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36 heures de la vie d'une femme (parce que 24, c'est pas assez)

Publié le par Yv

36 heures de la vie d'une femme (parce que 24, c'est pas assez), Agnès Bihl, Éd. Don Quichotte, 2013....

Agnès Bihl est chanteuse. Elle vient de sortir son dernier album, qui porte le même long titre que ce recueil de nouvelles. Et puis, elle se dit qu'un album, c'est bien mais qu'un album, plus un livre qui reprend les titres et les thèmes des chansons, c'est encore mieux !

Emballé on l'est dès le titre (référence, est-il besoin de le rappeler à Stefan Zweig), et ça continue du début à la fin. Le début, parlons-en : avant chaque départ de nouvelles, Agnès Bihl écrit, en exergue, un mot (ou plusieurs) en rapport avec le thème évoqué et sa (ou leurs) définition(s) réelle(s) et inventée(s). Souvent drôles, comme l'ensemble du livre d'ailleurs. l'auteure oscille entre humour, tendresse, mélancolie, l'amour, la vie, la mort, tous les thèmes sont abordés. Ce qui est vraiment plaisant, c'est le ton général du recueil : Agnès Bihl joue avec les mots, les expressions qu'elle détourne ("De toute façon je le connais, il a de la fuite dans les idées", p.14), les titres de livres, de films ou de chansons ("Ce n'est pas tous les jours facile d'être une femme libérée... d'ailleurs je suis libre tous les soirs.", p.12/13). Les nouvelles ont une chute inattendue et drôle, ou sont une tranche de vie. Elles mettent en scène des gens normaux, des blaireaux, des cons et des pimbêches, des filles seules désespérées de l'être, des dragueurs, des cocu(e)s -tiens, à ce propos, j'ai beaucoup ri en voyant la définition du cocu selon une des héroïnes d'A. Bihl :"Et puis, très honnêtement, un cocu, qu'est-ce-que c'est ? C’est juste un échangiste qui s'ignore, voilà tout." (p.90)-, une femme anti-mariage pour tous, un psy et même un fœtus pour la nouvelle la plus tendre, celle dans laquelle A. Bihl prend le moins de distance avec ses personnages, La plus belle, c'est ma mère. D'autres nouvelles sont plus dures, comme Insomnie, ou comment être indifférent à ce qui se passe chez ses voisins ou Le baiser de la concierge, très émouvante et révoltante et la violente Bon dieu, mon vieux. En tout 17 nouvelles, en comptant le Journal à bord de l'écriture qui reprend la genèse du livre et des nouvelles menée en même temps que les concerts et la fin de l'album.

Difficile de dire quelles nouvelles ont ma préférence, car au fur et à mesure que je les lisais, je les cochais toutes comme telles. L'écriture de l'auteure, ses ("mauvais") jeux de mots devant lesquels, selon ses principes, elle ne recule jamais -surtout ne cédez pas à la facilité des bons jeux de mots, gardez vos principes, les mauvais sont ceux qui me font le plus rire : "Cette fois je le jure, plus jamais je ne boirai une goutte d'alcool, croix de bois-croix de fer, si je mens, je vais prendre une bière ! Déjà que fumer tue... mais si en plus le bar t'abat, ..." (p.74)-, l'angle délibérément humoristique qui n'empêche ni la profondeur ni les questionnements, la brièveté des histoires sans frustration d'en quitter les protagonistes, tout me sied, tout me plaît. 

Le genre de livre qu'on peut entamer avec le moral un peu bas et qui le remonte illico. Le genre de livre qu'on garde pas loin de soi, parce que relire un petite nouvelle de temps en temps, ça ne fait pas de mal, au contraire. Me reste plus maintenant qu'à écouter le disque d'Agnès Bihl, ce que j'ai fait pour La sieste crapuleuse en allant directement sur le site de l'auteure-chanteuse Agnès Bihl

Merci Inès (tu as raison, ça me va parfaitement, j'en redemande même !)

 

rentrée 2013

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Françoise Dolto, la déraison pure

Publié le par Yv

Françoise Dolto, la déraison pure, Didier Pleux, Éd. Autrement, 2013...

En reprenant les correspondances de Françoise Dolto, ses livres, ceux de ses proches, son fils Carlos notamment, Didier Pleux décortique le raisonnement et le chemin qui a mené la jeune Françoise Marette, jeune fille de bonne famille, milieu aisé, protégé en ce début de 20ème siècle, adepte très tôt de la psychanalyse, père très conservateur, proche de la droite extrême de l'époque (Françoise fréquentera les Maurras et Léon Daudet), à édicter des hypothèses qui deviendront des règles, bases de l'éducation de nos enfants depuis lors. Qui dans ma génération (40/60, je tape large) n'a pas entendu tout au long de son adolescence et des années suivantes qu'il fallait intégrer et appliquer les principes de Dolto ?

Loin d'être un doltolâtre, je ne suis pas non plus de ceux qui l'abhorrent et rejettent tous ses apports. Néanmoins, je me pose une question depuis très longtemps : comment, une personne aussi intelligente et instruite soit-elle, peut-elle énoncer des hypothèses, seule, qui seront ensuite reprises comme paroles d'évangiles par d'autres ? Je reste persuadé que si Dolto a ouvert les yeux de beaucoup sur l'enfant et sa personnalité, elle n'a pas fait que du bien, ses théories dérivant dangereusement vers l'enfant-roi. Parlementer, certes, expliquer, pourquoi, pas, de temps en temps, mais des décisions parentales qui limitent, interdisent ou punissent me paraissent utiles, nécessaires et parfois saines. Ne pas frustrer n'est pas pour moi un principe d'éducation. J'entendais d'ailleurs l'inverse il n'y a pas très longtemps, mais j'ai oublié qui l'a dit (ne serait-ce pas Marcel Ruffo ?) : "Frustrez vos adolescents, ils vous remercieront", des études tendant à prouver que les ados non frustrés ont tendance à se réfugier plus facilement dans les addictions diverses.

Dider Pleux, psychologue, spécialiste de l'éducation des enfants, se penche sur le cas Françoise Dolto. Il énonce que comme Freud, elle a émis des avis qui se veulent désormais des dogmes. Il se fait évidemment étriller par les partisans des deux. Et pourtant, la contradiction me paraît saine, elle devrait nous permettre de décortiquer le travail des uns et des autres et d'en tirer le meilleur pour nous et nos enfants. On reproche à l'auteur de s'en prendre à la vie de F. Dolto, c'est vrai. Est-il utile de savoir qu'elle a frayé avec l'extrême droite, qu'elle a travaillé avec Alexis Carrel, eugéniste, partisan du gazage des handicapés, ardent collaborateur pendant la guerre, et que son comportement sous Vichy peut être mal interprété puisqu'il est trouble ? Est-il nécessaire de la contredire sur son enfance qu'elle dit avoir été traumatisante alors, que lettres à l'appui, D. Pleux dit qu'elle fut plutôt une enfant préservée, écoutée dans une famille aimante ? Je ne sais pas, mais cela peut aider à comprendre son cheminement, et pourquoi nier la réalité pour elle alors que d'autres n'ont pas eu cette chance ? 

D. Pleux explique qu'elle se crée sa propre réalité à partir de sa psychanalyse : elle se focalise sur ce qui n'a pas été dans son enfance, reste bloquée dessus pour ensuite reconstruire sa réalité à elle, celle qui colle à ses idées. En France, "si le réel donne tort à l'idée, alors on change de réel afin de conserver l'idée à laquelle les idéologues vouent un culte ! " (Michel Onfray, dans la préface, p.5). Et toutes ses interventions sont ensuite basées sur ce réel qu'elle s'est recréé : elle pense en opposition à sa mère et son père à qui elle reproche maintes et maintes choses. Mais d'un cas on ne peut faire généralité. Et non, la crise d'adolescence n'est pas un passage obligatoire (même si cette période n'est pas aisée, rien n'empêche qu'elle se passe relativement paisiblement, ce que je remarque de plus en plus chez moi et autour de moi (pour le moment) étant parent d'ados et amis de parents d'ados plutôt sereins.

Un bouquin utile, sans doute excessif parfois, qui plutôt que de créer la polémique devrait inciter au débat d'idées entre psychologues et psychanalystes, et pourquoi pas, nous parents et enfants si nous ne sommes pas oubliés.

Merci Gilles

 

rentrée 2013

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L'ange gardien de Montevideo

Publié le par Yv

L'ange gardien de Montevideo, Felipe Polleri, Éd. Christophe Lucquin (traduit par Christophe Lucquin)....

Sorte de journal tenu à la fois par Néstor qui se croit un concierge suppléant et qui est vu par les propriétaires de la résidence comme un idiot, un simple d'esprit que sa mère, femme de ménage laisse à l'accueil le temps de vaquer à ses occupations professionnelles et par un locataire, l'écrivain du 101, qui n'aime rien moins que de déranger les propriétaires.

Petit texte accompagné de dessins, les dossiers de Néstor, qui flirte avec l'absurde, le surréalisme, l'hallucination, le rêve voire le cauchemar. Chaque chapitre daté est une petite histoire, elles se relient entre elles. Néstor est le bouc émissaire des propriétaires, celui qu'on aime insulter, sur lequel on aime passer ses nerfs, "l'idiot du village» comme l'on trouve dans les histoires, celui qui en l'abaissant permet aux autres de s'élever en théorie au moins :

"Je les entends :

L'endormi, chuchotent-ils

Le bossu.

Le demeuré

La marionnette, crient-ils. Tout ça parce que quand je dors, j'ai l'air d'une marionnette en bois. Nous les Ordinateurs, nous savons que le Paradis sur terre n'existera jamais. Humilier les autres, surtout ceux qui sont sans défense, surtout les concierges, surtout les attardés, c'est le besoin le plus fort de l'espèce humaine. Ils pourraient vivre sans concierge. Ils ne peuvent pas, ne pourront jamais vivre sans les humilier continuellement : l'idiot, le bossu, l'endormi, l'abruti..." (p.22)

Néstor est "un ange novice, né de la douleur du monde pour souffrir et être puni" (4ème de couverture), un ange salvateur qui absorbant les malheurs et la méchanceté des Hommes permet à iceux de vivre sans scrupules et sans remords.

Quatre parties dans ce livre, la première sous forme de journal, la deuxième très courte, intitulée Concours d'opposition est plus dure, assez étonnante, et on revient à une troisième partie-journal, puis à l'ultime, les dessins.

Pas très évident de parler de ce livre, comme souvent chez Christophe Lucquin qui a le don de dénicher des textes originaux, qu'en plus, cette fois-ci il traduit, et bien ficelés. Si vous aimez être surpris, sortir des sentiers battus, laissez-vous faire par Felipe Polleri et par les livres édités dans cette belle "petite maison [qui] deviendra grande" comme le dit lui-même l'éditeur sur son site, et qui propose toujours de participer à son expansion sur kisskissbankbank, plate-forme de financement collaboratif. Faites-vous votre idée...

rentrée 2013

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Gwaz-Ru

Publié le par Yv

Gwaz-Ru, Hervé Jaouen, Presses de la cité, 2013...,

Nicolas Scouarnec, dit Gwaz-Ru, l'homme rouge en rapport avec ses idées politiques naît au début du 20ème siècle. Il quitte tôt la ferme familiale pour tenter sa chance en ville, à Quimper, maçon, encouragé par un maçon communiste qui l'enrôle au parti. Mais Gwaz-Ru est une forte tête et obéir aveuglément lui semble insupportable. Néanmoins, il continue à frayer avec le PC, travaille sur les chantiers et rencontre Tréphine qui deviendra sa femme. Lorsque l'opportunité de retourner travailler la terre se présente, Gwaz-Ru et Tréphine n'hésitent pas, ils partent pour Goarem-Treuz, une ferme dans laquelle ils passeront une partie de l'entre-deux-guerres et le conflit de 39/45. Ils fondent une famille nombreuse et vivent la vie de nombreux paysans de l'époque.

Hervé Jaouen commence cette histoire à la fin de la Première Guerre et la finit (provisoirement, car une suite est prévue) en 1944, à la libération de Quimper et des environs. Comme d'habitude avec lui, ses personnages sont forts, aux caractères bien trempés, totalement ancrés dans leur terre natale. Dire de Gwaz-Ru qu'il est têtu serait un pléonasme, il est Breton, ça devrait suffire pour connaître son entêtement, son côté obtus et rigide et indépendant. C'est un beau personnage, un patriarche qui ne s'en laisse pas compter, mais Hervé Jaouen n'en a pas fait un tyran : il règne sur sa maisonnée, c'est à la fois une réalité et une tromperie ; certes, il dirige, prend des décisions, mais Tréphine est omniprésente, et si dans certains romans ou films, on doit deviner que derrière l'Homme se cache la Femme, là Tréphine n'est absolument pas en retrait. L'auteur en fait une femme douce, travailleuse et aimante pour son mari et ses enfants, mais au caractère assuré et assumé qui ne se prive pas de dire à qui de droit ce qu'elle pense, ce que d'ailleurs Gwaz-Ru accepte et aime aussi chez elle.

Souvent chez Hervé Jaouen, je trouve des portraits jouissifs, ce roman ne fait pas exception :

"Un nommé Fichou, une espèce de gnome, batracien binoclard mâtiné de pécari : une figure plate de crapaud, mais plantée d'un long et gros nez recourbé comme une trompe qui touchait sa lèvre supérieure. [...] Dans le civil, contrôleur des impôts, Fichou, de derrière ses culs de bouteille, fixait sur vous un regard de Méduse, vous écoutait parler..." (p.117)

L'écriture est truculente, tout à fait adaptée au parler franc et direct des paysans de l'époque (enfin, ce que j'en imagine, puisque je n'étais point né), et si elle fait la part belle aux protagonistes, elle n'oublie pas de parler du pays, de la Bretagne, présente dans toutes les pages, à la fois par son paysage, par son climat et sa langue, le breton que parle une grande partie des intervenants, Gwaz-Ru en premier. 

Pour être très franc, ce roman n'est pas mon préféré de l'auteur, le genre saga quand bien même il se passe en Bretagne n'est pas vraiment mon truc, je me suis même demandé plusieurs fois pourquoi je continuais à le lire, mais j'étais bien incapable de m'arrêter et même survoler comme je peux le faire parfois m'était difficile. Je n'ai donc point boudé mon plaisir et ai humé profondément l'air breton qui devait passer entre les pages, dans les mots de Gwaz-Ru et Tréphine et dans l'écriture d'Hervé Jaouen, toujours au diapason des histoires qu'il raconte avec talent.

Voyez ce qu'en pensent d'autres lecteurs, Cécile (des huit plumes), Claude

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Les faibles et les forts

Publié le par Yv

Les faibles et les forts, Judith Perrignon, Stock, 2013

Louisiane, 2010, les flics font irruption dans une maison d'une famille noire ; ils mettent tout sens-dessus-dessous, fouillent à corps Marcus, le jeune homme de dix-sept ans, l'aîné de la famille qui compte aussi deux autres garçons et deux filles, la mère et la grand-mère. Comme depuis toujours, les noirs des États-Unis sont une cible privilégiée, les ados en particulier. Mary Lee, la grand-mère raconte aussi son enfance, dans les années 40/50, lorsque la ségrégation était encore très présente, quand suite à l'ouverture des piscines aux noirs, en 1949, la ville de Saint-Louis vécut une émeute. Les deux périodes se relieront tragiquement.

Un bouquin extra qui commence comme un dialogue par chapitre interposé. La grand-mère commence à parler à Marcus son petit-fils, puis suivent Dana, la mère, les frères et sœurs de Marcus et Marcus lui-même. Puis, on remonte 60 ans en arrière pour vivre les émeutes de Saint-Louis, Missouri, lorsque Mamy Lee était jeune fille, avant de revenir à aujourd'hui pour une tragédie qui sera expliquée par le passé. Ce qui fait la force de ce livre, c'est bien sûr le thème qu'il traite : le racisme, la haine de l'autre, sujet qui malheureusement sera toujours d'actualité je le crains. Et ce n'est pas l'époque actuelle qui est la plus tolérante, chaque jour l'actualité nous montre un faits divers ou des phrases des uns et des autres attisant la haine et les peurs. Judith Perrignon écrit là un vrai roman américain comme aurait pu le faire par exemple et sans comparaison Toni Morrison (le peu que j'ai lu d'elle m'est revenu en mémoire à la lecture de ce roman). Elle dresse le portrait d'un jeune noir de maintenant vu par les yeux de sa grand-mère : "Tu vois bien comment c'est dans ce pays, comment fait la police, et puis les juges ensuite. Tu l'attends on dirait. Tu t'habilles déjà comme si tu étais là-bas [en prison]. Avec ton pantalon qui laisse voir ton cul, tu plaides coupable. Tu sais ce que ça veut dire, là-bas, en prison, ce pantalon qui tombe ? Bien sûr que tu le sais. Mon cul est à prendre, c'est ça que ça veut dire. Tu veux que quelqu'un s'occupe de ton cul en prison, Marcus ? Oh, boy ! J'ai honte. Envie de te battre. Tu ne comprends pas que tu ressembles à ce qu'ils pensent de toi, à ce qu'ils attendent de toi, que tu fais mal aux tiens, à ceux qui sont là comme à ceux qui sont morts !" (p.12/13) "C'est tout ce que je vous demande, mes enfants, tenez-vous droits. Tiens-toi droit, Marcus, ne donne pas à ceux qui nous méprisent depuis la nuit des temps de quoi justifier encore cette vieille haine contre nous." (p.17)

Les personnages sont formidables, on les voit même s'ils ne sont pas décrits physiquement, on les sent vivre et vouloir se battre pour montrer qu'ils existent, même quand comme Dana la mère, ils sont fatigués de toujours lutter. Mon seul bémol est ma difficulté du départ à me retrouver dans tous les prénoms énoncés qui s'estompe assez vite, puisque chacun s'exprime à tour de rôle.

La force de ce texte tient aussi au style, à l'écriture de Judith Perrignon. Les narrateurs alternent, chacun racontant sa vision des faits, de la vie. Les phrases sont longues, très ponctuées, parfois des bribes de dialogue s'y insèrent.  Une longue mélopée. Une supplique. Une prière d'une grand-mère à son petit-fils. Elle varie aussi les styles dans les différentes parties, entre dialogues, témoignages (celui du sauveteur est magnifique, lourd, insupportable et d'une beauté et d'une profondeur rares), récits. Évidemment, tout cela n'est pas très joyeux, peu de place est faite aux sourires ou aux rires, sûrement parce que la famille de Marcus a peu de raison de se réjouir de la vie qu'elle mène. Un très beau texte qui m'a scotché par sa force sur un thème pourtant souvent traité et qui me touche particulièrement.

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Yeruldelgger

Publié le par Yv

Yeruldelgger, Ian Manook, Albin Michel, 2013.....

Le commissaire Yeruldelgger qui officie à Oulan Bator enquête sur le meurtre de trois Chinois retrouvés émasculés dans une usine. On l'envoie aussi à trois heures de piste de la capitale mongole pour déterrer le cadavre d'une petite fille découvert par des nomades. Ce crime atroce, déjà ancien réveille en Yeruldelgger, une plaie encore béante, celle du meurtre non encore élucidé de sa fille, Kushi cinq ans plus tôt. Le commissaire qui depuis cette disparition a additionné les mauvais coups et qui évolue sur la corde raide ne risque-t-il pas de sombrer encore un peu plus de manière irrémédiable ?

Pour une fois, je vais faire court, je n'aurai qu'un seul mot : Excellent ! Lâchez vos bouquins et précipitez-vous en Mongolie !

Bon, je vous le concède, j'ai largement dépassé le seul mot promis, mais j'ai été tellement emballé par ce polar que je ne voudrais vous faire passer qu'un seul message, celui de le lire à votre tour. Si vous vous souvenez, j'avais été emballé par Le dernier Lapon, polar lapon écrit par un Français, et je n'avais pas menti puisqu'il a plu à quasiment tous ceux qui l'ont lu et qu'il a eu les honneurs de citations et d'au moins un prix (deux pour être précis, Quais du polar et Mystère de la critique) Eh bien, sans vouloir comparer, il y a des similitudes, Yeruldelgger est un polar mongol écrit par un Français et qui nous plonge en plein cœur d'un pays qui a du mal à se remettre de la domination soviétique et de l'omniprésence économique de la Chine. Le contexte est formidable (alors, ne soyez pas surpris si j'utilise des adjectifs forts, voire des superlatifs, je ne sais pas minimiser mon enthousiasme) : la Mongolie entre modernisme et richesse, Oulan Bator qui voit des buildings de verre et d'acier s'ériger, des villas pousser dans certains quartiers, mais aussi entre tradition et extrême pauvreté, des nomades venus en ville dans l'espoir d'y travailler et qui pour ne pas mourir vivent dans les égouts qui n'en sont d'ailleurs pas, mais plutôt des souterrains dans lesquels les tuyaux d'eau chaude qui alimentent les habitations réchauffent les squatteurs leur permettant de passer l'hiver rude en ces contrées, ou d'autres ex-nomades qui ont planté leurs yourtes aux bords de la capitale se regroupant en des quartiers pauvres tels des bidonvilles, et sans oublier les nomades qui continuent à vivre dans les steppes, s'occupant de leurs troupeaux et continuant à vivre au rythme des saisons, des croyances et des rites des anciens. Néanmoins ceux-là vivent bien au temps présent, "ne polluant pas la scène de crime" pour suivre les ordres d'Horacio Caine dans Les Experts.

Les personnages sont excellents, si l'on oublie très vite (très largement faisable) les quelques clichés concernant Yeruldelgger (flic brisé par la mort de sa fille qui ne cherche plus rien si ce n'est stopper les criminels). Il a disjoncté, est totalement incontrôlable mais il n'est pas que cela, c'est aussi un enfant qui a été élevé dans un temple shaolin qui a enfoui les enseignements en lui qu'il devra retrouver pour mener à bien son enquête et sa quête de lui-même. Personnage très complexe, très bien travaillé par Ian Mannok. Il collabore avec Solongo, médecin légiste amoureuse de Yeruldelgger depuis longtemps et qui attend qu'il trouve la paix en lui pour venir vers elle. Si elle l'attend, dans son travail elle est redoutablement efficace. Oyun est l'adjointe du commissaire, jeune et jolie avec beaucoup de caractère dont elle aura besoin pour faire face à ses collègues et aux truands. Gantulga est un jeune garçon des rues qui s'attache à Oyun et qui grâce à sa débrouillardise et son sens de la répartie l'aidera efficacement. 

Un polar assez violent comme l'est sans doute la société mongole, avec des scènes dures mais très supportables, l'hémoglobine ne coule pas à flots. Une maîtrise parfaite de Ian Manook qui distille des indices au long de son livre qui font deviner au lecteur des choses avant même les enquêteurs. 540 pages sans répit, sans repos qui m'ont scotché et accroché comme rarement (540 pages pour moi, c'est énÔrme). J'aurais pu parler des néo-nazis mongols (théorie très intéressante d'ailleurs de voir que la Shoah est peu connue là-bas, ce n'est pas leur histoire, de même que la leur ne nous est pas très connue), des flics ripoux, des intérêts économiques. Je pourrais  expliquer  mon emballement et mon billet dithyrambique par la fascination que j'ai pour ce pays depuis plusieurs années (bon, quitte à faire cliché, les steppes m'attirent plus que la laideur d'Oulan Bator). Tout cela je pourrais le faire et même en dire encore beaucoup plus sur ce roman policier tellement il est riche, j'ai l'impression de n'avoir pas dit la moitié de ce que j'avais à dire. J'avais noté plein d'extraits à vous citer pour vous allécher, mais je n'ai plus la place. Mais comme vous ne pourrez résister à mon appel à faire de ce roman un vrai succès très largement mérité, vous les lirez vous-mêmes. Et puis, pour finir, une bonne nouvelle, que dis-je excellente, Ian Manook prévoit une suite...

 

 

 

polars

rentrée 2013

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Sotchi pour mémoire

Publié le par Yv

Sotchi pour mémoire, Guillaume Reynard, Jean-Claude Taki, Éd. Intervalles, 2013.....

Un mail malhabile envoyé de Russie : "29 août Olga enfonce dans la mer. L'enterrement 6 septembre." informe les auteurs du livre qu'Olga est morte noyée, près de Sotchi. Ils partent alors dans cette ville tenter de comprendre les raisons de cette noyade.

Les ceusses d'entre vous qui viennent régulièrement sur le blog vont penser que je débloque, que l'Alzheimer est là en moi, puisque j'ai déjà parlé de ce livre. Que nenni, bande de médisants ! Si j'ai effectivement déjà évoqué cette histoire, c'est dans le roman de Jean-Claude Taki intitulé Sotchi inventaire. Là, je cause d'un livre illustré basé sur le même récit. Jean-Claude Taki est au texte, beaucoup plus poétique ; il parle essentiellement d'Olga, de sa noyade de ses efforts pour ne pas sombrer, elle la fille forte toujours prête à lutter à ne pas renoncer. Il évoque les éléments ou plus précisément l'élément liquide qui aura raison de ses forces mais sans doute pas de sa volonté. Alors que dans le roman, il s'attardait sur le voyage du narrateur, Guillaume, sur son séjour à Sotchi, ses rencontres et ses dessins, là sa poésie ne parle que d'Olga. Une suite logique du roman en quelque sorte. La mise en page m'évoque des lettres, peut-être de l'alphabet russe ? Elle donne une scansion particulière, parfois un seul tout petit mot sur une ligne, parfois une grande ligne de 20 mots. Un beau poème qui, je l'avoue, m'aurait sans doute laissé pantois si j'avais débuté l'histoire d'Olga par lui, mais je ne suis pas très ouvert au genre poétique que je ne saisis pas souvent. Là, le fait d'avoir lu d'abord le roman me permet d'apprécier le rythme, le choix des mots, la mise en page car je comprends le sens. J'aime beaucoup cette suite poétique du roman, très belle idée qui est un moyen de s'exprimer autrement et de toucher des lecteurs de manière différente.

Guillaume Reynard est aux dessins. Il s'en tient beaucoup plus au voyage, au séjour, comme s'il était le Guillaume du roman (?), celui qui remplit des carnets de ses dessins de Sotchi, des lieux, des paysages et de quelques (rares) personnes rencontrées. Un dessin gris aux traits fins, fragiles qui reproduit la cabine de l'avion, les chambres d'hôtels, la plage, la cantine, ... Très réaliste, il fige les moments de doute de Guillaume avant de se rendre sur la plage sur laquelle s'est noyée Olga. C'est vraiment une excellente idée que ce livre illustré, car il me permet de visualiser tout ce que JC Taki décrit dans le roman, et ma frustration de n'avoir pas encore vu le film Sotchi 255 (réalisé sur le même thème par JC Taki) en est largement amoindrie. Et moi, je (très égocentré Yv) lis en visualisant, d'où ma difficulté parfois avec la poésie et/ou les essais. En outre, l'idée que l'on puisse à partir d'une même histoire, créer différents supports pour tenter d'en faire le tour, pour toucher tout le monde et pour tâter de différents arts me ravit, c'est un procédé qui me plaît bien. 

Un beau livre qui va naturellement rejoindre sur les rayons de mes étagères Sotchi inventaire, deux bouquins qui doivent pouvoir se lire indépendamment l'un de l'autre, ce qui m'est difficile à dire puisque j'ai lu les deux, acte intelligent que je vous conseille vivement.

 

rentrée 2013

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Délivrez-nous du mâle

Publié le par Yv

Délivrez-nous du mâle, Betty Bonamy, Éd. L'Atelier des métamorphoses (auto-édition, distribué par Lulu.com), 2013...,

Dick Helmer est un écrivain à succès, marié à Maria-Louisa, fille de son éditeur. Il se retire quelques jours dans la campagne de Bourgogne pour écrire. Là, il fait connaissance de la superbe Édith qui l'entraîne dans une soirée échangiste. Très branché cul, Dick y trouve son compte. Mais en rentrant, il se dispute avec Édith qui glisse au fond d'un ravin. Dick s'enfuit la voyant morte au fond du trou.

Betty Bonamy écrit là une parodie de roman policier très agréable et alerte. L'intrigue est cohérente, vraisemblable et les personnages assez bien dessinés pour qu'on y croie. Helmer est un hâbleur, un homme qui ne sait résister à une belle femme, qui s'ennuie dans un mariage de convention qu'il ne briserait pour rien au monde, de peur du même coup de mettre un terme à sa carrière d'écrivain. Édith est une belle jeune femme mariée à Gontrand, 25 ans de plus qu'elle, qui a envie d'aventures, d'hommes et de sexe libéré. Ils étaient faits pour se rencontrer. Gontrand se morfond en attendant le retour de sa femme et Maria-Louisa est très en retrait. N'oublions pas les flics, caricaturaux jusqu'à en être risibles. Au passage, l'auteure n'hésite pas à gentiment égratigner le petit monde de l'édition et de l'écriture.

La parodie, on la trouve dans les noms des intervenants, dans le choix du vocabulaire : un très joli et très large éventail de mots venus tout droit de l'argot, du langage familier et des néologismes : "Helmer tournait en rond depuis plus d'un quart d'heure dans sa cuisine, pendant que sa cafetière dourdouillait gentiment sur son socle." (p.145). L'un des flics parle en mangeant une voyelle sur deux (heureusement il n'intervient que peu, sur la longueur ce serait lassant). Lorsque Édith et Dick se retrouvent au Château, dans une partie fine, Betty Bonamy fait preuve d'une belle panoplie de sex-toys : "... il connaissait le petit canard, les pompe-nœuds, ou pompes à pénis, le double gode, le baillon-boule, le vibro up and down, les œufs vibrants, le suceur de tétons à coulisse, le plug anal, les vibro rabbit, mais pas les boules de geisha, si tant est qu'elles en aient..." (p.94). Avec cette citation je me rends compte que je prends le risque de me faire un public d'amateurs ou de professionnels du genre voire de dépravés ou de libidineux... Chère Betty, je vous renverrai les commentaires graveleux...

La mise en page est un peu étonnante, un interligne large et une police assez grande. L’avantage, c'est qu'on a l'impression d'avancer vite, l'inconvénient c'est pour la consommation de papier (mon côté écolo n'est jamais très loin de  mes préoccupations quotidiennes). 

Bref, tout cela pour dire que j'ai passé un très bon moment avec ce roman policier à ne pas prendre au sérieux.

Ce roman est auto-édité et disponible sur Lulu.com/fr en format e-book pour un prix modique et en format papier pour un prix très accessible (11€). 

 

polars

région-copie-1

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Miss Lily-Ann

Publié le par Yv

Miss Lily-Ann, Lucienne Cluytens, Éd. Krakoen, 2013....

Miss Lily-Ann est une entreprise familiale à Roubaix. Détenue par la famille Barré depuis des générations, elle a périclité jusqu'à l'arrivée à sa tête de Liliane Barré, jeune femme dynamique, dure en affaire qui a lancé la ligne Miss Lily-Ann. Désavouée par les actionnaires, elle a dû faire appel à des fonds privés venus du Japon, de yakuzas. Lorsque Blanche Barré, la vieille tante qui menait une vraie bataille contre Liliane est retrouvée morte, les habituelles questions sur les raisons du crime se font jour. A qui profite-t-il ? Le commandant Flahaut, assisté du capitaine Sauvignon -qui ne s'apprécient pas du tout- mènent l'enquête.

Pas mal du tout cette enquête en pays nordiste. Le contexte me rappelle pas mal de livres ou de films se passant dans des usines textiles -ou autres- dans des villes qui n'ont longtemps vécu que par cette activité. Lorsque celle-ci a décliné, les emplois ont suivi la même courbe et beaucoup de familles se sont retrouvées dans des situations difficiles. Lucienne Cluytens rend bien l'atmosphère, elle décrit le monde ouvrier, le travail dur et bien fait, les heurts et la mésentente quasi éternelle entre patronat et salariés, la toute puissance déclinante des familles d'industriels qui faisaient office de "pères et mères" pour les employés et les familles de la ville. C'est donc dans ce contexte particulièrement bien campé qu'a lieu le premier meurtre. Il verra aussi la naissance d'une idylle entre Pauline, styliste intérimaire et Martial, le mécanicien qui arrive de la Guadeloupe pour un contrat de 6 mois, qui devient, par hasard, et avant l'assassinat, l'ami de Marc Flahaut, le flic. Le décor planté, l'enquête peut débuter. Pas forcément ébouriffante (c'est un polar pas un thriller, et tant mieux !), elle tient cependant largement jusqu'au bout, et personnellement si j'ai découvert deux ou trois petites choses au cours de ma lecture qui me semblaient importantes, j'ai suivi la résolution de l'intrigue avec beaucoup de plaisir et d'envie de connaître les détails. On pourrait la croire un peu pépère cette enquête, ça ne tire pas dans tous les coins (dans tous les sens du terme si je puis me permettre, ni violence ni sexe, enfin si, mais suggéré, pas décrits par le menu), ça ne va pas à deux cents à l'heure, même si Marc Flahaut et Martial sont motards, mais la touche japonaise "exotise" le polar et lui fait prendre des chemins pas habituels. Et puis, le lecteur, s'il est un peu perspicace repère ici ou là, des indices semés dans les pages qui serviront à l'explication finale.

Rythme pas effréné donc, juste ce qu'il faut pour tenir les lecteurs, style "lâché" entre langage oral, familier notamment dans les nombreux dialogues et écriture simple et directe dans le reste du texte. Un roman policier à mettre entre toutes les mains et sous tous les yeux qui devrait ravir la grande majorité des propriétaires de ces mains et de ces yeux. Il débute comme ceci :

"D'un geste nerveux, Liliane Barré claque la portière de son petit coupé Audi rouge. Elle est mal garée, mais en fin d'après-midi, surtout aux beaux jours, il n'y a jamais de place avenue Le Nôtre : les Roubaisiens profitent un maximum du parc Barbieux, situé en plein cœur de la ville. Indifférente aux arbres majestueux et d'essences rares, pourtant au plus beau de leur floraison de printemps, elle accélère le pas, ses hauts talons martelant le bitume, jusqu'à la grille de la propriété de sa tante." (p.11)

Une découverte pour moi des éditions Krakoen sises à Roubaix (quoiqu'avec un nom de consonance bretonnante) qui me laisse augurer d'autres lectures fort intéressantes et distrayantes.

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rentrée 2013

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