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Quartier rouge

Publié le par Yv

Quartier rouge, Simone Buchholz, Éd. Piranha, 2015 (traduit parJoël Falcoz).....

Hambourg, début des années 2000, une jeune femme est retrouvée morte, droguée, étranglée et scalpée, une perruque synthétique de couleur sur la tête. Chastity Riley, procureure germano-étasunienne est chargée de l'affaire. Avec l'aide de Faller, vieux flic fatigué mais toujours obstiné dans la recherche des coupables et toute son équipe de flics expérimentés, elle dirige son enquête au cœur du Quartier rouge de la ville, celui des prostituées, des dealers, des bars louches, des clubs de strip-tease. Lorsqu'une deuxième victime est trouvée, même modus operandi de la part du tueur, la tension augmente. Chastity et Faller doivent mettre les bouchées doubles.

Excellente surprise que ce polar allemand, pour pas mal de raisons : la visite de Hambourg et de ses quartiers atypiques, la vie nocturne dans ces quartiers, la procureure Chastity Riley et sa vie amoureuse compliquée, l'équipe de flics très minutieuse et professionnelle mais aussi le format de l'ouvrage, 200 pages qui ne laissent aucun répit et ne souffrent d'aucun temps mort, d'aucune longueur.

Chastity, c'est une procureure punk, jamais à son bureau, toujours sur le terrain, dans un bar -elle boit beaucoup avec son amie Carla-, au stade de foot à encourager le FC Sankt Pauli, le club du quartier du même nom, au commissariat avec son équipe de flics, chez elle à se poser la question de savoir s'il est bon de coucher et tomber amoureuse -ou vice-versa- de son voisin, Klatsche, cambrioleur repenti désormais serrurier hors pair et particulièrement bien infiltré dans les milieux interlopes de Hambourg mais de quinze ans plus jeune qu'elle qui flirte avec la quarantaine. Elle applique ses méthodes particulières entre la minutie du travail des flics et son instinct, son intuition, sa capacité à se mettre dans la tête des malfrats, à ressentir au plus profond d'elle-même des sensations terribles lorsqu'elle croise un être qui dégage de la violence, de la haine ou un très fort mal-être ; un peu comme un chamane elle ressent tout cela en elle, mais contrairement au-dit chamane, elle ne sait pas quoi en faire et ces expériences la laissent désemparée.

Elle arpente les rues de Hambourg, est tombée sous le charme de cette ville qui n'est pourtant pas dans le classement des villes les plus belles, et particulièrement du port : "Chaque fois que je le vois [le port de Hambourg] apparaître brusquement au milieu de l'obscurité, ça me coupe le souffle. La nuit, le port est un trésor, mon trésor. Un coffre gigantesque rempli de joyaux étincelants, que j'ai trouvé il y a dix ans quand je suis arrivée à Hambourg. Découvrir un tel trésor a été une grande surprise car, à l'époque, je ne suis venue ici que pour le boulot." (p.48) Mais le quartier Sankt Pauli n'est pas en reste, omniprésent dans le roman, le contexte géographique. Je ne connais pas la ville, mais après cette lecture, franchement, j'irais bien y faire un tour.

Une très belle réussite donc que ce polar bourré d'humour malgré l'horreur des situations ; je me permets d'ailleurs de rassurer les âmes sensibles, point d'hémoglobine ou de descriptions sanguinolentes dans le livre, tout est dit mais pas décrit, et très supportable. Simone Bucholz use d'une plume vive, percutante, accrocheuse qui ferre le lecteur et ne le lâche qu'à la toute fin de son histoire. Une mention particulière pour le pénultième chapitre (p.174/179) qui permet d'avoir une jolie surprise encore, juste avant la fin, plus dans la forme que dans le fond, certes, mais j'ai apprécié.

Très bonne pioche des éditions Piranha avec une couverture particulièrement réussie.

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C'est ça Pierre Etaix

Publié le par Yv

C'est ça Pierre Etaix, Odile et Marc Etaix, Ed. Séguier et Arte éditions, 2015.....

Résumer Pierre Etaix à un livre est totalement impossible : clown, photographe, peintre, écrivain, metteur en scène, acteur, dessinateur, affichiste, magicien, roi français du slapstick (gags impliquant une violence physique volontairement exagérée, merci Wikipédia) que Buster Keaton a popularisé. Qui n'a jamais vu les films de Pierre Etaix ou de Jacques Tati dont il fut assistant pendant quelques années ne sait pas ce qu'est l'humour que j'aime par-dessus tout, pour sa naïveté, sa beauté, son apparente facilité qui cache souvent du travail, du travail et du travail, ...

Je me souviens avoir vu il y a quelques années -sur Arte sûrement qui est co-éditeur de ce très beau livre- deux des films de Pierre Etaix, Le grand amour (ah, la scène du lit roulant sur une route de campagne !) et Le soupirant (avec une petite préférence pour ce dernier). Deux films co-écrits avec Jean-Claude Carrière s'il vous plaît, ce puits de connaissance qui me surprend et me fascine à chaque fois que je l'entends par son aisance à parler de tout avec une simplicité déconcertante.

Pierre Etaix, c'est avant tout un clown. Il a créé avec Annie Fratellini, sa femme de cirque, l'École Nationale de cirque dans les années 1970. Tout cela je le savais, et l'ouvrage en parle joliment et largement. On peut aussi aisément deviner l'admiration d'Etaix pour les stars du slapstick et du cinéma muet états-unien : Buster Keaton, Les Marx Brtothers, Laurel et Hardy, mais aussi plus bavard, Jerry Lewis. Par contre, j'ignorais les talents de dessinateurs, peintre ou affichiste de l'artiste : certains dessins représentants ses idoles sont absolument fabuleux. L'un deux en quelques coups de pinceau et peu de détails représentent on ne peut mieux le duo Stan Laurel et Oliver Hardy (p.85). Un autre, sur une double page est l'affiche de "Jerry at zi Olympia 1971" ( p.138/139) : de simples traits de pinceaux, une tête reproduite plusieurs fois, des mains et hop on voit Jerry Lewis dans ses sketches. Et je passe des détournements de tableaux, des photographies, des poèmes, des affiches, des hommages aux gens qu'il a croisés et qui lui ont appris une technique, un art, un gag, ...

Un beau livre à la couverture magnifique qui vous fera découvrir le monde d'un homme discret et à mon goût trop méconnu. En même temps que ce livre sort un coffret avec tous les films en DVD, courts, moyens et longs métrages. Qui a dit chouette ? Moi évidemment ! Puissé-je vous donner envie de (re)découvrir l'œuvre de ce grand créateur... Pour ma part une envie à peine soutenable naît en moi : voir et revoir les films de Pierre Etaix (et je me referais bien aussi ceux de Jacques Tati).

Une petite bande annonce sur le site des éditions Séguier et la même sur celui d'Arte éditions; double chance de faire le bon choix.

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Abécédaire du Tout-Paris

Publié le par Yv

Abécédaire du Tout-Paris, Paul de Vallonges, Éd. Séguier, 2015 (illustrations de Audrey Bussi)...,

Paul de Vallonges, journaliste et écrivain parisien fait sa liste de A à Z des personnalités parisiennes qui comptent en ce moment. Acteurs, actrices, hommes et femmes importants, connus du grand public pour un bon nombre d'entre eux, beaucoup moins célèbres pour d'autres. Ils semblent faire partie du petit monde parisien qui se retrouve dans les soirées, les dîners entre-soi, tout cet univers tellement loin de mes préoccupations... Ce style de livres existe depuis longtemps ainsi qu'il l'explique dans son avant-propos, il se place dans la droite ligne des chroniqueurs mondains anciens et plus récents.

Comme je l'écris dans mon résumé, je suis à mille lieues et même dix mille -et encore c'est faible- lieues du microcosme parisien que Paul de Vallonges décrit. Si je connais beaucoup des noms des personnalités dont il parle certains me sont totalement inconnus et je connais les noms d'autres sans pouvoir les associer à un visage ou une silhouette ni à une œuvre. Néanmoins, j'aime bien l'exercice bourré d'a priori, de vacheries et de tendresse. Un pur snobisme absolument détestable et tellement réjouissant. Évidemment, le mieux c'est lorsque l'auteur de l'ouvrage étrille des personnalités que je n'aime pas ou dont je n'apprécie pas le travail:

"Guillon, Stéphane. Comique dit mordant mis à la porte de France Inter. Traînait, depuis, d'un théâtre l'autre, avec sa tête de chien battu. Apitoyé, Thierry Ardisson lui a offert une nouvelle niche." (p. 65)

"Bourdin, Jean-Jacques. Grenouille de BFM et RMC qui se voit tel un bœuf. Cultive son look de Jean-Michel Apathie chevelu. Comme ce dernier, est persuadé que les questions qu'ils posent à ses invités sont plus importantes que les réponses. Idole des taxis parisiens et des chauffeurs livreurs. Comme eux, ne déteste pas jouer les gros bras." (p.28/29)

Parfois, ça peut paraître complaisant avec d'autres que je ne trouve pas plus intéressantes, Yann Moix ou Eric Naulleau par exemple, excellents dans les réparties, les portraits au vitriol, sans doute bons écrivains, mais suffisants et méprisants envers tous ceux qu'ils n'estiment pas atteindre le niveau de leurs grandeurs, et aux fréquentations plus que douteuses pour au moins l'un d'entre eux. Mais chacun ses goûts et ses détestations.

Paul de Vallonges est drôle, fin, délicat, tout est écrit dans une belle langue jamais vulgaire, même les vacheries sont bien tournées, elles n'en sont que plus fortes. Les compliments sont directs et assumés, seuls sont voilées certaines allusions, certaines "private jokes" qui jouent sur les penchants, les fréquentations, les amours, les amitiés ou les inimitiés des uns ou des autres... Les initiés comprendront, les autres, comme moi, non, mais peu importe, c'est un recueil qui se grignote joliment et gentiment.

Les illustrations d'Audrey Bussi sont gaies, colorées, dans le ton du livre... très parisiennes.

Pour finir, une définition que j'aime bien, qui est dans le ton de tout l'ouvrage et le résume assez bien :

"Province. Enfer du Parisien. Quelques exceptions, selon les saisons : Deauville, Trouville, Guéthary, Saint-Tropez, Cannes, Porto-Vecchio, Megève etc. Des lieux "authentiques"". (p.114)

Ouf, la Bretagne est épargnée... et reste encore l'enfer des Parisiens...

Enfin, une note à l'auteur : dans votre texte sur BHL, bien vu par ailleurs, vous parlez de Pierre Botul qu'il avait pris pour un vrai philosophe alors qu'il n'est que gag littéraire (Botul, pas BHL). j'ai le regret de vous préciser que Pierre Botul existe peut-être, puisque le gag littéraire se prénomme Jean-Baptiste.

Et pour vraiment finir, une chanson de circonstance...

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Lettres contre la guerre

Publié le par Yv

Lettres contre la guerre, Tiziano Terzani, Intervalles (traduit par Fanchita Gonzalez Batlle).....

Trois jours après les attentats du 11 septembre 2001, Tiziano Terzani, grand reporter qui connaît bien le monde en général et le monde musulman en particulier, retiré depuis quelques années en Inde en quête de spiritualité, publie une lettre intitulée Une bonne occasion. Et si ces attentats étaient la bonne occasion pour tout remettre à plat, discuter et ne pas céder à le violence qui entraînera toujours une violence encore plus grande. Quelques jours plus tard, une autre journaliste italienne publie un livre d'une rare violence contre les musulmans. Tiziano Terzani décide alors de reprendre la plume dans diverses régions du monde pour lui répondre et témoigner de ce qu'il voit et vit au contact des musulmans de Kaboul, Peshawar, Quetta.

Ce livre écrit entre le 14 septembre 2001 et le 7 janvier 2002 rassemble 8 lettres prônant la paix, la tolérance et l'entente entre le peuples. Tiziano Terzani après avoir été grand reporter sur tous les grands conflits s'est tourné vers l'Inde et sa spiritualité, s'est posé et est devenu aux yeux de beaucoup d'Italiens le visage de la paix. Il est décédé d'un cancer en 2004. Ce livre a précédemment été publié chez Liana Levi en 2002.

Difficile d'aborder le thème de la tolérance, de l'amour entre les peuples, de la compréhension de l'autre alors qu'il y a quelques jours des attentats terribles traumatisaient Paris, la France entière et bien plus largement encore, quelques mois tout juste après le massacre de Charlie Hebdo. Je me permettrais donc de citer T. Terzani qui intitule sa dernière lettre Que faire ? Et maintenant allons-nous céder à une surenchère dans la violence ? "C'est peut-être ce qui m'a fait penser que l'horreur à laquelle je venais d'assister était... une bonne occasion. Le monde entier avait vu. Le monde entier allait comprendre. L'homme allait prendre conscience, se réveiller pour tout repenser : les rapports entre États, entre religions, les rapports avec la nature, les rapports entre hommes. C'était une bonne occasion pour faire un examen de conscience, accepter nos responsabilités d'Occidentaux et faire peut-être enfin un saut qualitatif dans notre conception de la vie." (p.15) Une grande partie de la réflexion de l'auteur est basée sur sa conception de la vie et des rapports entre les hommes : "... je suis vraiment convaincu maintenant que tout est un et que, comme le résume si bien le symbole taoïste du Yin et du Yang, la lumière porte en elle le germe des ténèbres et qu'au centre des ténèbres il y a un point de lumière." (p.15) Mais il ne s'est pas arrêté à sa réflexion, il est retourné sur le terrain voir comment vivaient les gens en Afghanistan, au Pakistan. Et chaque témoignage est aussi l'occasion pour le journaliste de raconter l'histoire du pays, celle qui explique pourquoi et comment on en est arrivé là. Évidemment, les États-Unis sont montrés du doigt : "Chalmers Johnson répertorie les manigances, les complots, les coups d'État, les persécutions, les assassinats et les interventions en faveur de régimes dictatoriaux et corrompus dans lesquels les États-Unis ont été impliqués ouvertement ou clandestinement en Amérique latine, en Asie et au Moyen-Orient depuis la fin de la seconde guerre mondiale." (p.40). Pour ce "vieux professeur de Berkeley University, peu suspect d'antiaméricanisme ou de sympathies gauchisantes", les attentats sont des contrecoups de cette politique étrangère agressive, les États-Unis sont devenus le Diable aux yeux du monde islamique. L'Europe étant à la remorque des États-Unis, il est loin le temps ou le ministre des affaires étrangères français osait s'opposer à une décision de faire la guerre, elle est elle aussi la cible potentielle d'attentats et l'atroce nuit parisienne du 13/14 novembre est là pour le confirmer.

A chaque fois que Tiziano Terzani apporte des informations, il les confronte à sa réflexion, à ses questions. Il ne prétend pas détenir la vérité, il pose des questions légitimes, il met en doute les certitudes des autres. Ces textes ont quasiment quinze ans et pendant ces années, rien n'a changé. Ou plutôt, si, tout a changé : les positions des uns et des autres se sont durcies. Tellement, qu'il paraît même difficile de parler de la même manière -utopiste- que le journaliste italien. Jusqu'où pourra continuer cette violence ? A-t-on le droit au nom de nos principes occidentaux de s'immiscer dans les politiques de certains pays ? Notre indépendance énergétique doit-elle primer sur la vie des habitants des pays producteurs ? Nos sociétés sont tellement différentes. Le monde que nous proposons, nous Occidentaux, globalisé, mondialisé, abreuvés que nous sommes de culture américaine -même si la France résiste encore un peu à l'envahissement par son cinéma, sa littérature, son mode de vie- est une violence faite à certains pays pas prêts et pas désireux de s'y soumettre. Et qui serions-nous pour l'imposer ?

Mon billet peut sembler brouillon, maladroit et il l'est sans doute. Lors de ma lecture j'ai sans cesse hésité entre l'admiration pour la réflexion de cet homme, sa sagesse et la peur que la violence monte toujours plus haut. J'ai fini ma lecture le 13 novembre au soir. Le matin suivant je me réveille avec les annonces des attentats parisiens et j'écris mon billet ce même jour, à chaud ; j'y mélange les réflexions de Tiziano Terzani et les miennes. J'ai apprécié que cet homme puisse me donner un autre angle de vue, me donner des informations pour continuer ma réflexion : je ne suis sûr de rien, j'écoute et lis beaucoup avant de me faire une opinion et lorsque j'y arrive elle peut encore varier en fonction de ce que je lis et entends. Ce dont je suis sûr cependant, c'est que ce bouquin va rester longtemps en moi et près de moi, je vais même le conseiller à tous ceux qui comme moi s'interrogent sur cette violence et cette haine qui explosent. Et à tous ceux qui savent déjà tout, je le leur conseille également, il les fera peut-être réfléchir et les bousculera dans leurs certitudes.

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Prête-moi ta plume

Publié le par Yv

Prête-moi ta plume, Raymond Penblanc, Éd. Lunatique, 2015....,

Jeanne est née en 1918 en Bretagne sud, dans la campagne à une heure de Quimper. Une grande sœur Marie qui meurt à 18 ans marquant à jamais la petite Jeanne, un grand frère, une petite sœur et un petit frère. Le père meurt aussi, deux ans plus tard, laissant sa mère seule pour élever les quatre enfants qui lui restent. Ce n'est pas la misère ni l'abondance, la famille est unie et aimante, ce qui permettra de surpasser ces tragiques événements. Puis la guerre arrive, celle de 39/45, pas aussi terrible dans cette région la plus à l'ouest de l'Europe. Jeanne travaille jeune pour aider sa mère. Elle tombe amoureuse de Christophe juste avant la guerre. Elle en sera éloignée plusieurs mois. Même taiseuse, en bonne Bretonne, Jeanne vit, Jeanne sourit et rit et Jeanne aime.

Très beau roman de Raymond Penblanc dont j'ai déjà beaucoup apprécié Phénix, lui aussi sur l'enfance. Je ne connais pas les proportions entre la fiction et la biographie de Jeanne, maman de Raymond, mais tout est tellement crédible qu'on a envie de croire à la réalité de cette histoire, entièrement. On peut se projeter aisément dans ce récit, pour moi ce serait plutôt mes grands-parents, ruraux, à peine plus au sud que Jeanne (limite Ille et Vilaine/Loire inférieure comme on disait à l'époque). Raymond Penblanc parle du poids des traditions, de la religion omniprésente dans le pays, culpabilisante : les enfants sont élevés et grandissent dans la peur du péché : "C'est péché, péché, péché. Le monde est bien trop vaste, bien trop compliqué, et elle est bien trop petite, incapable de rien comprendre. Une fille, un garçon, une fleur, un animal, chacun doit demeurer à sa place, à chacun son rôle comme à chacun son dû." (p.29) Alors une petite fille qui regarde des garçons, tout à fait innocemment se pose des questions et craint les réponses. Le Diable est présent, autant que Dieu : "Alors ? Dieu, ou le Diable ? On l'avait oublié celui-là. Qu'il ne t'inspire pas surtout, qu'il ne te pousse pas à t'écarter du droit chemin." (p.29) La tradition, c'est aussi la différence de classe sociale : le fils du directeur de l'usine, même du même âge est infréquentable. Mais Jeanne sait aussi rire avec ses amies et insouciance, notion qui manquait beaucoup à l'époque.

Raymond Penblanc raconte l'histoire de Jeanne avec beaucoup de tendresse et d'amour. Son texte est d'une qualité rare, dénué de toute méchanceté, le style n'est pas moderne -tant mieux, cela aurait gâché le plaisir de lecture et limité le jaillissement des souvenirs personnels-, plutôt classique, intemporel et beau. Poétique, drôle, léger, dur, violent, élégant, admirable, émouvant, plaisant, mélancolique, séduisant, bath, ... je pourrais aligner encore plus d'adjectifs, comme l'éditeur (Lunatique) le fait joliment sur sa page d'accueil.

Ce roman est aussi celui de la passion pour la lecture d'abord puis pour l'écriture. Comment la famille et l'éducation permettent d'écrire et comment l'écriture permet de rendre hommage à ceux qui ont permis que cette passion puisse éclore. Une parenthèse de douceur, de simplicité et de beauté littéraire.

Pour finir, si vous n'êtes pas convaincus, écoutez ces deux extraits lus par Raymond Penblanc et sa fille

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Opération Napoléon

Publié le par Yv

Opération Napoléon, Arnaldur Indridason, Métailié, 2015 (traduit par David Fauquemberg)..

1945, un avion allemand s'écrase sur un glacier islandais, le Vatnajökull. Des recherches sont aussitôt entreprises par les Américains. En vain. En 1999, à la faveur du réchauffement climatique, une partie de l'avion apparaît sur les radars. L'armée étasunienne se rend alors sur place en toute discrétion pour y récupérer l'avion en question. Deux jeunes Islandais sont témoins de ce grand chantier secret, ils sont aussitôt portés disparus. Kristin, avocate à Reykjavik, sœur de l'un de des deux jeunes hommes, menacée elle aussi se met à leur recherche.

Alléchant sur le papier, et finalement décevant... long et écrit dans un style journalistique assez rasoir et qui ne permet que peu d'entrer dans l'histoire. Je m'y ennuie dès le départ, je continue à me languir à la page 100 et puis comme mon ennui persévère, moi je pose les miens (mes verres, sans lesquels je ne peux pas lire) et j'arrête là ma lecture. Je réfléchis alors -ça je peux le faire sans mes binocles- et me pose la question de l'intérêt de sortir ce roman écrit en 1999. Depuis, Arnaldur Indridason a fait beaucoup mieux, même si je l'ai un peu abandonné depuis quelques années, je me faisais d'ailleurs une joie de le retrouver avec cette Opération Napoléon.

Ce qui me tient souvent dans un roman noir, ce sont les personnages, bien sûr, l'intrigue, cela va sans dire et le contexte. Là, tout est noyé sous un flot de descriptions inintéressantes et longues, les personnages ne se dévoilent que peu et le contexte est enfoui dans cette logorrhée pesante. A mon sens, il aurait fallu une révision voire une réécriture de ce roman, plus serrée pour lui donner un véritable intérêt autre que celui de surfer sur le nom d'un des rois du polar nordique de ces dernières années.

Je suis resté totalement en dehors de l'ouvrage, et c'est fort dommage, car j'aurais aimé être passionné par l'histoire des bases américaines en Europe et notamment l'islandaise, j'aurais aimé haleter avec Kristin -entendons-nous bien, en tout bien tout honneur- à la recherche de son frère, détester les méchants Étasuniens sans scrupules, enfin bref passer un bon moment dans le froid et la neige. Hélas, il me faut me rendre à ma raison : ce roman n'est pas fait pour moi, d'où la relative brièveté de mon article, qui, pour une fois, ne lassera pas les foules denses et en délire qui passent chaque jour sur Lyvres (un peu de promo n'a jamais fait de mal, merci de commenter et de faire tourner l'adresse...)

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Varvara

Publié le par Yv

Varvara, Patrick Weiller, Cohen&Cohen, 2015....

Lisant les avis d'obsèques dans le journal Le Monde, un marchand de tableau parisien y voit un jour le nom d'une vieille dame russe qu'il a visitée des années auparavant et dont le tableau d'une jeune fille peinte en 1800 par Elisabeth Vigée Le Brun lui est resté en mémoire. Et pour cause, il est quasiment tombé amoureux de cette toile, du modèle, une quadrisaïeule de la vieille dame. Il fait alors des démarches pour retrouver les héritiers et leur demander de racheter le tableau. Sa quête le mènera à New York. Il y retrouvera le chef d'œuvre, mais son actuel possesseur se livre à des pratiques douteuses en lien avec la mafia ukrainienne de Brooklyn.

Elisabeth Louise Vigée Le Brun (1755/1842) est en plein dans l'actualité culturelle de cette fin d'année puisqu'une exposition -jusqu'au 11 janvier 2016- au Grand Palais de Paris est consacrée à cette portraitiste de Marie-Antoinette et des grands de ce monde à son époque, ce qui lui vaudra l'exil en Russie entre autres destinations au moment de la Révolution

Dans ce roman, Patrick Weiller s'attarde sur les péripéties du marchand de tableau et sur l'histoire de la toile qui est en couverture, le portrait d'une jeune femme d'une vingtaine d'années à la beauté étincelante. Plus qu'un polar, c'est un roman qui permet d'en connaître un peu plus sur les dessous des ventes aux enchères, des pratiques des marchands de tableaux. Une sorte de compte-rendu autour de la tentative d'achat de ce tableau. L'aspect polar intervient surtout lorsque la mafia ukrainienne entre en jeu et que l'on comprend que l'héritier de la vieille dame russe n'est pas franchement honnête. Autour d'une vraie toile, d'une vraie peintre et d'un vrai modèle, Patrick Weiller construit sa fiction fort agréablement. Le rythme n'est pas haletant, mais on est assez vite pris par l'envie d'en savoir un peu plus sur ce tableau, le modèle et sur les mésaventures du marchand, honnête même s'il hésite à s'affranchir de quelques règles tant il est fasciné par la jeune femme peinte, son regard notamment.

Une histoire courte de 138 pages, dans sa superbe livrée noire absolue de la collection Art Noir de chez Cohen&Cohen, la collection qui allie polar et art et que vous connaissez maintenant. Quoi ? Certains la découvrent avec cet article ? C'est mal, ça veut dire que vous n'avez pas lu celui-ci ni celui-là... Un peu d'attention s'il vous plait et de constance à venir me lire, pour piocher plein d'idées lecture bien sûr, mais aussi parce que ça peut faire monter mes statistiques de visites (n'oubliez pas de commenter les articles, c'est encore mieux).

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Ça coince ! (30)

Publié le par Yv

Les profondeurs, James Grippando, Éd. Mosaïc, 2015.. (traduit par Marc Rosati)

Un tueur en série sévit à Palm Beach. Lorsque le corps d'une jeune femme noire est découvert dans les Everglades, tout laisse à croire que le tueur s'est déplacé pour continuer d'agir, mais il pourrait aussi s'agir d'un meurtre à part. Abe Beckham, procureur est vite suspecté puisqu'il connaissait la victime intimement et qu'il a nié. Puis sa femme, Angelina, disparaît. L'agent de FBI, Victoria Santos le soupçonne de plus en plus.

J'ai reçu ce livre par la poste, sans me rappeler si on m'avait sollicité auparavant ou non. Toujours est-il que je tombe sur un écrivain que l'on compare volontiers à Harlan Coben, dont je n'ai aimé que Ne le dis à personne, la suite m'ayant laissé totalement froid. Eh bien là, ça me fait le même effet, la comparaison n'est donc pas usurpée en ce qui me concerne. J'ai la désagréable impression de me retrouver devant une énième série étasunienne avec des meurtres, un tueur en série, des rebondissements qui n'en sont pas, tellement on les a vus ou lus ailleurs. Le roman est bavard, long, n'apporte rien si ce n'est une plongée dans les Everglades, c'est pour moi le seul bon point. A priori James Grippando est très connu -bon pas de moi, avant ce livre il m'était un parfait inconnu- pour ses thrillers précédents, de vrais page-turners ai-je pu lire en bon français. Si on le dit, je veux bien le croire...

Block 46, Johana Gustawsson, Bragelonne, 2015..

Falkenberg, Suède, le corps terriblement mutilé d'une femme est retrouvé sous une barque. Son amie Alexis part sur les lieux pour l'identification. Elle y retrouve Emily, profileuse qu'elle a déjà rencontrée précédemment. Celle-ci lui révèle qu'à Londres, ont été retrouvés les corps de deux jeunes garçons pareillement mutilés que la femme de Falkenberg. La piste qu'elles découvrent les mènera vers le camp de Buchenwald, en 1944.

Une idée de départ pas mal du tout, classique s'il en est, mais parfois le classique a du bon dès lors qu'il est bien traité. Las, je me perds rapidement dans les noms des personnages, la profusion des seconds rôles se mélange dans mon pauvre petit esprit étriqué. En outre, le roman est très haché en tout petits chapitres de deux ou trois pages qui alternent les narrateurs et les lieux, une autre source de perdition pour moi ; cette mise en page, d'habitude dynamique, paradoxalement casse le rythme, qui lorsque je commence à le prendre est changé par un autre point de vue. La première partie est assez longue, bavarde, sentiment accentué par les nombreux dialogues. 

Un thriller qui pourra plaire, sûrement, il n'y a pas de raison, mais pas à moi. Tant pis.

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Violence d'état

Publié le par Yv

Violence d'état, André Blanc, Jigal polar 2015....

Carambolage sur une autoroute lyonnaise. Dans l'amas de tôle, un corbillard avec quatre hommes à l'intérieur morts carbonisés. Mais le plus étrange, c'est que le cercueil est vide de tout défunt et que le fourgon mortuaire est plein d'armes et de drogue désormais envolée en fumée. Le commandant Farel de la PJ lyonnaise est sur les lieux. Lui et son équipe vont bientôt flairer l'affaire d'état. Ils se dépêchent de verrouiller le dossier pour ne pas le perdre et vont remonter vers des hommes qui profitent de leur pouvoir et de leur réseau pour gagner encore plus d'argent dans des affaires louches.

J'ai déjà rencontré l'équipe du commandant Farel dans le roman précédent d'André Blanc, sobrement intitulé Farel. J'avais alors été surpris par le réalisme et la minutie des descriptions de l'auteur. C'est toujours le cas avec Violence d'état. L'intrigue est totalement crédible, elle serait l'une des nombreuses affaires politico-financières dont on a vent depuis une quarantaine d'années. Ce qui m'étonnera toujours, ce n'est pas qu'il y ait des gens de pouvoir tentés par des malversations de tout ordre, mais plutôt qu'ils osent franchir le pas, sachant qu'à un moment ou un autre, ils vont se faire gauler. Ils sont tellement nombreux nos politiques à avoir eu affaire à la justice -et de tous les partis, même ceux du FN qui prétendent être plus blancs que blancs- que le "tous pourris" -que je déteste car je reste persuadé que beaucoup sont honnêtes- devient un leitmotiv que je n'ose plus qu'à peine contredire.

Mais bon, revenons à nos flics lyonnais qui enquêtent sur le trafic d'armes et de drogue. Il n'est pas toujours très simple de s'y retrouver, il faut s'accrocher un peu, parce que l'affaire est complexe, les meneurs sont roués et de peur de fouineurs ou de juges et de flics trop zélés, ils font des montages abscons. André Blanc nous donne des indices à petites doses, pas suffisamment pour que l'on puisse seul, comprendre la totalité de l'affaire. Mais patience, Farel et son équipe nous expliquerons tout à la fin. Belle équipe d'ailleurs que celle de Farel, soudée, une confiance absolue les uns dans les autres, de forts caractères, notamment ceux de Farel et de Lucchini son second, les plus présents dans le roman, avec Jimmy, le nouvel arrivant, as de l'informatique. Et puis, il y a Maud. Maud, c'est l'amie de Farel. Flic à Interpol, elle était déjà là sur le premier tome et se remet très douloureusement d'une agression.

Pour revenir un instant à la construction du livre, j'ai eu la sensation étrange tout au long d'icelui de ne pas tout comprendre, de me dire qu'il valait mieux avoir lu Farel avant de lire Violence d'état, notamment pour les relations entre les personnages. Et puis finalement, non, pas du tout. C'est André Blanc qui construit un puzzle, nous donnant des pièces de temps en temps, mais évidemment jamais trop proches les unes des autres. Il nous oblige à réfléchir, à faire une partie du travail de regroupement nous-mêmes, c'est du grand art. Ce n'est qu'à la fin que tout s'emboîte parfaitement. Ça peut paraître assez classique ce que j'écris là, mais le classique lorsque c'est bien fait et maîtrisé, ça a du bon. La preuve !

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