jusqu'alors insouciante, change. A dix-huit ans, elle est violée et est enceinte de son violeur. Malgré tout, cette femme avance, vit, même si la relation avec son fils est difficile.

Aline Bei est une autrice brésilienne qui signe avec ce titre son premier roman, écrit en 2017.

Il y a quelques temps, lors d'un salon presque local -Le Printemps du livre de Montaigu-, je déambulais et me fis interpeller par une jeune femme sur le stand des éditions Aldeia, et, après une discussion et des arguments convaincants, je repartis avec ce livre en main.

Première chose à noter, visible, c'est la mise en page soignée et très particulière qui souligne l'aspect poétique, qui s'affranchit des règles de la majuscule en début de phrase ou aux noms propres. En fait, on a davantage l'impression de lire un long poème qu'un roman proprement dit, même si, selon le célèbre adage, ça se lit comme un roman. Le texte est ciselé, épuré, parfois dur et tapant au plus juste :

"les femmes

violées dans les fossés et

sous les ponts

elles ne sont pas dans les livres d'histoire.

les dictateurs oui

ils ont tous un article à leur nom

une longue biographie." (p.77/78)

Je pensais avoir du mal à entrer dans ce roman, la forme poétique m'est parfois nébuleuse, et ce fut l'inverse qui arriva, j'eus même de la difficulté à en sortir, tant l'écriture happe, fascine ainsi que cette femme qui traverse sa vie sans l'imprimer, sans la marquer. C'est un portrait magnifique d'une femme qui souffre de ne pas savoir aimer, de ne pas pouvoir, d'en être empêchée depuis la mort de son amie et le viol qu'elle a subi.

Un grand merci à vous, madame, qui m'avez abordé à Montaigu, sans vous, je serais passé à côté d'un livre marquant et touchant, sensible et fort. Juste pour le plaisir et pour faire envie, voici le début de ce livre avec la pagination originale :

"monsieur Luis est un vieux sage qui sent l'herbe.

            je suis sûre que son déodorant

est vert

et son corps doit avoir au moins cent ans tellement il a des rides tortueuses

partout sur sa peau, c'est un homme

tortue." (p.11)

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Optic Squad : mission New York

Publié le par Yv

Optic Squad : mission New York, Stéphane Bervas, Sylvain Runberg, Rue de Sèvres, 2022

Optic Squad, une unité d'élite dépendant de l'ONU qui lutte contre le crime organisé. Ses agents ont des nano-caméras greffées dans leur cornée pour filmer tout ce qu'ils voient. Ils ont un soutien tactique de tous les instants. Kathryn Horst, agente, est infiltrée dans un groupe révolutionnaire pour tenter de mettre à jour les crimes et malversations de deux sœurs haut placées, notamment l'une de ses responsables hiérarchiques.

Troisième mission pour l'équipe Optic Squad, la plus dangereuse sans doute, car il s'agit d'infiltrer un groupe préparé et surtout de contrecarrer les plans de femmes de pouvoir qui ont de gros moyens pour empêcher toute tentative de déstabilisation. De plus, la mission est top secrète, seuls quelques agents sont dans la confidence. Mission Seattle et Mission Los Angeles étaient mouvementées, pleines d'actions et de rebondissements, Mission New York est dans la même ligne. Ça canarde, ça vole, ça flotte, ça court partout. Et c'est très bien, même moi qui ne suis pas un farouche adepte de la SF -la série se passe en 2099-, je lis ça très vite et j'en redemande. On en apprend également un peu plus sur Kathryn Horst, l'héroïne de la série, l'agente super-douée.

Une très bonne bande dessinée pour se distraire et passer un bon moment plein d'adrénaline -enfin, pour les héros, parce qu'assis dans le canapé, l'adrénaline fuse moins.

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Affaires Spéciales : le dossier Io

Publié le par Yv

Affaires Spéciales : le dossier Io, Hugo Tosi, Hugo thriller, 2022

Un homme court nu dans l'arrière pays niçois, semblant échapper à ses ravisseurs. Il est retrouvé quelques jours plus tard, englué à un olivier, mort d'épuisement.

La capitaine de gendarmerie Marion Barthes, des Affaires Spéciales, cette unité qui dépend directement des plus hautes autorités et chargée des dossiers sensibles, est nommée sur l'enquête. Fille du pays, partie en mauvais termes, elle revient et ce retour ne sera pas de tout repos : il lui faudra affronter sa famille et les gendarmes locaux.

Deux autres meurtres aussi cruels ont lieu dans les jours suivants. Marion Barthes est sous pression, d'autant plus que les trois victimes avaient un lien avec l’Élysée via le colonel Bonelli, le conseiller en sécurité du Président.

Il semble qu'Hugo Tosi soit le pseudonyme d'un auteur qui connaît bien les lieux de pouvoir et qui bâtit là un roman inspiré de ses expériences. Bonelli ressemblerait-il à Benalla ? Certains maniganceurs s'appellent par des noms de dieux de la mythologie : Solis, Vénus, Pluton et... Jupiter...

Hormis cela, bien sûr que rien n'est réel. Tout sort de l'esprit de l'auteur. Qui pourrait croire qu'en haut-lieu, il y ait des nantis qui se rêvent encore plus nantis, qui veulent être calife à la place du calife, qui placent leurs amis à des postes stratégiques et si possibles rémunérateurs, contre des soutiens sans faille et pécuniaires... ? Ce polar mené tambour battant, les met en scène de façon peu glorieuse. L'avidité, la soif du pouvoir et le cynisme sont élevés à un point rarement atteint.

Mais on peut aussi lire ce roman haletant comme un simple bon thriller, l'un de ceux qui, une fois commencé est difficile à refermer, qui ne baisse jamais d'intensité au long des 360 pages. Il y a certes, les magouilles et turpitudes des puissants, mais aussi des meurtres, des bassesses entre flics et des manœuvres d'intimidation. Et l'auteur a pris un soin particulier à décrire son héroïne, Marion Barthes, qui revient au pays natal dans de mauvaises conditions, en pleine séparation d'avec son mari, flic lui-aussi et avec son fils adolescent-autiste qui révélera des facettes inattendues et surprenantes qui font parfois sourire. Parce que même tendu, ce roman laisse place à des moments plus légers, bienvenus pour ne pas sombrer dans un "tous pourris" que je n'aime pas vraiment et laisser un espoir que les choses peuvent encore changer (je suis à la fois naïf et optimiste).

J'ai beaucoup aimé, c'est le genre de roman que je prête volontiers sans rien en dire pour laisser la surprise totale. Et des surprises, des rebondissements, des virages, il y en a plein qui ne nous perdent pas, au contraire, ils maintiennent nos méninges en action, jusqu'au bout, sur fond de rock métal qui colle parfaitement au rythme.

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Et toi, comment vas-tu ?

Publié le par Yv

Et toi, comment vas-tu ?, Lise Gauvin, Des femmes-Antoinette Fouque, 2022

Vivianne vient au chevet de sa mère mourante. Ces cinq derniers jours, elles les passeront l'une à côté de l'autre, la mère Marianne, réagissant de moins en moins aux sollicitations de sa fille. Dans les moments de calme, Vivianne repense à sa jeunesse, à la vie de sa mère et de sa grand-mère Réjeanne. C'est aussi l'histoire d'Anne, l'aïeule, née en France au mitan du 17ème siècle, orpheline très tôt, qui décidera, encore jeune fille de quitter son pays pour le Québec, fonder sa propre famille et construire le pays. C'est elle l'origine de cette lignée de femmes ici racontée.

Replaçons dans l'ordre : Anne née vers 1651, Réjeanne née en 1892, Marianne en 1917 et Vivianne en 1940. Dans des chapitres qui alternent, Lise Gauvin les narre, le "tu" pour Réjeanne, le "elle" pour Marianne et Anne -qui finit avec le "je"- et le "vous" pour Vivianne, sauf dans la partie où elle est au chevet de sa mère. Le tout pour un roman qui est très construit, très fluide et très beau. Elles se racontent aux mêmes âges, cinq ans dix ans, quinze ans et puis ensuite femmes mariées et mères. Et nous de constater l'évolution, le changement des sociétés, des mentalités, des mœurs. C'est aussi l'histoire du pays, de Québec que décrit Lise Gauvin de sa construction à l'époque contemporaine. Le difficile combat des femmes pour leurs droits : "Décembre 1927. Les commémorations du soixantième anniversaire de la Confédération canadienne ont eu lieu au cours de l'été, radiodiffusées à travers tout le pays. A Ottawa, un groupe de cinq femmes demande au gouvernement de préciser si le mot "personnes" inscrit dans un des articles de la Constitution à propos des postes au Sénat, inclut ou  on les femmes. La Cour Suprême, à Ottawa, se prononce par la négative." (p.39)

Un roman qui montre bien qu'un pays, contrairement à ce qui a longtemps été dit, n'est pas construit que par les hommes. Cette lignée de femmes a dû batailler pour accéder à des droits. Le roman de Lise Gauvin n'est pas revendicatif, il montre. Il décrit surtout des femmes bienveillantes, des femmes pudiques et fortes. Tout en subtilité, en sensibilité l'autrice dresse de beaux portraits. Le texte est très beau, absolument pas dépressif, même si l'on veille une mourante dans certains passages, ce sont même peut-être les plus beaux, qui bénéficient d'une police de caractère particulière. Bref, passer outre ce livre serait une erreur tant il est fin, beau et délicat.

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Mortel imprévu

Publié le par Yv

Mortel imprévu, Dominique Monféry, Rue de Sèvres, 2022

Pour échapper à un mari médecin violent, Edith Womble traverse l'Atlantique pour la Californie et part bientôt en compagnie de Hans dont elle est tombée amoureuse vers le Klondike, où des gisements d'or viennent d'être découverts. Ils s'installent avec trois autres hercheurs d'or dans une maison éloignée. Puis un hiver survient beaucoup plus précocement que prévu, les bloquant dans ce lieu. Les rapports entre eux changent jusqu'à l'inattendu, le violent...
Bande dessinée au temps de Far West qui reprend les codes de l'époque : la ruée vers l'or, la cohabitation avec les tribus indiennes, les difficiles et longs voyages et vie quotidienne. Tout cela sert admirablement le fond de l'histoire qui est basée sur la relation entre les personnages, leurs violences enfouies qui se heurtent au désir de justice légale. Car il s'agit davantage d'opposer la volonté de ne pas prendre de risque, de se faire justice soi-même à celle de laisser la société juger, de ne pas se mettre hors la loi ni d'avoir de crime sur la conscience. Les valeurs morales contre l'instinct de survie. L'histoire est forte, les personnages itou. Excellemment scénarisée, elle est haletante, ne ménage pas le lecteur qui va de tension en tension et risque la surprise à chaque tournage de page.

C'est violent, certes, mais le monde de l'époque l'était, tout comme le nôtre. Dominique Monféry met en scène un personnage de femme forte et qui ne cède pas à la facilité et à ses plus bas instincts et qui ne renonce pas. Pas si fréquent que cela dans le Far West.

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Le serpent blanc

Publié le par Yv

Le serpent blanc, Yan Geling, L'Asiathèque, 2022 (traduit par Brigitte Duzan)

Sun Likun, danseuse chinoise a sublimé par son interprétation la légende du serpent blanc. Cette légende raconte que deux esprits-serpents, le blanc et le vert ont pris forme humaine et féminine -une femme noble et sa suivante -et qu'un jeune homme a épousé la première. Lorsqu'il découvre sa vraie nature, il tente de la tuer, mais la femme retrouve sa forme serpent et s'enfuit. Sun Likun a remporté un tel succès qu'elle a dansé partout. Mais à la fin des années 60, elle est arrêtée et séquestrée par le gouvernement. Isolée, très pauvre, ne vivant que de mendicité, elle reçoit un jour la visite d'un jeune homme qui semble être haut placé.

Ce roman est présenté dans la collection Novella de Chine de L'Asiathèque qui propose également l'excellent Sur le balcon de Ren Xiaowen.

Il est écrit en trois formes distinctes, d'abord un rapport des autorités locales censées surveiller Sun Lukun, puis l'histoire vue par les personnes qui côtoient la danseuse et enfin, le récit de l'intérieur. Dès le début, le rapport officiel, une lettre au Premier ministre Zhou Enlai éclaire le lecteur sur les raisons de l'arrestation de Sun Likun, "classée élément bourgeois décadent, soupçonnée d'être une espionne internationale, déclarée séductrice contre-révolutionnaire sous des dehors de serpent" (p.15) Puis il y est fait mention de cet étrange visiteur "Revêtu d'un manteau militaire, le jeune homme en question avait une attitude arrogante et autoritaire et semblait avoir pas mal d'entregent." (p.16)

Puis Yan Geling déroule son histoire dans cette période où vouloir être libre était mal vu en Chine, ce qui n'a sans doute pas beaucoup changé. La révolution culturelle voulue par Mao conduira à des millions de morts et d'arrestations arbitraires. Chacun surveille et est surveillé, ce que Yan Geling raconte bien, grâce aux rapports des autorités mais aussi grâce à l'histoire racontée par l'entourage de Sun Likun. Lorsque dans sa partie plus intime, on sent la soif de liberté de la danseuse, la difficulté d'être une femme en Chine dans les années 60/70 : "Dans quelles mesures vais-je pouvoir explorer les diverses voies qui s'ouvrent ainsi à moi ? Est-il possible de dépasser les limites d'une existence déterminée par les différences sexuelles entre hommes et femmes ? Même si on a un utérus et des ovaires, peut-on malgré tout choisir ?" (p.83) Des questions qui se posent encore de nos jours.

Avec subtilité, Yan Geling, mèle l'histoire de la danseuse et la légende, l'actualise. C'est un très beau texte, parfois assez dur lorsqu'il décrit les conditions de vie de Sun Likun, mais cette femme ne se résigne pas, jusqu'au bout elle cherche à acquérir sa liberté et résiste au pouvoir autoritaire. Une autrice chinoise à découvrir dans ces belles traduction, maison d'édition et collection ainsi que présentation.

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La connaissance et l'extase

Publié le par Yv

La connaissance et l'extase, Eric Pessan, Ed. de l'Attente, 2018

"Un journaliste, un jour, m'a demandé si j'écrivais pour changer le monde. Surpris par la question, j'ai ri. Mon premier réflexe a été de répondre non. Puis, j'ai réfléchi, j'ai pensé au contenu de mes livres, j'ai pensé à ces ateliers que je mène un peu partout en direction de publics éloignés de la littérature, j'ai pensé à la joie de voir un môme ou un adulte touché par une phrase qu'il lit ou qu'il écrit, j'ai pensé à la façon dont la littérature a changé ma vie, alors je me suis repris, et j'ai répondu : oui." (4ème de couverture)

Un jour, dans un café, l'écrivain attablé pense pouvoir faire abstraction de l'environnement pour travailler. C'est sans compter sur un client qui gueule sur tout le monde dont on parle à la télé allumée : David Bowie qui vient de décéder, les islamistes, les politiques... "Tous, qu'ils crèvent tous !". Et le sentiment de honte de n'avoir pas réagi s'empare de l'écrivain qui sort, laissant les clients à leurs haines. Puis, la graine de la réflexion est plantée : "Comment convaincre ?" Comment combattre le racisme, l'homophobie, le sexisme, l'antisémitisme, l'intolérance, le mépris, le fanatisme... ? La lutte semble perdue d'avance, et pourtant, il faut la mener contre l'obscurantisme, les misogynies, l'endoctrinement, les préjugés, la xénophobie... Parfois c'est dur de se rendre compte que soi-même on n'est pas exempt de reproches :

"Je me sens supérieur à celui qui trempe sa moustache dans sa bière à 8 heures du matin et crie qu'il faut tuer les Arabes à l'écran d'un téléviseur. Je méprise la haine.

Je méprise le racisme.

Je méprise l'inculture.

Je méprise l'étroitesse d'esprit.

Je n'aime pas ce sentiment de supériorité que pourtant je ressens." (p.20)

Chaque mot qu'écrit Eric Pessan, je le ressens au plus profond, je crois m'entendre penser. Je ne renie rien de ce qu'il a écrit dans ce texte, je prends tout pour moi. Cette impuissance à convaincre les plus obtus que l'humanité est une. Et la force, la conviction qui m'empêche de baisser les bras devant tous les extrémismes. Seront-ce alors la connaissance et l'extase qui permettront d'ouvrir les esprits les plus fermés : "L'intelligence serait le résultat de la connaissance et de l'extase ? La tolérance serait au bout de la connaissance et de l'extase ? Aimer la littérature, le théâtre, l'art, c'est une affaire de connaissance ou d'extase ?" (p.43)

Et pourquoi et comment s'ouvre-t-on alors que d'autres s'enferment : "Pourquoi êtes-vous devenu écrivain ? j'ai répondu mille fois à cette question, j'ai dit avoir voulu imiter le plaisir ressenti à lire, j'ai dit qu'écrire ne coûtait rien alors que jouer d'un instrument de musique était trop onéreux pour ma famille, j'ai dit le désir de revanche sociale, j'ai dit l'envie d'aller là où personne de ma famille ne se trouvait, j'ai dit le plaisir, j'ai dit la joie de la langue, j'ai dit la solitude..." (p.69) Je prends également à mon compte, mais pour la lecture que j'ai cherché à varier, dans laquelle j'ai cherché la découverte des thèmes, des écritures, des horizons, des messages, habitué avant au plus vendeur, comme pour la musique, j'aime quand on invente, quand on me surprend -à ce propos, p.48, je ne sais pas si c'est voulu, mais Bashung l'a dit mot quasi pour mot dans Samuel Hall : "[tu ferais] mieux de pondre un truc qui marche."

Comment dire mieux que j'ai adoré ce bouquin et qu'il va rester longtemps à portée de main ? C'est court, c'est dense et puissant, ce sont les réflexions d'un homme devant la bêtise humaine. C'est un ouvrage indispensable, à lire et faire lire et offrir.

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Un été à Anafi

Publié le par Yv

Un été à Anafi, François-Xavier Freland, Intervalles, 2022

Antoine débarque à Anafi, une île grecque, pour quelques semaines de vacances. Il rencontre Diane, une jeune femme, serveuse dans un bar. Ils se voient régulièrement, entament une liaison qui semble pouvoir durer plus que l'été. Mais la communion des corps et des esprits est bientôt mise à mal, par la situation mondiale de pandémie, par l'afflux de touristes et par les rencontres que fait Diane qui attisent la jalousie d'Antoine.

Court roman sur la naissance d'un amour, d'un couple, les premiers moments idylliques, puis les premières tensions et incompréhensions et divergences. La différence d'âge, d'éducation, la notion de couple, de liberté viennent alimenter les conversations ou plutôt les disputes.

François-Xavier Freland bâtit son roman avec de courts chapitres, très ancrés dans la société actuelle : "... on dirait que l'urbanisation avance inexorablement, même ici, comme une sorte de rouleau compresseur, une île après l'autre. Je n'aime pas cette modernité uniformisée, Antoine. Je déteste ce monde que l'on construit, pour toujours plus de confort, plus de sécurité, de divertissement." (p.32) Ses deux héros s'interrogent sur eux, sur leur relation mais aussi sur l'état du monde et sur l'avenir, le leur, mais aussi plus largement. Et ils ne sont pas très optimistes ni pour l'un ni pour l'autre, tout en gardant espoir.

Ce très beau texte questionne le couple et la relation amoureuse qui pourraient être un socle dans ce monde qui va mal. Il peut permettre d'avancer, de rester soi-même dans un monde qui s'uniformise : "Mais ce qui m'étonne le plus, c'est le mimétisme, cette façon que la société a de nous imposer ses codes, de vouloir nous donner les clefs du bonheur. On dirait qu'il n'y a plus aucune place pour l'instinct, l'intuition, la découverte. Tout est bordé."(p.44) Et si c'était dans la relation à l'autre que l'on trouvait la force de se singulariser, de rester soi-même, de ne pas céder au conformisme ambiant ? Cultivons notre différence, c'est une phrase que j'aime bien, que je répète sans cesse aux ados qui sont à la maison et que j'essaie d'appliquer quotidiennement.

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Azucena ou Les fourmis zinzines

Publié le par Yv

Azucena ou Les fourmis zinzines, Pinar Selek, Des femmes-Antoinette Fouque, 2022

Azucena vit entre Paris et Nice, le Train Bleu qui relie les deux villes semblant être l'un de ses domiciles. A Nice elle vit avec plusieurs groupes, que l'on appellerait altermondialistes, écologistes, désobéissants, décroissants. Ils ont tous en commun de regrouper des "marginaux" autrement dit des gens qui ne veulent vivre qu'à la marge de la société, refusant beaucoup de ses dogmes.

Azucena est souvent accompagnée d'une chienne qui la suit partout. Elle rencontre Gouel le chanteur de rue, Alex, "prince des poubelles", Manu, Monique, Nadette, Siranouche.

Pinar Selek est née à Istanbul. Après un séjour en prison en 1998 pour désaccord profond avec le pouvoir, elle s'exile en France. Elle y vit aujourd'hui et enseigne à l'Université de Nice-Antipolis.

Son texte, très beau est parfois difficile à suivre, tortueux, présentant beaucoup de personnages. Mais lorsqu'il s'intéresse plus particulièrement à l'un d'entre eux, en peu de mots, Pinar Selek va au plus profond, par exemple la grand-mère d'Azucena, espagnole qui subit la guerre d'Espagne : "Les résistances. Les massacres. La fuite. Les routes. La mort. La vie. Des dizaines, des centaines de mains qu'on ne lâche pas pendant les jours que dure la Retirada, qui ne finira peut-être jamais. Les sacs qui s'allègent. Les vêtements qui se déchirent. Les estomacs qui rétrécissent. les maladies. Puis le jeune Français, Nico. Le grand-père d'Azucena. Un anarchiste au regard tendre qui avait tout lâché à Lyon pour rejoindre le mouvement révolutionnaire en Espagne. L'amour, ce miracle qui change la merde en fleur, Marisa l'avait porté sous ses côtes, à gauche, tout au long de sa vie. Nico était un homme qui semait l'espoir. Les histoires qu'il avait pu raconter à sa bien-aimée en passant la frontière française... "Je vais te montrer ça, je vais t'emmener là-bas..." Comment deviner qu'ils allaient être traités comme des pestiférés !Ils doivent avoir peur du vent qui souffle sur les fleurs de l'autre côté de la frontière. Après avoir été trimballée de-ci, de-là pendant des mois, Marisa s'était retrouvée dans un cap de concentration. Son Nico est resté dehors car il avait la nationalité française, mais Marisa avait vécu sa dix-huitième année en enfer." (p.38/39) J'avais cru comprendre qu'on appelait la France le pays des droits de l'homme, force est de constater que c'est sans doute un titre usurpé déjà en 1936 et encore davantage de nos jours.

A travers ses personnages, Pinar Selek interroge notre modèle de société, consommation à outrance, croissance infinie, pouvoir des multinationales qui veulent tout régenter, même vendre des graines de légumes ou de fruits est devenu illégal, et pourtant le réseau local garantit le goût et la qualité.

Je n'ai pas tout aimé, c'est parfois tortueux, je l'écrivais plus haut ; je n'aime pas non plus cette façon de s'interpeller : "mon+prénom" ou "mon+un petit mot doux", je la trouve artificielle et fausse en règle générale, ce qui est le comble dans cet texte. Mais hormis cela, ce texte est d'une grande beauté et d'une grande force. C'est un hymne à l'humanité, à l'entraide et à une société sortie de ses croyances extérieures qu'elles soient religieuses, économiques, politiques. Bref, une société dans laquelle l'humain -le vivant en général, animaux et végétaux compris- est le principal protagoniste. Vivre avec, dans et pour la nature.

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