A la demande générale, enfin, juste Keisha mais c'est largement suffisant pour obéir, voici, deux photos de l'abominable Dédenne, 9 kilogrammes de paresse et de croquettes évidemment. Chatte, qui avant d'arriver à la maison fut mise sous prozac (pour chat) ce qui explique cet embompoint. Elle a peur de tout, sent mauvais, peut aller jusqu'à uriner là où ce n'est pas autorisé pour elle, mais bon, on l'aime bien quand même, enfin s'il y a preneur...
Sur cette seconde vue, j'ai réussi à la faire se lever du fauteuil, le réveil est brutal, et le regard bas ; dommage, on ne voit pas bien le ventre qui balance un coup à droite, un coup à gauche.
C'est moi Pusheen le Chat, Claire Belton, Éd. Hugo et Desinge, 2014 (traduit par Arthur Desinge).., Pusheen est une chatte grise qui vit aux États-Unis. Imaginée par Claire Belton d'après l'animal qui vivait avec elle chez ses parents et reproduite sur un blog ; on la trouve maintenant sur Facebook, sur Twitter et Tumblr, sur Pusheen.com et depuis récemment dans ce livre ! Ouf ! Le chat est décidément un animal très BDphique. Pusheen n'a pas l'ironie, le sens de l'absurde, l'humour humain de Le Chat de Philippe Geluck ; elle n'a pas le charme et l'humour exclusivement félin de Simon's Cat ; elle est entre les deux. Grise, grosse, bavarde, paresseuse et ne pensant qu'à manger... bon sang mais c'est bien sûr, c'est Eden (ou Dédenne voire La Grosse voire même carrément La Grosse Dédenne), l'énormité qui squatte notre maison depuis deux ans, recueillie un jour de grande bonté, et plus particulièrement un fauteuil bien précis ! Avec son ventre qui ballotte, qui traîne par terre et ses pertes urinaires ou je-ne-sais-d'où qui embaument les lieux où elle est, ce n'est pas une sinécure (d'ailleurs si quelqu'un est preneur...) ! Parenthèse Dédennesque fermée, je reviens donc à Pusheen qui ne gagne probablement pas à être mise en livre, parce qu'elle perd le côté animé en GIF (sachant quand même que l'animation est très minimale), si ce n'est la possibilité de pouvoir sortir le livre plus aisément qu'un ordinateur, de suivre les quelques strips d'un seul coup d'œil. Les dessins sont enfantins, ronds, très légers, peuvent être mis entre toutes les mains même les plus innocentes voire même celles des cathos intégristes qui n'y verront pas malice même si Pusheen est à poil (ah, ah, ah) ! Ils reproduisent bien (pas les cathos grand dieu, les dessins !) les différentes postions (non, non, toujours pas les intégristes) des chats, leurs lubies, leurs habitudes, leurs envies. Qui a un chat y verra forcément dans un dessin ou un autre le sien reproduit. Plus de quatre millions de gens qui aiment sur Facebook, j'imagine autant de fans sur les autres réseaux sociaux, et tout plein de suiveurs sur les blogs et sites, Pusheen est un vrai phénomène assez incompréhensible, je dois dire, car si elle est bien sympathique, elle ne fait pas grimper aux rideaux, sauf elle qui aime bien en faire des dentelles. Je me demande moi, si je ne vais pas en faire autant avec ma Dédenne et avec un peu de chance, au lieu d'attirer les quolibets et les mauvaises odeurs, elle attirera les billets qui eux, sont bien connus, n'ont pas d'odeur...
Trois heures avant l'aube, Gilles Vincent, Éd. Jigal, 2014..... Vannes, Morbihan, Grégor, la cinquantaine, vient de perdre son boulot après trente ans de désossage de poulets ; l'usine délocalise au Brésil. Résigné, mais pas contre un coup d'éclat, Grégor est prêt à se mettre en danger en enlevant son ex-patron. Valenciennes, Nord, Sabrina n'en pleut plus d'entendre qu'en Belgique, le pédophile Jean-Marc Ducroix demande sa libération. Elle est prête à tout pour lui faire renoncer à sa demande. Très vite, l'ex-femme-complice du pédophile est retrouvée égorgée non loin du couvent où elle s'était retirée. Marseille, Bouches-du-Rhône, Kamel, jeune homme embrigadé par des fous furieux sans scrupules est prêt à verser le sang des infidèles, des impurs. Un jeune militaire est retrouvé mort dans les toilettes de la gare Saint-Charles. Scotché. Littéralement scotché à mon bouquin je fus. Gilles Vincent ne m'a laissé aucun répit, de la première phrase "Il y aura les morts et les mutilés. Les blessures, le cartilage, le chaos." (p.11) à la dernière : "Et ça la chavire, donne à sa vie le rythme chancelant d'un ballet désarticulé. Une chorégraphie dénuée de sens. Une ligne de fuite à laquelle elle sait ne pouvoir échapper." (p.223) A partir de trois histoires totalement opposées et loin les unes des autres, il bâtit un polar implacable très actuel, très inspiré de l'actualité : les délocalisations qui entraînent des débordements, les affaires Dutroux et Merah, tristement célèbres. On sent bien qu'elles se rejoindront à un moment ou un autre, mais le lien est si ténu qu'il est très difficile à deviner. Je préfère ne point trop en dire parce que le suspens du roman s'il tient à la résolution des trois enquêtes, tient aussi à leur regroupement que personnellement, j'ai trouvé excellemment bien mené, à la fois très prosaïque et un rien irréel, lié au hasard. Aïcha Sadia, la commissaire marseillaise de Gilles Vincent est sur l'enquête la plus grosse, celle qui traque Kamel, le djihadiste : je l'avais déjà rencontrée dans Beso de la muerte, je la retrouve avec plaisir, bon elle moins, parce que là, elle est sur un gros morceau qui la touche personnellement. Ce qui est bien dans les livres de G. Vincent (au moins les deux que j'ai lus, mais je ne compte pas en rester à ce chiffre ridicule), c'est que son héroïne ne prend pas toute la place : chaque personnage est primordial, autant les malfrats, quelles que soient leurs motivations, que les flics qui les traquent. Le capitaine Le Cam de Vannes (pour Grégor) ou le lieutenant Fred Pichon de Valenciennes (pour Sabrina) ont autant d'importance qu'Aïcha, de même pour les membres de son équipe qui sont très présents. Les polars de Gilles Vincent outre leur rapidité, leur rythme effréné (pour celui-ci au moins) sont avant tout des romans basés sur l'humain, les raisons qui les poussent à passer d'un côté ou de l'autre de la loi. Il ne juge pas ses personnages ni leurs choix, il a même un très beau paragraphe sur la manière dont Dounia la petite amie de Kamel s'est convertie à l'islam et s'est voilée : "Lui apprendre à lire sans la peur des mots, à quitter ses rangers qui lui meurtrissent l'arc du pied. Abandonner le cuir des blousons, guérir sa bouche du métal qui blesse. Accepter de nouer ses cheveux contre la nuque, de savourer la douceur du foulard, apprendre à maîtriser la colère, lui trouver d'autres cibles." (p.47), il en aura aussi de plus durs à l'égard de la même religion : il ne juge pas, raconte les histoires de vies de ses personnages, des faits, des pensées, des questionnements sur soi sur les autres finalement des portraits très complets des uns et des autres. L'écriture de Gilles Vincent donne le rythme rapide, des phrases courtes, parfois nominales, des dialogues assez fréquents mais pas trop longs, du vocabulaire simple et efficace, des passages violents, d'autres beaucoup plus lents, pour un bouquin que l'on ne lâche pas. Un polar français extrêmement maîtrisé et soigné, mené de bout en bout par un auteur de haut niveau qui m'a laissé un peu étourdi une fois la dernière page lue. Amateurs de polars efficaces, ne passez pas votre chemin ! Si vous n'aimez que les polars étasuniens (ce qui est déjà une pure hérésie), laissez-vous faire et vous verrez que les Français n'ont rien à leur envier !
Oncle Paul est au moins aussi enthousiaste que moi !
La traque de la musaraigne, Florent Couao-Zotti, Éd. Jigal, 2014....
Lorsque Stéphane Néguirec, breton de sa nationalité, poète de son activité a fini d'écumer le sol natal, il part pour l'Afrique la terre des ancêtres pour déclamer, chanter. Porto-Novo, capitale du Bénin, petit pays entre le Togo et le Nigéria sera son choix pour s'installer. Mais, l'Afrique lui jouera des tours surtout lorsqu'il rencontrera la superbe Déborah Palmer qui lui propose simplement un mariage blanc contre une grosse somme en dollars.
Depuis un moment, j'ai envie de lire un roman de Florent Couao-Zotti, en fait depuis que j'ai lu un de ses titres : Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire. Je n'avais pas encore pris le temps d'en lire jusqu'à ce dernier, La traque de la musaraigne. Et je ne suis pas déçu par cet excellent roman noir. Pas un polar : il n'y a pas d'enquête, pas de mort ou de flic ou de privé, un roman noir, d'un homme qui tombe de Charybde en Scylla depuis sa rencontre avec Déborah ; à tel point qu'on se demande jusqu'où ses poursuivants vont l'emmener. Lorsqu'on le croit au plus bas, une péripétie, un autre protagoniste arrivent et font de lui une marchandise. Pour Déborah, c'est guère mieux, elle ne veut plus vivre dans la pauvreté, elle veut échapper à son ancien ami Jesus Light qui la battait, mais Jesus Light la traque depuis le Ghana jusqu'à Porto-Novo.
Les personnages principaux de F. Couao-Zotti sont des paumés, des personnes en quête de rédemption qui n'attendent que le déclic, l'étincelle pour se relancer, pour repartir. Leur malheur est qu'ils sont poursuivis par de vrais méchants prêts à tout pour leur mettre la main dessus. Stéphane et Déborah sont deux beaux personnages ni mauvais ni bons, plutôt victimes ; l'auteur démarre sans rien nous dire d'eux, puis au détour d'un chapitre raconte leurs parcours, de Guingamp à Porto-Novo pour l'un en passant par Saint-Malo -ce n'est sans doute pas la route la plus directe, mais Stéphane est un poète, il ne cherche pas la ligne droite- et du Ghana au Bénin pour l'autre avec de multiples arrêts.
La traque est longue, la fuite l'est tout autant, mais même si l'intrigue peut souffrir d'un très léger "ventre mou" (avant une fin excellente et après un début tonitruant), il est absolument impossible de quitter ce livre, car F. Couao-Zotti écrit dans une langue admirable, j'y reviendrai après m'être intéressé au contexte de ce roman. L’Afrique contemporaine. Et plus particulièrement le Bénin. Entre corruption à tous niveaux, sexe, prostitution, argent facile, débrouille, trafics en tous genres : "Tu sais, l'ami, expliqua Ignace avec une pointe de fierté, ceci est mon Titanic [une pirogue]. Attention, il n'aura pas le même destin que l'autre, mais il m'aidera à transporter les cargaisons les plus envieuses d'essence kpayo [= contrefait] [...] Oui, je convoie de l'essence de contrebande depuis le Nigéria jusqu'au débarcadère de Djassin, après l'archevêché de Porto-Novo." (p.192). Dans les rues de Cotonou et de Porto-Novo dans lesquelles tout peut arriver et dans lesquelles l'extrême pauvreté côtoie une plus grande réussite (souvent illégale) : coins abandonnés, pas entretenus, routes dans des états déplorables : "La moto gigotait sur la piste jaune de la Route des Pêches. Sur les quatre kilomètres qui séparaient le Calvaire du village des pêcheurs, le chemin était loin d'être un long fleuve tranquille. Nids de poule, tranchées de voyous, baignoires de crocodile, tous les trous se succédaient avec autant de variété que de régularité." (p.89) Malgré ces conditions de vie difficiles, les habitants sont solidaires, soudés, prêts à rendre service parfois contre rémunération mais pas toujours, on sent toute l'admiration et la tendresse que l'auteur a pour ses compatriotes.
Je suis tombé sous le charme de l'écriture de l'auteur, parfois très imagée avec des télescopages de mots ou des usages de vocables assez personnels ou encore des expressions particulières : "Elle s'attendait à tout, miss Déborah. D'ailleurs, si l'on égrenait son existence, les rêves qu'elle avait nourris, les cauchemars qui l'avaient bouillie, on s'apercevrait qu'elle avait vécu mille vies ; que, depuis ses premiers laits, il s'était accumulé dans son corps, dans les interstices de sa peau, des quintaux d'histoires incroyables." (p.157/158). Parfois, Florent Couao-Zotti sait aussi user d'une langue plus classique : "Il paraît, disent les sociologues, qu'on est le produit de son milieu et qu'on en duplique tôt ou tard les mêmes travers. Déborah, pour contrer les habitudes violentes de son père, avait empoigné un soir une trique et lui avait fracassé la tête avec. Un délire et une jubilation propres à une âme soulagée, lui avaient soulevé la poitrine." (p.158) C'est le télescopage de ses mots, l'assemblage de ces deux types d’écriture qui rendent la sienne unique et admirable. J'ai lu sur Wikipédia : "L'œuvre de FCZ est foisonnante, riche et inventive, à mi-chemin entre le baroque, la poésie et l'intrigue policière." C'est, par rapport à roman, tout à fait exact, F. Couao-Zotti a une écriture baroco-poético-policière absolument incontournable et que je compte bien continuer à explorer.
Claude en parle de manière similaire sur ABC Polar.
Les impliqués, Zygmunt Miloszewski, Éd. Mirobole, 2013 (traduit parKamil Barbarski)....
Teodore Szacki est procureur à Varsovie. En tant que tel, c'est lui qui mène les enquêtes qui lui échoient, faisant appel à tel ou tel policier. Lui, il aime travailler avec Oleg Kuzniecov, un rien graveleux, mais très efficace. Lorsque le corps d'un homme, Henryk Telak, est découvert, une broche à rôtir dans l'œil, dans un ancien monastère en plein milieu d'une séance de thérapie collective, il est loin de se douter que ses investigations l'emmèneront aussi loin. Un peu lassé par sa vie de famille routinière et par une partie de son travail bureaucratique, il s'engage totalement dans cette nouvelle enquête.
Pas mal du tout ce polar polonais qui avance lentement mais jamais n'ennuie. 442 pages passionnantes tant pour l'enquête proprement dite que pour tous les à-côtés. Tout d'abord, cette enquête qui ne progresse pas vite, classique, le procureur cherche dans toutes les directions, explore toutes les pistes, revient en arrière lorsqu'il s'aperçoit que celle qu'il suivait est une impasse. Ensuite, la description de Varsovie dont l'architecture tient encore de son passé communiste (l'histoire se déroule en 2005). Puis les réminiscences de l'avant chute du mur ne sont pas qu'architecturales, elles concernent aussi des personnes ayant eu des activités sous la dictature de Jaruzelski et qui n'ont aucun intérêt à ce qu'elles ressortent, qui exercent donc des pressions terribles. L'auteur parle aussi de certains autres dossiers de Teodore Szacki, qu'il doit mener de front avec la mort de Telak. Il en profite également pour expliquer ce qu'est la thérapie dite de la constellation familiale, puisque c'est à l'issue d'une telle séance que la mort a eu lieu. Et enfin, Zygmunt Miloszewski étoffe la vie de son personnage, il le travaille, lui donne de l'épaisseur : il est en pleine interrogation sur lui-même. Trente-six ans, père d'une petite fille, marié mais pas très heureux de la routine qui s'est installée, il ne serait pas contre une infidélité à Weronika son épouse, et ceci d'autant plus qu'il n'est point insensible au charme de Monika, une jeune journaliste. Son travail aussi parfois le déprime, fonctionnaire, il ne gagne pas bien sa vie : "La faim lui tiraillait l'estomac mais il ne tenait pas à dépenser une dizaine de zlotys pour un petit déjeuner. D'un autre côté; se dit-il, on est seulement en début de mois, mon compte n'est pas encore à découvert. Il n'avait pas passé toutes ces années à faire des études de droit, un stage d'auditeur de justice et une spécialisation au parquet pour se refuser un repas aujourd'hui. Il commanda une omelette aux tomates et au fromage." (p.39)
Zygmunt Miloszewski dresse un portrait assez sombre et désabusé de la Pologne qui sort à peine de l'ère communiste et intègre tout juste l'Union Européenne, de ses politiques qui se laissent gagner par les extrémismes, de la corruption, des anciens de services secrets qui usent encore de méthodes musclées pour se faire entendre et surtout ne pas se faire voir, des journalistes qui glosent sur des faits sans rien apporter aux citoyens : "Les politiciens vivaient dans un monde en vase clos, persuadés qu'à longueur de journée ils accomplissaient des tâches à ce point capitales qu'ils devaient absolument en rendre compte lors de conférences de presse. Leur prétendue valeur se voyait confirmée par des légions de chroniqueurs enthousiastes, eux aussi convaincus de la gravité des faits qu'ils relataient et poussés probablement par le besoin de rationaliser les heures d'un travail vidé de sa substance. Et finalement, en dépit des efforts conjugués de ces deux groupes professionnels, couplés à l'assaut médiatique d'informations superflues mais présentées comme essentielles, le peuple tout entier n'en avait rien à foutre." (p.152/153)
Un polar qui fait la part belle à un contexte géographique et politique fort intéressant mais qui n'en oublie pas ses personnages, Teodore Szacki en tête, mais également tous ceux qui tournent autour de lui, le flic, sa femme, sa fille, Monika la journaliste, les différents suspects dans cette affaire criminelle et ceux que l'on peut croiser le temps de quelques pages seulement pour d'autres dossiers mais dont l'auteur se plaît à nous faire un portrait un peu détaillé : quasiment aucune personne apparaissant dans ce livre n'en sort sans une description physique ou psychologique de quelques lignes. Zygmunt Miloszewski suit ainsi la route de quelques grands noms de la littérature policière qui aiment prendre le temps de décrire leurs personnages, les lieux et contextes et qui aiment que leurs enquêteurs traquent le moindre détail susceptible de les mettre sur la bonne piste.
Teodore Szacki est un personnage attachant ainsi que son entourage, qui évolue dans un pays en plein changement et qui pourrait bien revenir pour mon plus grand plaisir pour d'autres enquêtes. Les éditions Mirobole ont déniché un excellent bouquin que mon ami Eric a aimé ainsi que d'autres sur Babelio.
Le chef-d’œuvre inconnu, Honoré de Balzac, Flammarion, Etonnants classiques, 2004.....
1612, le jeune Nicolas Poussin, pas encore le peintre de renom qu’il deviendra va rencontrer Porbus, un peintre déjà célèbre à l’époque, notamment pour ses portraits d’Henri IV. Dans l’escalier qui mène à son atelier, il rencontre un homme étonnant, Frenhofer, qui va se permettre de critiquer le dernier tableau du maître Porbus et même de le finir par quelques touches de couleurs ça et là. Porbus le présente à Poussin. Frenhofer parle alors de son chef-d’œuvre, son portrait d’une femme toujours inachevé bien qu’il travaille dessus depuis dix ans. Porbus et Poussin sont invités à visiter l’atelier de Frenhofer, et là, Nicolas Poussin a une idée pour permettre au maître de finir sa toile : convaincre Gillette, sa très jolie petite amie de poser pour lui.
Ce court texte est écrit en 1831, publié dans le journal L’artiste la même année, puis dans un recueil Romans et contes philosophiques, chez Charles Gosselin remanié a diverses reprises, notamment en 1837 pour lui une portée plus philosophique moins axé donc sur l'intrigue et en 1845, version que Flammarion édite dans cette collection Étonnants classiques.
Je ne suis pas un spécialiste des grands classiques, je n’en ai pas lu énormément. Balzac m’a toujours fait un peu peur par ses longues descriptions parfois difficiles à lire de bout en bout : même dans ce petit texte, il y a un ou deux passages longuets qui n’apportent rien au récit, qui l’alourdissent même (suis-je bien fier pour me permettre de critiquer ainsi Balzac ici ?). Mais lorsque Balzac fait parler Frenhofer, quelle force et quels propos : "La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer ! Tu n’es pas un vil copiste, mais un poète !" (p.38), et je vous passe la suite qui est une vraie leçon pour tous les peintres, sculpteurs, écrivains, tous les créateurs à qui il dit (je ne peux quand même pas raisonnablement tout passer) : "Il vous faudra user bien des crayons, couvrir bien des toiles avant d’arriver. Assurément une femme porte sa tête de cette manière, elle tient sa jupe ainsi, ses yeux s’alanguissent et se fondent avec cet air de douceur résignée, l’ombre palpitante des cils flotte ainsi sur les joues ! C’est cela, et ce n’est pas cela ! Qu’y manque-t-il ? Un rien, mais ce rien est tout. Vous avez l’apparence de la vie, mais vous n’exprimez pas son trop-plein qui déborde, ce je-ne-sais-quoi qui est l’âme peut-être et qui flotte nuageusement sur l’enveloppe ; enfin cette fleur de vie que Titien et Raphaël ont surprise." (p.40)
Le vrai personnage principal de cette œuvre est bien sûr Frenhofer. Personnage atypique qui ne rêve que de son chef-d’œuvre qui ne vit que pour le réaliser ou pour tendre vers sa réalisation qu’il repousse tant il n’est pas persuadé de la réussir et tant il sait qu’une fois qu’il l’aura réalisée, sa vie n’aura plus de sens. Un personnage énorme qui m’a emballé par ses emportements, ses théories qu’il énonce fortement et distinctement sans avoir cure des petites fiertés ou susceptibilités des uns et des autres. Et les souvenirs que j’avais de l’écriture un rien empesée de Balzac en prennent un coup : pas si datée que cela -certes certaines expressions, certains mots ne sont plus usités actuellement, tels "Tudieu" ou encore la si belle suite d’injures qui devrait faire son retour, parce qu’elle est tout simplement magnifique : "Tu ne vois rien, manant ! maheustre ! bélître ! bardache !" (p.64), c’est quand même mieux que ce qu’on peut lire de nos jours !- et même assez actuelle si l’on lit certains auteurs qui travaillent un peu leur langue.
Un classique passionnant, conseillé par un ami, qu’à mon tour je ne peux que conseiller à tous, amateurs d’art ou non. C'est un livre écrit il y a plus de 180 ans et qui colle parfaitement à une analyse des peintres modernes, notamment tous ceux qui ont commencé à déstructurer le dessin, tels Picasso, Braque et nombreux autres.
A l'heure où les hommes vivent, Delphine de Malherbe, Plon, 2014..
Franck est chercheur au CNRS. Il vit pour le travail à tendance à délaisser un peu sa femme Elisa et leur fille adolescente Alex. Il souffre de la notoriété de son père et considère qu'il ne l'aime pas. Deux événements quasi simultanés viennent remettre en cause ses certitudes : le suicide de John, son collaborateur et ami et l'incendie de sa résidence secondaire de Vincennes.
Autant le dire d'emblée, je suis circonspect. Ai-je lu un bon roman ou un ramassis de questionnements divers et tellement nombreux qu'on pourrait croire à un inventaire ? Suis-je dans un livre qui pose des questions existentielles ou dans un bouquin qui amoncelle des clichés, des stéréotypes ? Les personnages sont-ils attachants, meurtris ou désagréables, lymphatiques et incapables de se bouger ? Tout à tour mon opinion à varié entre ces deux positions. Le début est formidable, cet homme qui regarde brûler sa maison sans pouvoir bouger : "Ma maison brûle et, dehors, je reste. Je reste et je regarde, effrayé, sans tâcher une seule seconde d'aider à éteindre l'incendie. Je suis en un instant devenu cet homme statufié, immobilisé, comme envoûté. Le feu mange mes murs tandis que des images de John juste avant sa mort m'assaillent." (p. 15) J'avale les premières pages avec avidité, sûr de me trouver dans un roman qui va me plaire jusqu'au bout. Mais je déchante, Delphine de Malherbe ayant le chic de passer des belles pages à une logorrhée parfois à peine supportable dans laquelle elle mélange tout, les amours et les doutes de Franck, le burn-out, la mort de John, les effets de la crise, la montée des extrémismes et des pratiques sexuelles SM en Angleterre, les épidémies, ... Tout est mélangé, balancé comme cela au détour d'un ou plusieurs phrases ; rien n'est approfondi, c'est absolument gratuit et ... sans intérêt !
Et puis elle revient sur des idées plus travaillées comme la difficulté de se comprendre entre parents cinquantenaires et enfants adolescents. Ces parents qui ont eu des rêves, des combats et qui les ont abandonnés au profit d'une vie confortable passée à travailler, le nez dans le guidon, sans voir que le monde à côté d'eux évoluait ; ces ados qui ont encore des détestations, des indignations et qui veulent que le monde bouge enfin dans un sens plus solidaire. L'éternelle différence entre les jeunes et les adultes et le hiatus entre les jeunes que les adultes ont été et ce qu'ils sont devenus. Franck s'éveille au monde grâce à sa fille de 15 ans, à qui il inflige tout de même deux gifles et une troisième retenue de justesse en 120 pages ! Il est bien sûr question de la réussite d'une vie, mais à quoi la mesure-t-on ? A sa vie sociale ? A sa vie familiale ? A sa vie professionnelle ?
Delphine de Malherbe pose beaucoup de questions, ne donne pas de réponses, et tant mieux. A chacun de les chercher en lui. En quatrième de couverture, il est écrit : "Après avoir traité des tabous féminins avec succès, Delphine de Malherbe s'attaque à l'univers masculin." Avec succès, la page n'en dit rien ? Comme je le disais en début de billet, je reste réservé, je ne me suis absolument pas reconnu en Franck, je le trouve égocentrique, agaçant (pour ne pas dire plus), antipathique (je vois ici des dames qui sourient en se disant que c'est la définition même d'un homme). J'ai été tour à tour emballé et énervé par l'écriture de l'auteure et par la teneur de ses propos, je reste donc mitigé, mais parfois, c'est bien de ne pas savoir réellement si l'on a aimé ou pas un roman, ça fait parler, ça dérange et c'est le propre de la littérature.
A tire d'elles, récits de vie, Jenny Desbois, Auto-édition choisie, 2013...,
Jenny Desbois, auteure de poésie et de polars vit à Rezé près de Nantes. Là, elle fait des rencontres, notamment celles d'Edith, de Maya, de Massada et de Fangie, quatre femmes qui se racontent. Elles ont en commun d'être nées dans les années cinquante, d'avoir donc vécu la révolution sexuelle de la fin des années soixante, le droit et l'émancipation des femmes en tant que jeunes femmes ou d'être jeunes femmes juste après les luttes de leurs grandes sœurs et de pouvoir alors s'affirmer en tant que femmes dans un monde masculin.
Edith est née en 1950 en Tunisie, pays qu'elle quittera en 1964 pour venir vivre à Rezé, sous l'emprise d'un père très présent. "Douloureuse expérience pour une adolescente de 14 ans, que celle de quitter son lieu d'origine pour découvrir un pays d'adoption dont seuls ses parents étaient natifs. De cette France inconnue, il faudrait faire sa terre, son lieu de reconstruction, celui de ses retrouvailles avec une tribu familiale encore étrangère." (p.33) Elle deviendra esthéticienne, sa mariera et sombrera dans l'alcoolisme, avant d'en sortir puis replonger puis d'en sortir de nouveau et de se tourner vers les autres.
Maya est née en 1958, de parents peu instruits, ruraux qui viendront s'installer à Nantes, se confronter à la vie urbaine tellement loin de leur éducation. Maya a été conçue avant le mariage et ça, dans les campagnes de l'époque, très empreintes du "rigorisme du catholicisme des cinquante premières années du vingtième siècle" ce n'est pas bien vu ; "la "fille-mère" portera à sa charge la double peine : celle de mettre au monde un bébé sans forcément avoir la reconnaissance du père, et celle de mettre sa propre famille en lumière de manière négative, parce que réprouvée par l'église, pesant encore de tout son poids dans le milieu rural" (p. 74). Maya grandira en ville, fera des études, fondera une famille avec Tom et militera diversement tout en gardant très présentes sa foi et son implication dans l'église et les mouvements catholiques ouvriers.
Massada naît en 1950, c'est une femme volontaire, décidée au caractère trempé : "Je m'appelle Massada et je suis née en colère. Les femmes de la famille avec lesquelles je partageais le quotidien, n'avaient pas trouvé grâce à mes yeux. [...] Je savais intuitivement qu'il me faudrait créer ma vie de toutes pièces, indépendamment des modèles reçus. Je ne voulais surtout pas être enchaînée à la lourdeur familiale qui m'avait oppressée lorsque j'étais enfant...On ne m'imposerait rien, je serais indomptable..." (p.117) Abandonnée par son père, très indépendante, elle vit intensément ses relations, ses passions.
Fangie naît en 1958, non désirée, la troisième de la fratrie, un accident. Accident qui obligera sa mère, femme qui travaille (et qui gagne plus que son mari, à l'époque, c'est très rare, encore plus que maintenant) à démissionner et à s'occuper des trois enfants, épreuve qu'elle ne surmontera jamais vraiment. Fangie grandit, se marie et fait des enfants mais ne renonce pas à exercer sa profession, contrairement à sa mère ; même lorsque son mariage risque le naufrage, elle ne renoncera pas à travailler comme l'espère son mari. "C'était comme une lente érosion, une atteinte à mon intégrité et à ma liberté, de celles qui ne pardonnent pas. Je me voyais sans cesse reprocher les obligations professionnelles qui étaient les miennes et je ressentais cela comme l'emprise d'une main masculine visant à étouffer ce qui vibrait en moi." (p. 175)
Quatre femmes, quatre histoires qui auraient pu se ressembler, qui se ressemblent par certains points, parce que nées dans des milieux similaires, dans les mêmes années, des femmes aux mêmes aspirations de liberté. Et au final quatre histoires totalement différentes, parce que chaque chemin est personnel, chaque rencontre œuvre en nous de manière différente.
Jenny Desbois parvient sans peine à nous intéresser à ces vies de femmes "normales", grâce à une écriture vivante, à la troisième personne pour Maya et Edith avec beaucoup d'extraits de leur parole et à la première personne pour Fangie et Massada. Ce n'est pas vraiment mon type de lecture habituel, et si on ne m'avait pas mis ce livre en mains, je ne l'aurais sans doute point ouvert, mais je l'ai ouvert et j'ai été très agréablement surpris par la qualité de l'écriture qui ne cède pas aux facilités, parfois travaillée avec de belles longues phrases, parfois plus orale, poétique (des extraits de poèmes de l'auteure, d'Andrée Chédid, de JL Aubert et Barbara). Un très bon travail de dialogue, d'écoute et d'écriture sur des femmes libres et vivantes.
Le livre est en vente au prix de 15 € (commande et réservation : jenny.desbois@laposte.net), le bénéfice éventuel est reversé à des associations locales. Une belle lecture doublée d'une bonne action à quelques jours de la journée de la femme, ça ne se refuse pas !
L'herbe noire, Pierre Willi, Ed. Krakoen, 2014...,
Treunouille, dans la Haute-Vienne, un hameau perdu. Vivent là une famille de fermiers en activité et toujours au travail et deux ou trois autres maisonnées plus ou moins parentes, ne travaillant plus à cause de l'âge ou des promesses faites par la Politique Agricole Commune. Il y a aussi une ou deux résidences secondaires peu utilisées. C'est là que vivent pour les vacances au moins, Paulin, treize ans et demi, Nana, 14 ans qui ne parle plus, Gérard son frère, un fou d'armes qui a initié les plus jeunes à leur maniement. Gabriel, 17 ans vient passer quelques jours dans la résidence de ses parents. Il suffit d'un dérapage, d'une gâchette sensible pour que tout parte en vrille. Le trio (sans Gérard) s'échappe semant sang et désolation derrière lui.
Quelle ambiance les amis, quelle ambiance ! Pierre Willi décrit un hameau ravagé par l'inactivité, l'alcool, les armes et sans doute une certaine consanguinité qui ne donne rien de bon. C'est opaque, poisseux, noir, ça sent le purin, le lisier, les relents d'alcool que les parents des jeunes ingurgitent en grosse quantité et la poudre. La langue de Pierre Willi est âpre, hachée, argotique parfois, technique lorsqu'elle parle des armes, use de néologismes de francisations de termes anglo-saxons ; elle fait parler alternativement un narrateur omniscient ou Paulin qui n'est pas un Saint (j'ai essayé de l'éviter celle-ci, mais je n'ai pas pu, mes doigts ont surpassé ma volonté de donner une peu de tenue à cette chronique). Un bémol cependant, malgré tous mes compliments sur l'écriture de l'auteur, j'ai trouvé que le bouquin tardait à démarrer et que même lorsque le sang avait commencé de couler, il manquait du rythme, ce qui est paradoxal pour une fuite en avant. Peut-être trop de répétitions des doutes, questionnements de Paulin quant à sa capacité à protéger Nana ? Il tourne en rond Paulin, et je peux le comprendre, dans cette situation, j'imagine que je ferais pareil, mais là, j'aurais aimé qu'il avançât plus vite, peut-être en enlevant quelques pages ???
Bémol léger au regard de l'atmosphère qu'a su créer Pierre Willi, de ses saillies sur divers points comme la vie rurale traditionnelle qui se meurt au profit d'une vie plus moderne et totalement inféodée aux grandes entreprises et à la société de consommation : "J'entendais Raymond vitupérer devant notre téléviseur, puis grogner, puis seulement marmonner, soupirer et enfin pleurer silencieusement dans son verre. Pourquoi notre blé, il ne valait soudainement plus rien ? Personne n'en voulait plus de notre blé ! Et nos semences, pourquoi on n'avait plus le droit de les réutiliser ? Pourquoi fallait-il les racheter à des gangsters industriels ? Raymond, il se croyait défendu par le grand syndicat. Quand il a découvert que ce que voulait le grand syndicat, c'était une mégaferme par village et pas plus, quand il a enfin compris que les motivations profondes des grands chefs syndicalistes, c'était de faire plaisir aux industriels, d'engraisser les gros beaucerons et d'exterminer la petite paysannerie, ça lui a donné comme un coup de bâton derrière le crâne et il s'en est jamais remis." (p.71/72)
En résumé, si je ne suis pas super emballé par l'histoire, je le suis totalement par les personnages, les lieux, l'écriture qui sait décrire une ambiance glauque et pesante, un truc qui collera longtemps à mes synapses. Très visuel, très cinématographique. Très noir. Du vrai du bon polar qui tache avec des vrais morceaux de la vraie vie dedans.