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Chumbo

Publié le par Yv

Chumbo, Matthias Lehmann, Casterman, 2023

Années 1930, Belo Horizonte, Oswaldo Wallace est un riche propriétaire. Rude avec ses employés, avec ses enfants Severino et Ramires et avec son épouse. Imbu, graveleux, il n'est apprécié que grâce à son argent. Il lutte violemment contre les grévistes dans son entreprise, ceux qui demandent juste depuis trois mois à être payés. C'est le cas de Luis Rebendoleng qui peine à faire survivre sa famille.

A travers ces deux familles au passé et à l'avenir très différents, Matthias Lehmann fait vivre soixante-dix ans du Brésil. Régime autoritaire jusqu'en 45, puis démocratie avant un coup d'état et l'instauration d'une dictature entre 1964 et 1985 et enfin retour de la démocratie (le roman graphique s'arrête en 2003.

Severino et Ramires, les fils d'Oswaldo, sont très différents, le premier réservé qui deviendra journaliste puis écrivain et le second extraverti, qui prendra fait et cause pour le pouvoir dictatorial, joueur, violent, dragueur très lourd, il ressemble à son père. Les deux frères sont les principaux personnages de cette histoire qui croiseront les enfants Rebendoleng et notamment Iara qui impressionne Severino et émoustille Ramires.

Roman graphique choral assez conséquent qu'il vaut mieux ne pas trop lâcher pour ne pas se perdre dans les personnages assez nombreux. J'avoue avoir été séduit par le dessin en noir et blanc, assez libre dans son découpage : petites ou grandes cases, voire pas de cases du tout, des reproductions de journaux, des doubles-pages, des pages muettes (dont celle que je mettrai ci-dessous qui, en quelques coups de crayon montre comment une ville change).

Pas mal d'ellipses -d'où parfois cette peine pendant une ou deux pages à retrouver le fil- qui permettent de balayer l'histoire du pays. Le livre de Matthias Lehmann est très instructif, pour qui, comme moi, ne maîtrise pas du tout l'histoire du Brésil et qui suis allé vérifier ou compléter certaines informations. J'ai une petite tendresse pour Severino le garçon sensible et réservé et pour Iara, la femme qui ne s'en laisse pas compter, ce qui, à l'époque était très compliqué pour une femme souvent reléguée aux tâches domestiques et à élever les enfants. Ils illuminent et humanisent le récit. Un ouvrage qui a dû nécessiter un travail incroyable. Très bien documentée, c'est une fiction qui permet de découvrir un pays "complexe et fascinant" (4ème de couverture), de mieux comprendre la société brésilienne.

Ci-dessous, la page que j'évoquais plus haut :

Chumbo

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Portrait huaco

Publié le par Yv

Portrait huaco, Gabriela Wiener, Métailié, 2023 (traduit par Laura Alcoba)

Dans la famille de Gabriela Wiener, au Pérou, on sait que l'arrière-arrière grand-père est un huaquero, un pilleur de site archéologique de renommée mondiale, venu à Lima et à Trujillo. Il y a fait des découvertes et a semé une graine chez la jeune Maria Rodriguez qui mit au monde Carlos, l'arrière-grand-père qui ne connaîtra jamais son père.

Alors, se retrouver à Paris, au musée du quai Branly à visiter la collection Charles Wiener, le fameux huaquero fait un choc à Gabriela. Choc amplifié par le décès de son père. Elle va alors tenter de remonter son arbre généalogique en retournant au Pérou, elle qui vit désormais en Espagne.

Roman j'imagine très fortement inspiré de la vie de l'autrice, sans doute la forme roman est-elle là pour une certaine liberté de création et d'interprétation. Deux parties, d'abord celle au Pérou où Gabriela tente de comprendre comment Charles Wiener a pu y laisser un enfant illégitime et comment son père a pu, pendant des années mener une double vie ; puis la seconde : retour en Espagne auprès de sa fille, de son mari et de sa femme, car Gabriela vit un polyamour, et pas mal de questions autour de l'exil, de l'immigration, de l'amour, la fidélité...

Ce court roman est très dense, en à peine 160 pages, il évoque tout ces points, brosse un résumé de la vie de Charles Wiener, né juif autrichien en 1851, naturalisé français en 1878 après son exploration au Pérou pour le compte du gouvernement français, converti au catholicisme, puis diplomate en Amérique du sud. Ses collections sont aujourd'hui au musée du quai Branly. "L'Européen a laissé derrière lui un enfant péruvien qui à son tour a eu dix enfants, parmi lesquels mon grand-père, qui a eu mon père, qui m'a eue, moi, qui suis la plus amérindienne des Wiener." (p.35)

Il parle aussi du père de Gabriela, de sa double vie, de son autre femme et son autre fille. Puis l'autrice parle d'elle, de son foyer, du racisme dont elle souffre en Espagne, sa peau marron et son type péruvien ne passent pas auprès de tous les Espagnols. C'est usant et déprimant de se sentir rejetée uniquement sur ce genre de critères, il faut une grande force pour surmonter et même faire preuve d'humour : "Il [un ami péruvien] m'a dit, Gabriela, tu t'es rendu compte qu'on leur fait peur ? Et moi, qui n'avais pas fait attention, qui ne connaissais que le regard de mépris de la blanchité de mon pays, j'ai regardé pour la première fois les visages des hommes et des femmes espagnols qui étaient autour de moi, et j'ai dû reconnaître qu'il avait raison. J'ai vu qu'ils serraient discrètement leurs sacs. Que le bruit que nous faisions les dérangeait un peu. Et cette simple découverte m'a remplie d'un petit pouvoir inattendu." (p.127)

Il y a de très belles pages sur l'amour -fût-il poly-, sur le deuil, la famille. Des questions ou réflexions importantes et sur ces sujets et sur le racisme, le sexe, le désir, l'héritage colonial. Bien que cette histoire se passe dans un autre pays colonisateur, il a de fortes similitudes avec la France, son passé, ses colonies, le racisme qui ose désormais se montrer, qui a pignon sur chaîne de télé et journaux, l'homophobie, la peur de l’autre, de la différence... Gabriela Wiener écrit un roman qui remue, qui pose des questions surtout celle sur notre humanité, notre humanisme et notre envie de vivre ensemble et de découvrir autrui.

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CAT 215

Publié le par Yv

CAT 215, Antonin Varenne, La manufacture de livres, 2016 (J'ai lu, 2018)

Marc répare tout et n'importe quoi. Il a longtemps vécu en Guyane. Il peine à trouver du travail depuis son retour en métropole et s'ennuie malgré la présence de sa femme et de ses deux enfants. Le couple galère, est toujours à court d'argent. Aussi, Lorsque Jules, son ancien patron par la faute duquel ils ont été obligés de quitter la Guyane, l'appelle et lui propose pas mal d'argent pour venir réparer une pelle Caterpillar 215, moteur cassé, coincée dans la jungle, Marc accepte.

Très court roman, presqu'une nouvelle, 120 pages en caractères assez gros et aérés. Mais rien ne manque, Antonin Varenne va au plus court. Il décrit la jungle, les deux hommes avec lesquels Marc va bosser : un ancien légionnaire qui se promène sur un fil prêt à tomber dans la folie et un mystérieux Brésilien, taiseux et pas forcément moins menaçant.

Le roman rend bien l'atmosphère lourde et pesante, poisseuse. Humidité qui colle aux corps. Climat et environnement qui rendent fous, alcool et drogue en sus pour perdre encore davantage l'esprit ou pour, au contraire, oublier tout cela et se concentrer sur le travail. La tension est palpable, on peut presque la toucher. Chaque homme se jauge, ne se déplace jamais sans une arme. Les face-à-face sont tendus. Le légionnaire peut exploser à n'importe quel moment. Pour qui a vu Apocalypse Now, on est un peu dans le même registre : tension, chaleur, humidité, violence latente qui peut éclore à chaque moment, animaux et hommes dangereux, nature hostile... Bref, tout pour faire un très bon roman qui débute ainsi :

"J'étais dans le garage quand le téléphone a sonné, j'ai essuyé mes mains sur un chiffon et attrapé l'appareil au milieu des outils. Quand j'ai raccroché, j'ai regardé ma voiture capot ouvert, j'ai fait le calcul des réparations, de ce que ça coûtait d'être fauché, de n'avoir que du matériel qui tombait en rade. Il fallait trois ronds, toujours, on en était là. Trois ronds." (p.7)

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Les féroces

Publié le par Yv

Les féroces, Jedidiah Ayres, Les Arènes, 2018 (traduit par Antoine Chainas)

Politoville, coin perdu du Mexique, même pas noté sur les cartes. Ceux qui vivent là, dans ce désert inhospitalier sont en pénitence. C'est pire que l'enfer. C'est un repaire de criminels, de prostituées kidnappées et violées très jeunes puis laissés dans ce coin, dans des masures glauques et qui ne sont là que pour assouvir les désirs de ces hommes rudes et violents, rarement sobres. L'alcool, la drogue font des ravages sur la santé physique et mentale. Aucun espoir d'en sortir, tout autour c'est le désert à perte de vue. Jusqu'au jour où un gringo, un peu moins camé décide de s'enfuir avec une fille.

Très court roman et heureusement, car il est noir, du noir le plus profond, du noir absolu anishkapoorien, vantablackien. Le texte démarre avec de courtes phrases, rapides, sur un mode oral. C'est le futur évadé qui s'éveille. Cette première partie est écrite à la deuxième personne. C'est dur. La tension est palpable, tellement forte qu'on pourrait la toucher. La vie à Politoville est pénible, on y survit à peine : "Pieds nus, tu longes l'unique route du patelin. Tu fais de ton mieux pour extraire tous les nutriments possibles de ta clope. La carcasse d'un chien mort la veille a disparu du bas-côté où elle reposait. Ne surtout pas manger de ragoût chez Ramón aujourd'hui." (p.15)

La seconde partie semble moins dure au départ : une femme et son fils, dix ans après, retournent dans le désert. Elle sera finalement encore plus dure que la première, sans espoir. La violence, la vengeance mène aux pires des exactions. Et la troisième partie fait le lien entre les deux premières, car effectivement en débutant la deuxième partie, on se demande si on est dans un roman ou des nouvelles, mais assez vite on comprend le lien que la fin du roman explicite plus en détail.

Il vaut mieux éviter d'être au trente-sixième dessous pour lire ce roman, ça évitera de descendre encore d'un niveau. Malgré tout, ce texte que où la violence transpire à chaque mot évite les descriptions glauques, les coulées d'hémoglobine. Quelques descriptions sont bien présentes et difficiles, mais le plus dur est suggéré, surtout parce qu'on le visualise.

C'est un texte nerveux, dense, écrit avec un minimum d'effets. Du direct, du franc. Du coup de poing. Ça cogne, ça fait de bruit et ça ne laisse pas insensible. Cent-vingt pages que l'on peut choisir de lire d'une traite, en apnée ou par petits bouts pour reprendre son souffle.

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Palace du Sillon, chambre 607

Publié le par Yv

Palace du Sillon, chambre 607, Hervé Huguen, Palémon, 2023

Le corps de Margot Guimara gît, presque totalement dénudé, sur le sol de la salle de bains de la chambre 607 de l'hôtel Calas, un palace, de Saint-Malo. Son mari, hagard, vient de prévenir la réception qu'elle s'est suicidée pendant qu'il dormait. Margot n'en est pas à sa première tentative de suicide. Alcoolique, dépendante aux médicaments, elle traîne un passé douloureux.

Les policiers et la médecin du SAMU arrivés sur les lieux peinent à croire la version du mari. Certains détails ne collent pas. Détails qui, confirmés par l'autopsie et la police scientifique, impliquent l'ouverture d'une enquête. Le mari, Damien Bassancourt est un homme politique en vue. C'est le commissaire Nazer Baron qui dirigera l'enquête.

Qu'a-t-il bien pu se passer dans cette chambre du palace pendant l'heure où le couple était seul ? La version de Damien Bassancourt ne varie pas d'un iota : alcool pour Margot qui en arrivant était déjà ivre, dispute, diverses chutes pour elle dues à sa titubation... Tout pousse à croire à la version du mari, le suicide. Les interrogatoires des témoins (réceptionniste et barman), des amis du couple, des personnes les connaissant confirment les addictions de Margot, ses sautes d'humeur, ses emportements, ses amants. Mais les preuves scientifiques sont là, incontournables, qui prouvent en partie les dires du mari mais infirment les autres.

La patience, l'écoute et le sens du détail et de la déduction de Nazer Baron sont mis à rude épreuve. Le travail de fourmi des policiers, dans les rues de Saint-Malo, avec les moyens techniques actuels lui fournissent de la matière.

Sans doute un peu long dans les premières pages qui rappellent de nombreuses fois les faits, si bien qu'on a le détail en tête, ce roman policier penche vers Simenon pour l'ambiance, la stature de Baron, mais vient aussi inévitablement à l'esprit Gaston Leroux et Le mystère de la chambre jaune et un huis-clos mystérieux.

Hervé Huguen construit son roman habilement et subtilement, embrouillant le lecteur qui ne sait plus qui ou que croire. C'est fin, bien amené et comme toujours avec Nazer Baron, un très bon moment. Et puis, un commissaire qui écoute Bill Deraime (Un dernier blues avant de partir) est forcément un type bien.

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Du bout des doigts

Publié le par Yv

Du bout des doigts, Cyril Bonin, Bamboo, 2023

Années 60, Paul est peintre, artiste-peintre. Il aime la nouveauté, se poser sans cesse des questions sur sa pratique. Avec ses amis de l'école d'art, ils refont le monde de l'art qui est en plein bouleversement, avec notamment le principe du concept, les œuvres de Marcel Duchamp. Mais Paul n'est pas heureux. Il n'y parvient pas. C'est un pessimiste qui ne voit que le pire, le mauvais côté des choses.

Sa rencontre avec Mathilde, une coiffeuse va bouleverser sa vie et son art. Une galerie le contacte pour une exposition, il doit faire vingt tableaux dans les trois mois à venir.

Voilà une bande dessinée que j'ai prise avec juste l'envie de passer un bon moment et de découvrir un auteur -qu'il me semble avoir déjà lu, mais impossible de m'en souvenir- et qui se révèle bien plus dense et profonde que ce que j'imaginais. C'est donc une heureuse surprise. D'abord les dessins sont très beaux, avec des couleurs assez vives, des orange et verts, même si les fonds souvent ocres les atténuent un peu. J'aime beaucoup, Cyril Bonin nous met dans l'ambiance années 60 tout de suite et c'est un vrai plaisir que de tourner les pages.

Ensuite, le fond est une réflexion ou des réflexions devrais-je écrire, sur le monde de l'art, sur la création :

"La nature se développe au petit bonheur la chance, au hasard... Elle tente des choses, essaie, se trompe, recommence... Alors qu'au contraire, au commencement de toute œuvre d'art, il y a une intention, une idée... un concept ! C'est vers cela qu'il faut aller... le concept !" (p.5)

"L'art n'est pas une représentation du monde, il est le monde ! Le bit de l'art, c'est l'art !" (p.6)

Qui décrète que l'on est artiste ? Comment éviter les étiquettes qui rétrécissent le travail ? L'art est-il un travail ? Bref, plein de questions auxquelles l'auteur n'apporte pas forcément de réponses, qui amènent le lecteur à se les poser et à réfléchir. Et en poussant le raisonnement : est-ce qu'une œuvre d'art doit plaire ? Choquer ? Interpeller ?

Il y a aussi toute une partie sur le bonheur. Qu'est-ce qu'être heureux ? Est-ce matériel, spirituel, philosophique... ? Peut-on être heureux en étant éternellement insatisfait ? En se remettant systématiquement en question ? Le bonheur se décrète-t-il, se construit-il ? Est-il le même pour tous ? Encore une fois Cyril Bonin n'apporte pas de réponse, y en aurait-il une seule d'ailleurs ? Il met les questionnements de ses personnages sur la table et au lecteur de s'en saisir.

Un album surprenant parce que bien plus profond qu'il n'y paraît. Une très belle découverte.

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Sortilège de la nuit des temps

Publié le par Yv

Sortilège de la nuit des temps, Gérard Chevalier, Palémon, 2023

Paul, veuf depuis trois ans, et nouvellement au chômage, pour cause de fermeture de la maternité dans laquelle il travaillait depuis de nombreuses années, s'ennuie. Il visite souvent son fils et sa belle-fille, maraîchers.

Une nuit, à minuit pile, il s'éveille, et voit un homme accroupi au bout de son lit. L'homme sent très mauvais, ne comprend pas ce que Paul lui dit et son physique s'approche davantage du préhistorique que de l'homme dit moderne. Au réveil, Paul penche pour un rêve éveillé, mais la nuit suivante, à la même heure, l'homme revient...

Gérard Chevalier délaisse pour un temps le roman policier pour un roman fantastique, dans lequel ses talents de raconteur d'histoire et son humour persistent. Et voici son héros, cinquantenaire banal, plongé au cœur de la Préhistoire, aux côtés de Néandertaliens. Toutes les lectures et tous les films sur ce thème sont remontés de La guerre du feu, à Retour vers le futur en passant par Les visiteurs et les livres de Barjavel et autres... Gérard Chevalier écrit des livres positifs, des livres qui ne stressent pas ni n'angoissent les lecteurs. Il y a du suspense mais pas de tension, beaucoup d'humour et d'humanité, car il aime profondément les personnages qu'il crée.

Solidement documenté, son roman fait revivre un groupe de Néandertaliens, assez loin de l'image qu'on peut en avoir de brutalité, violence. Certes, ce ne sont pas des tendres, mais comment pourraient-ils l'être lorsqu'il faut côtoyer des animaux énormes et voraces et lorsqu'il faut chasser pour nourrir le clan ? Même si c'est avant tout un roman de divertissement, il est difficile de ne pas faire le parallèle entre la violence préhistorique et celle qui a cours de nos jours, entre la vie de clan et celle totalement individuelle que nous vivons actuellement... et l'entraide, la communauté... Loin de moi l'envie d'aller chasser avec des armes aux pierres polies -et l'envie de chasser tout court-, mais Paul semble s'y trouver pas mal.

Une lecture agréable et décalée, drôle et humaine, bien écrite et légère qui débute ainsi :

"La sensation d'une présence dans sa chambre mobilisa ses sens instantanément. Une odeur puissante, indéfinissable, et le bruit d'une respiration aussi saccadée que la sienne provenait d'un angle de la pièce, à côté de la coiffeuse. Il chercha précipitamment l'interrupteur de la lampe de chevet et, par énervement, mit du temps à faire jaillir la lumière. Un cri guttural surgit d'une forme curieuse située dans la zone d'ombre délimitée par l'abat-jour." (p.13)

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Le Schpountz

Publié le par Yv

Le Schpountz, Serge Scotto, Eric Stoffel, Efix, Bamboo, 2017

Irénée s'ennuie dans l'épicerie de son oncle, près de Marseille. Son oncle, c'est lui qui l'a élevé avec son frère Casimir à la mort de leur père. Mais Irénée, grand dadais naïf et gaffeur ne rêve que de cinéma. Aussi lorsque qu'une équipe vient faire des repérages pour tourner une version de Manon Lescaut, Irénée va-t-il la voir. Pour ce jouer de l'échalas pas très modeste qui se voit déjà star, l'équipe lui monte un canular : elle lui signe un faux contrat pour un futur film Le Schpountz, ce terme désignant un homme qui raisonne convenablement sauf lorsqu'il s'agit de cinéma où il se voit star. Mais Irénée, véritable Schpountz y croit et monte à Paris.

L’œuvre de Marcel Pagnol mise en bande dessinée ça ne peut qu'être de grands moments. Le Schpountz, je me souviens de ce film avec Fernandel et cette célèbre tirade "tout condamné à mort aura la tête tranchée" dite à la manière de Cyrano, en plusieurs versions selon les sentiments joués. Le dessin d'Efix est vif, virevoltant, drôle et rajoute une touche d'humour dans le scénario déjà bien pourvu. J'aime beaucoup Efix et je tiens sa trilogie Putain d'usine et Tue ton patron pour l'une des grandes réussites de la BD. Il y a aussi ça et là des clins d’œil (par exemple des soldat romains sur un plateau de tournage, qui ressemblent étrangement à ceux qu'on croise dans Astérix) et c'est surtout un bel hommage au cinéma des débuts. Bref, une bonne histoire légère et drôle, qu'on lit avec l'accent évidemment.

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La clinique de l'enfer

Publié le par Yv

La clinique de l'enfer, Gérard Chevalier, Palémon, 2023

Pierre Le Paugam est victime d'un AVC et soigné dans une clinique de Perros-Guirec. Ce trentenaire survolté, architecte a pété les plombs lorsque sa compagne l'a quitté, se mettant à boire plus que d'habitude, augmentant sa consommation de cigarettes et gérant assez mal le stress de son premier gros chantier. Il se réveille partiellement amnésique et privé de ses repères. Fabienne, sa belle-mère est sa seule visiteuse, son père avec lequel il ne s'entendait pas est à l'étranger. Pierre tombe très vite sous le charme de Marie l'aide-soignante qui s'occupe de lui. Puis, un jour, il surprend une conversation et Pierre soupçonne alors un effroyable trafic qu'il va tenter de mettre au jour.

Pour un retour de vacances tranquille, une réédition d'un polar paru en 2020, sous le titre Au Vent Cristallin (AVC, donc) situé dans une région qui semble avoir eu beaucoup de succès cette année, au moins touristiques, peut-être pas météorologiques.

Une enquête pas banale menée par un convalescent très diminué par un AVC qui se déroule pour sa très grande majorité dans les couloirs d'une clinique. Gérard Chevalier joue avec les codes et les styles, un peu d'humour, de l'action -au ralenti, rééducation oblige, on pourrait presque revoir la scène de poursuite d'OSS 117, Rio ne répond plus-, du romantisme, du suspense, ... Il écrit un roman dans lequel on ne s'ennuie pas une seconde. Pas le temps. Les bons sentiments cohabitent avec les pires, les gentils avec les méchants, comme dans la vraie vie.

L'humanité, la tolérance et la découverte de l'autre sont largement répandus dans les lignes. Chaque personnage a sa part d'ombre, son jardin secret. La Bretagne est là également dont les paysages apaisent. Et le travail des soignants y est célébré, les chirurgien(ne)s, mais aussi infirmières, aide-soignant(e)s, kiné... tout le personnel médical et para-médical, celui qui a été encensé et applaudi pendant les confinements et qui n'a pas vu son statut changer depuis.

Ce qui fait qu'on ne lâche pas le livre de Gérard Chevalier, c'est qu'on ne sait jamais vraiment si Pierre Le Paugam est dans le vrai, si ses doutes seront avérés, s'il ne se fait pas un film pour occuper ses longues journées, si même il ne rêve pas après son accident. Le romancier entretient ce suspense jusqu'au bout et n'hésite pas à en rajouter pour finir en apothéose. Et dans les souvenirs de Pierre qui lui reviennent, des vers de Verlaine -entre autres-, un peu de poésie dans un polar, ça ne peut pas faire de mal.

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