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De gauche, jeune et méchant

Publié le par Yv

De gauche, jeune et méchant, Zakhar Prilepine, La Différence, 2015 (traduit par Marie-Hélène Corréard et Monique Slodzian).., 

Zakhar Prilepine est l'un des intellectuels protestataires russes les plus actifs. Membre du Parti National-Bolchévique, il écrit régulièrement des chroniques sur ses craintes, ses doutes, sur la société russe qu'il sent partir à vau-l'eau. Il parle aussi de sa vie, de sa femme et de leurs quatre enfants, de leur vie quotidienne pas facile dans ce pays. Découvert en France avec Je viens de Russie, il récidive avec ses chroniques dures, sans concession, mais aussi tendres et volontaires. Zakhar Prilepine, avant d'être écrivain fut soldat, combattit en Tchétchénie, puis fut membre des forces spéciales. Il est aussi connu et récompensé en Russie en tant que romancier, notamment pour son roman Patologii qui raconte sa guerre de Tchétchénie.

On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à Zakhar Prilepine, j'y reviendrai plus tard, mais ce qui est sûr c'est qu'il est franc, direct, cru et parfois brutal, et ça c'est plutôt un compliment. Sa langue est sans fioriture et un chat est appelé un chat. Son opposition au pouvoir russe actuel est permanente, argumentée et virulente. Il n'est pas nostalgique de la période URSS -comment pourrait-on regretter les temps staliniens ?- mais il remarque que depuis la perestroïka de Gorbatchev débutée en 1985, et plus particulièrement depuis 1989 et l'effondrement de l'empire soviétique, les Russes vivent moins bien : "Nous nous en souvenons et comment ! Nous n'étions pas bien loin, nous y avons goûté, même que nous en avons gardé un arrière-goût dans la bouche. Ce sont pendant ces années où, pour la première fois après plusieurs décennies, on a vu des centaines de milliers de vieilles gens jetés à la rue faire la manche dans les passages, tandis que des centaines de milliers d'autres retraités défilaient dans les rues en maudissant les "démocrates", en tapant sur des casseroles." (p.163) Certains vivent mieux, les plus riches sont toujours plus riches mais les plus pauvres plus pauvres. Cette ouverture sur l'Occident a chamboulé la société russe, la mondialisation l'a frappée de plein fouet et a laissé beaucoup d'habitants sur le bord de la route. Zakhar Prilepine aimerait revenir à une société plus juste, plus humaine, basée sur les relations entre hommes et non pas sur le profit pour quelques uns, c'est son engagement à gauche, au Parti National-Bolchevique. Je partage largement son avis sur cette question, là où je ne le suis plus c'est sur son nationalisme qui me gène beaucoup : opposer sans cesse les Russes aux Européens, plus ceci ou moins cela, ne me sied point. Il semble oublier ou ne pas savoir qu'en Europe, des voix s'élèvent comme la sienne, mais avec la chance d'avoir des chefs d'état plus démocrates que V. Poutine (moins c'est compliqué). Je n'aime pas le nationalisme en général qu'il soit de France ou d'ailleurs. Je suis heureux d'être français, je suis persuadé que c'est une énorme chance, mais je n'en tire aucune fierté particulière et il ne me viendrait pas à l'esprit, pour attiser l'orgueil national de tirer sur d'autres nationalités. Il me semble que c'est un mauvais calcul, on doit pouvoir faire changer les choses sans se monter les uns contre les autres, sans se construire en opposition.

Autre point qui me dérange, c'est le vieux schéma qu'il a en tête entre les hommes et les femmes. Je ne l'accuse pas de machisme, bien au contraire, il a une profonde admiration pour les femmes et sait le vrai rôle qu'elles tiennent tant dans la famille que dans la société, mais il reste avec l'idée que l'homme doit être fort, viril et évidemment pas efféminé (mais aucune trace d'homophobie dans ses propos).

Il sait se faite tendre lorsqu'il parle de sa famille, Les trois âges de la vie d'un homme est une chronique poétique et très bien vue sur l'éducation des enfants, tout à fait en phase avec ce que j'en pense et ce que j'essaie de faire à la maison. Beaucoup d'autres points qu'il aborde méritent attention et réflexion à laquelle il participe en donnant son point de vue.

Bref, je ne suis pas toutes les idées de Zakhar Prilepine mais, j'en conseille très fortement la lecture, pour voir une autre facette de la Russie que l'on croit trop souvent soumise à son président, pour lire des textes forts bien troussés, bourrés de références russes -expliquées en bas des pages- qui tirent sur tout le monde et dressent le portrait d'une société russe qui va mal, et sans doute plus globalement d'une société mondiale qui ne se porte pas mieux.

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Trois gouttes de sang et un nuage de coke

Publié le par Yv

Trois gouttes de sang et un nuage de coke, Quentin Mouron, La grande ourse, 2015..

Watertown est dans la banlieue de Boston. Le shérif McCarthy y gère les affaires courantes et se retrouve à enquêter sur le meurtre d'un vieil homme dans son pick up, défiguré et langue coupée. Le coupable idéal est le gendre de la victime, un alcoolique, violent qui lorgnait sa belle-fille, la petite-fille du défunt. Franck est un jeune détective accro à la cocaïne qui traîne dans la ville et qui décide de s'intéresser à ce meurtre. Pas mal de personnages, pas tous glorieux passeront devant les yeux des deux hommes qui eux-mêmes se croiseront.

Aïe aïe aïe, me voici doublement embêté. D'une part ce roman est un cadeau, et d'autre part, je n'aime pas dire du mal des petites maisons d'édition. Mais force m'est de constater que je n'ai pas particulièrement apprécié ma lecture. Si le style de l'auteur est dynamique, vif, punchy même pourrait-on dire en bon français, le contenu ne me sied point à plusieurs niveaux. D'abord, l'enquête est mal ficelée et des zones restent obscures une fois le livre refermé. Ensuite, les digressions ne sont pas toutes intéressantes ni de même valeur, certaines sont carrément ennuyeuses. Et enfin, le ton général du roman ne m'a pas plu du tout. Franck est un dandy, un homme en recherche de la pureté. Pour cela, tout ce qui n'atteint pas ce stade n'est pour lui pas digne d'intérêt. Ce n'est pas vraiment ce postulat qui me gêne, au contraire, il y a de quoi bâtir un personnage pas banal, ce que fait bien Quentin Mouron. Mais le travers est de tomber dans un discours un poil méprisant et défaitiste, celui des blasés de tous poils, et là l'auteur n'évite pas l'écueil. Et c'est fort dommage d'ailleurs, car son shérif McCarthy, humaniste, est trop peu présent dans le texte, il aurait fait un merveilleux contre point au pessimisme, à l'élitisme et au mépris de Franck. En sortant de cette lecture, on hésite entre se bourrer la gueule pour oublier ou aller se pendre dans le chêne au fond du jardin... voire les deux... heureusement pour moi, je n'ai pas de chêne, et mon naturel résolument optimiste reprend vite le dessus. Bon, là, on va me rétorquer que je suis naïf, que l'on ne fait pas de bons romans avec de bons sentiments... mais je sais cela, et je ne demande pas de bons sentiments, je dis même que si le shérif McCarthy avait eu une place égale à celle de Franck, les deux discours auraient été plus forts car contradictoires.

Je dois avouer aussi ma déception quant à la profondeur des personnages, esquissés mais pas fouillées : on ne connaît quasiment rien d'eux sauf la détestation de Franck pour la vie de McCarthy -et de tous les autres bouseux qui ont la malchance d'avoir une femme des enfants un pavillon une voiture et un chien... ouf, j'échappe de peu au stéréotype, je n'ai pas de chien... mais une chatte obèse (je laisse ici quelques secondes pour les ricanements qu'en général ce propos génère, je ne fais pas la fine bouche, moi-même en le disant, il m'arrive de rire)

Malgré tout, ce roman possède de bons arguments : une écriture vive, des changements de rythme, de belles références, j'ai vu en Franck, ce dandy décadent que plus rien n'étonne un peu de Dorian Gray, qui au lieu d'un portrait porterait un ou des masques : "Vous voyez en moi un homme assuré : allons, vous êtes peut-être plus courageux que moi ! Vous me demandez qui je suis... Que répondre ? Un masque, je suis un masque. Appliqué tant bien que mal sur un éclatement, et qui glisse, glisse. La colle tient mal au gouffre." (p.197/198). Tout n'est pas négatif, je pense que l'auteur a de la ressource, mais la posture de poète maudit peut agacer, moi personnellement, elle m'agace.

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La défense

Publié le

La défense, Steve Cavanagh, Bragelonne, septembre 2015 (traduit par Benoît Domis)... 

Eddie Flynn est avocat à New York. Avant cela, Eddie était un arnaqueur, comme son père, pickpocket, arnaques à l'assurance et en tous genres. Depuis une année, il ne plaide plus suite à une affaire qui l'a marqué, qui lui a valu une suspension et une descente dans l'alcool. Grâce à Amy, sa fille de dix ans, il sort d'une cure de désintoxication. Lorsque Olek Volchek, le chef de la mafia russe lui demande de le défendre, Eddie refuse, mais Volchek a des arguments : il détient Amy et il attache une ceinture d'explosifs dans le dos d'Eddie qui doit la déposer sous le siège du témoin protégé qui accuse Volchek de meurtre, sinon il ne reverra plus Amy. Mais Eddie n'est pas un avocat comme les autres, son passé, son métier actuel plus l'adrénaline, tout cela agit sur lui comme des stimulants.

Premier roman d'un avocat ayant lui-même exercé plusieurs métiers auparavant. C'est rapide, haletant du début à la fin. Bon je ne cache pas quelques réserves : d'abord, je ne suis pas très amateur de polars se déroulant lors de procès, ça peut être technique, notamment lorsqu'ils se passent aux États-Unis, celui-ci n'échappe pas à la règle et l'on peut être un peu perdu dans les règles, les amendements évoqués (à moins d'être étasunien ou amateur de roman ou film et série policière américaine, ce qui n'est absolument pas mon cas = deuxième réserve). Ensuite, je me serais bien passé de certaines descriptions lors des acrobaties d'Eddie par exemple, ou sur le temps ou l'architecture du palais de justice ; le livre aurait pu être expurgé de certaines longueurs inutiles, qui ne servent à rien si ce n'est à faire un roman de 400 pages. Ou alors il aurait fallu que le texte en lui-même apportât quelque chose, une belle prose, particulièrement soignée. Là on est plutôt sur de la littérature courante. Sans chichi. Efficacité avant tout.

Malgré tout cela et pour peu qu'on accepte de passer un peu vite des pages, et bien, il est difficile de quitter le roman avant la fin. L'efficacité dont je parlais plus haut est là : on a l'impression d'être dans un film hollywoodien dont on ne ressortira pas plus intelligent mais qui fait passer un bon moment sans se prendre le chou. Les personnages, Eddie en tête sont assez fouillés pour le genre, intéressants, un peu stéréotypés pour les méchants, mais quelques surprises sont au rendez-vous et finalement le dénouement n'est pas si attendu que cela. Steve Cavanagh a su créer une intrigue qui nous tient au-delà du simple rythme imposé par l'explosion de la bombe.

Très bien de temps en temps, mais comme disait une vieille publicité qui me faisait beaucoup rire -elle est ici, si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, ou la découvrir pour les plus jeunes- "Je ne ferais pas ça tous les jours."

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Hizya

Publié le par Yv

Hizya, Maïssa Bey, L'Aube, 2015... 

Hizya est une jeune femme de vingt-trois ans, non mariée, qui vit chez ses parents en Algérie. Elle est traductrice, mais comme beaucoup de filles diplômées, elle ne trouve pas de travail dans son domaine, elle se rabat donc sur un emploi de coiffeuse dans un salon réputé qui accueille deux autres jeunes femmes comme elle. Elle rêve du grand amour, de liberté, mais elle est sans cesse surveillée par ses frères et dans ce pays, elle ne peut pas fréquenter qui elle veut comme elle veut. La tradition est fortement ancrée qu'une fille obéit, et s'y ajoute le poids de la religion accentué par les dérives récentes.

Maïssa Bey est une auteure algérienne qui publie depuis quasiment vingt ans chez le même éditeur, L'aube. J'avais entendu parler d'elle mais ne l'avais pas encore lue. Son roman puise dans les légendes, les figures féminines algériennes, celles qui se sont dressées contre la dominance masculine, comme Hizya, héroïne d'une élégie du poète algérien Mohamed Ben Guittoun composée en 1878 et intelligemment reproduite à la fin de l'ouvrage que je tiens en mains. Cette Hizya a refusé tous les hommes qu'on lui présentait pour pouvoir épouser celui qu'elle aimait, Sayed. Elle est morte à vingt-trois ans, un mois après son mariage.

L'autre Hizya, la jeune femme du roman se pose beaucoup de questions : à son âge beaucoup de femmes sont déjà mariées et mères et elles restent à la maison pour s'occuper de la famille. Hizya rêve d'indépendance et d'amour partagé. Elle se confronte alors aux traditions, mais elle rencontre aussi beaucoup de femmes qui refusent les diktats des hommes.

Bien qu'un peu long parfois, c'est un roman qui se lit assez vite, notamment grâce à sa construction en petits chapitres qui dialoguent entre eux. D'une part, le quotidien d'Hizya, puis en italique, introduites par le "tu", les réactions et interrogations que ces événements suscitent en elles, ce qu'elle aurait pu ou dû faire, les reproches qu'elle se fait, souvent en relation à ses peurs, ses doutes.

Roman de femmes écrit par une femme. Féministe, sûrement, tellement il est difficile de vivre en tant que femme dans un pays dans lequel leurs droits sont quasi nuls, mais dans lequel elles ont une pléthore de devoirs. Maïssa Bey fait vivre son héroïne dans un monde macho, terriblement difficile : "Autour de toi, chaque jour, des femmes, des jeunes filles -ni princesses ni filles de pacha- se font insulter, agresser, parfois violer. Pourquoi ? Certaines parce qu'elles sont dans la rue, simplement. D'autres parce qu'elles portent des vêtements jugés provocants, offensants pour la morale. On les accuse de trouble à l'ordre public. Des tarés, des frustrés, des excités, et parfois des gamins à peine pubères, considèrent qu'elles occupent un territoire qui leur est réservé et qu'elles le polluent par leur seule présence." (p.221/222). Maïssa Bey parle de tout sans tergiverser : de la peur d'Hizya de rencontrer une connaissance à elle lorsqu'elle se promène dans la rue avec un garçon, des viols domestiques subis par les femmes mariées, des multiples grossesses, de la soumission aux hommes, de certaines qui sont quasiment les esclaves de leurs maris, obligées de céder à toutes leurs demandes, de la peur de la montée de la religion extrême et des carcans qu'elle dresse devant les femmes, du port du voile, de sexualité, de la pauvreté du pays qui peine à garder ses diplômé(e)s, ...

Maïssa Bey ne mâche pas ses mots, et ça fait du bien de les lire. Je ne suis pas sûr qu'elle soit en odeur de sainteté auprès des mâles algériens, au moins ceux qui persistent à croire que les femmes leurs sont inférieures et inféodées.

Un roman qui s'il ne nous apprend pas grand chose que nous ne sachions déjà a le mérite de mettre le doigt sur toutes ces inégalités d'une manière forte et sans équivoque. Le portrait d'une femme de notre époque confrontée aux archaïsmes masculins et religieux.

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L'autofictif au petit pois

Publié le par Yv

L'autofictif au petit pois, Éric Chevillard, L'arbre vengeur, 2015....

Éric Chevillard est écrivain, publié notamment chez Minuit, j'ai lu et aimé de lui La nébuleuse du crabe. Il tient aussi quotidiennement un blog, L'autofictif, dans lequel il écrit des pensées, des aphorismes, des digressions, des mini-dialogues avec ses filles Suzie et Agathe, ... Je vais le lire de temps en temps, mais la plupart du temps, j'oublie. La bonne idée fut donc de publier son journal. C'est L'arbre vengeur qui s'en charge. L'autofictif au petit pois est le septième tome, paru au tout début de cette année.

C'est typiquement le genre de livre qu'on ouvre, referme et ré-ouvre de temps en temps ou régulièrement. Je l'avais un peu oublié depuis quatre ou cinq mois lorsque je l'ai retrouvé au fur et à mesure que je réduisais la pile de livres sur ma table de chevet. Ah chouette, me suis-je dit. Et là, je me suis aperçu que j'en avais lu la moitié, et annoté une grande partie. J'ai repris où je m'étais arrêté, tranquillement.

Éric Chevillard, c'est d'abord une belle écriture mais aussi un esprit un rien barré. Dans son Autofictif, il est drôle, méchant gratuitement -ça c'est pour les gens qu'il n'aime pas mais que j'aime bien-, méchant et bien vu -ça c'est pour les gens qu'on n'aime ni lui ni moi-, agaçant, philosophique, anecdotique, poétique, familial, pas terrible, vachement bien, absurde, ubuesque, littéraire, exigeant, facile, vain, utile, vache, ... Du Chevillard quoi. Très doué, qui ne peut laisser indifférent, parfois imbu, sûr de sa qualité et élitiste, ce qui peut parfois ressembler à une posture. En quelques occasions, il me fait penser à Desproges, cet élitisme et cette méchanceté drôle, lui qui, par exemple pleurait "comme un môme" à la mort de Brassens "Alors que -c'est curieux-, le jour de la mort de Tino Rossi [il reprenait] deux fois des moules."

Le mieux est de finir avec quelques extraits parmi les très nombreux que j'ai relevés, tiens, le premier je le garde sous la main au cas où j'ouvrirais un livre vraiment mauvais :

"Il a certes consacré deux ans à l'écriture de ce livre. Mais la bouse aussi est le produit d'une longue et lente rumination" (p.148)

"Pris d'une audace inhabituelle, j'osai cette fois aborder la jeune femme sublime qui passait dans la rue : "- Si vous saviez, Mademoiselle, comme vous seriez plus charmante encore si vous n'étiez pas lestée comiquement de ce pignouf un peu gras pendu à votre bras." Or, à mon grand étonnement, ce conseil de beauté désintéressé, offert sans autre espoir de récompense qu'un baiser appuyé et un doigt dans le cul, ne fut pas reçu avec la reconnaissance que j'étais en droit d'attendre et je me retrouvai sans bien comprendre comment allongé sur le trottoir avec la lèvre fendue." (p.11)

"Ce qu'il ne faut pas faire pour avoir la chance d'étreindre de belles femmes lorsqu'on est affligé d'un physique ingrat ! Je connais au moins deux types dans ce cas qui n'ont pas eu d'autre choix que d'accéder à la fonction suprême de Président d'une république que je préfère ne pas nommer par respect pour la vie privée de sa population." (p.87)

Et pour finir en beauté et intelligence, voici sans doute deux de mes préférées concernant deux grands pour qui j'ai une admiration profonde :

"La musique porte des émotions simples, l'exaltation, la mélancolie, la douleur, la colère, la joie - mais une musique perplexe ? une musique ironique ? une musique au second degré ? C'est la grande originalité de Satie : alors que les écrivains se flattent tous d'écrire des pages musicales, il est l'inventeur d'une musique que l'on peut sans abus qualifier de littéraire." (p.119)

"Quant au noir de Pierre Soulages, Sétois lui-même (on se comprend), voici le rideau tombé enfin sur la débauche des formes et l'orgie des couleurs -nous jouissons du calme revenu dans le musée éteint, et pourtant il ne s'agit nullement d'un retour à la niaise candeur de la toile blanche : cette nuit est hantée par les scènes et les figures de tous les tableaux qui nous reviennent avec la précision du rêve (ou du cauchemar)" (p.119/120)

 

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A l'Est

Publié le par Yv

A l'Est, Jean Gab'1, Don Quichotte, 2015.., 

Le père de Charles a tué sa mère et les enfants ont été placés en foyer. Après en être parti vers 17 ans, Charles a fait pas mal de bêtises qui lui ont valu des séjours en prison. En 1988, il part d'abord en Allemagne, pays dans lequel il retrouve des potes et participe à des vols de voitures et à un acheminement jusqu'en Turquie. Puis, il part ensuite aux États-Unis. Il y suit Pat un copain. Là-bas, c'est plutôt drogue et extrême violence qui seront son quotidien. Son but : vivre intensément et palper un maximum de fric.

Charles est le double à peine caché de Jean Gab'1, de son vrai nom Charles M'Bouss. Après une enfance pour le moins chaotique, il devient rappeur sous son pseudonyme, puis écrit un premier livre : Sur la tombe de ma mère dans lequel il se raconte déjà. A l'Est est le récit romancé (on est sans doute plus sur de l'autobiographie, mais le mot "roman" est inscrit sur la couverture) de son été et début de l'automne 1988, il vient alors tout juste de passer les vingt ans.

Ce qui surprend agréablement c'est la langue de Jean Gab'1 : de l'argot dont je ne connais pas tous les mots mais finalement qu'importe, même si le sens d'un vocable échappe, la signification globale de la phrase est à la portée des lecteurs, même non rappeurs, même non amateurs du genre en général. On est de la même génération avec l'auteur et je saisis donc les références télévisuelles, musicales, les marques de fringues et même les modèles de voitures. Mais assez vite, je commence à décrocher, tellement je suis loin de cet univers, même si l'écriture me retient encore :

"J'ai levé le pied pour aller me repoudrer le tarin. Le blaire dans la sciure, je me suis mis le cervelet dans le formol avant de taper le goujon avec l'aspirateur d'à côté, un mecton qui faisait partie de la garde rapprochée de Maine. Il avait des lianes greffées sur le scalp et des gouttelettes tatouées sur la poire comme s'il miaulait. C'était déjà pas une gravure, alors la larmichette n'arrangeait rien. Tu me diras, l'art c'est subjectif." (p.138)

Et puis, et puis, ce qui devait advenir advint, je me suis ennuyé, j'ai trouvé le temps long en Allemagne mais j'ai tenu. Mais la vie au États-Unis, entre l'alcool, la drogue, la violence exacerbée, ça m'a gonflé : c'est répétitif, long, j'en ai eu ma dose voire une overdose. Je peux ne pas être le plus rapide des lecteurs, le plus fin de la comprenette, mais bon, en trente pages j'avais pigé ce que Jean Gab'1 m'explique en une centaine. Fin de partie pour moi.

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Les nuits de laitue

Publié le par Yv

Les nuits de laitue, Vanessa Barbara, Zulma, 2015 (traduit par Dominique Nédellec).., 

Otto et Ada vivent depuis cinquante ans dans une grande maison jaune dans cette petite ville brésilienne. Ils aiment le chou-fleur à la milanaise, le ping-pong et les documentaires animaliers. Puis, Ada meurt. Otto reste seul. D'autant plus seul que c'est Ada qui participait à la vie du quartier. Les voisins d'Otto sont tous plus déjantés les uns que les autres : Nico est un préparateur en pharmacie passionné par les effets secondaires des médicaments ; Anibal est un facteur qui a une manière très originale de distribuer le courrier, il se moque des destinataires ; Iolanda est une vieille femme qui vit avec des chihuahuas encombrants ; Teresa est une dactylo à domicile qui doit surveiller sans cesse ses chiens qui fuguent et font de gros dégâts ; M. Taniguichi est un centenaire japonais arrivé au Brésil après avoir continué la seconde guerre mondiale jusqu'en 1978, seul aux Philippines ; Mariana est une jeune mariée, anthropologue que son mari délaisse souvent pour ses déplacements professionnels.

Ce premier roman d'une jeune auteure brésilienne est barré, empli de personnages loufoques, franchement déjantés. La palme revient pour moi à Nico ce passionné des médicaments et de leurs effets secondaires et des interactions entre eux tous. Il est aussi un jeune homme énamouré et timide qui évidemment a du mal à parler à l'élue de son cœur qui ne partage sans doute pas sa passion il est vrai peu commune. Otto, lui, seul dans sa maison observe tous ses voisins, il sent qu'on lui cache des choses et en bon amateur d'histoires policières, il se bâtit un scénario qui file tout le long du roman, surtout dans sa dernière partie.

C'est un roman assez inégal, qui multiplie les bonnes idées, comme les fantaisies des protagonistes, leurs lubies voire leurs délires, qui utilise la réalité (par exemple, il a bien existé un soldat japonais qui a continué sa guerre jusque dans le milieu des années 70 et est venu ensuite vivre au Brésil, Hiro Onoda), qui sait user des codes du polar pour finir en beauté. Malgré cela, il est un peu long et certains passages sont ennuyeux que j'ai passés sans état d'âme pour arriver vite à cette fin vraiment bien fichue.

Frais, original et fin ce roman aurait gagné à être élagué pour gagner en énergie. Néanmoins m'en restent un bon souvenir, la découverte d'une auteure à suivre et une recette de tisane à la laitue pour combattre les insomnies, que personnellement, bien que souffrant d'un sommeil capricieux, je ne suis pas prêt à essayer, d'abord parce que la recette ne m'apparaît pas vraiment sexy : "Après cinq minutes de cuisson [des feuilles de laitue dans de l'eau], et de silence solennel (Otto craignit que son épouse ne s'endorme sur place), l'eau prit une couleur jaune-verdâtre et Ada se félicita du succès de l'opération. Elle couvrit la solution herbacée, attendit encore un peu, puis servit son mari qui, à ce stade, s'était déjà enfui dans le jardin." (p.80), et ensuite, parce que la laitue n'est pas ma salade préféré, rien en vaut une roquette ou une mâche... nantaise bien sûr.

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Libertalia

Publié le par Yv

Libertalia, Mikaël Hirsch, Intervalles, août 2015..... 

1872, la France a perdu la guerre contre la Prusse deux ans auparavant, l'empire est effondré et la toute jeune république est encore fragile. L'Alsace-Lorraine est cédée à l'Allemagne depuis quelques mois mais certains Alsaciens veulent rester français, ils doivent alors quitter le territoire. Les optants, comme on les nomme se retrouvent donc sur les routes : ainsi en est-il de Baruch Lehman et d'Alphonse Muller qui s'y rencontreront et deviendront inséparables. Ils rêvent tous les deux de liberté, sont passionnés par Libertalia, une colonie libertaire fondée sur l'île de Madagascar par un pirate, Olivier Misson. Les deux hommes arrivent à Paris et chacun choisira une vie différente, en restant très amis et très liés.

En préambule, je dois dire ici que je pense beaucoup de bien de Mikaël Hirsch. J'ai lu ses quatre précédents romans : Le Réprouvé, Les Successions, Avec les hommes, Notre-Dame des Vents et à chaque fois j'ai été enchanté. Libertalia ne déroge pas à cette règle et dès le début, je suis resté scotché par les phrases magnifiques de l'auteur ; la présentation de Baruch et d'Alphonse par exemple qui tient en deux paragraphes, simples :

"Il se prénommait Baruch, comme Spinoza dont il ignorait tout et se nommait Lehman, comme son père Nathan, marchand de céréales à Fegersheim à l'époque où celle-ci n'était pas encore une banlieue-dortoir de Strasbourg, mais une petite commune agricole des bords de l'Ill. Migrant vers l'intérieur, il traînait dans un grand sac de cuir quelques sauf-conduits rédigés en lettres gothiques et du linge immaculé que lui avait donné sa mère.

C'est en 1872, peu avant Belfort, sur une route accidentée et longeant une forêt de hêtres, à hauteur de Rougemont-le-Château, que Baruch Lehman rencontra Alphonse Muller, dit Fons. Celui-ci avait lu Proudhon, se disait anarchiste, avait exercé la profession de géomètre auprès d'un notaire de Mulhouse et se trouvait assis, au bord du chemin, sous un ciel changeant qui annonçait l'orage." (p.9)

Ainsi donc commence cet ouvrage. Comment résister à poursuivre et surtout pourquoi, puisque les phrases suivantes seront au moins aussi belles et tentatrices ? Un style littéraire hors du temps, une référence assumée -je pense- aux auteurs du dix-neuvième, juste un peu avant ou totalement contemporains à l'époque dont parle M Hirsch, Flaubert, Balzac et surtout Stendhal. Un réel plaisir, un régal assuré.

Et l'histoire maintenant ? Eh bien, à l'instar de Stendhal, elle se déroule lentement, sans cesse coupée par des descriptions splendides, des rappels historiques, et de multiples faits, toujours en lien avec la vie des deux héros. Baruch, devenu Bernard pour ne pas être doublement stigmatisé par ses origines alsaciennes et juives, devient l'un des principaux chefs de chantier de la Statue de la Liberté construite par Bartholdi avant d'être envoyée aux États-Unis. Il s'établira à Paris, épousera Rachel et fondera une famille. Fons deviendra géographe, franc-maçon, associé aux missions menées par Ferdinand de Lesseps avant le perçage du canal de Panama, ira partout dans le monde pour cartographier tel ou tel pays ou région. Mais chacun garde en tête Libertalia, cette colonie malgache.

Ce roman est celui de la quête éperdue de la liberté dans une époque en pleins bouleversements : l'avènement de la République, la reconstruction du pays après la guerre, la construction de quelques édifices importants (Statue de la Liberté, Tour Eiffel, le Sacré Cœur construit pour expier les crimes des communards, ...), la transformation de Paris (Haussmann vient tout juste de finir son travail commandé par Napoléon III), le désir des colonies : l'empire colonial français est quasiment à son apogée, il y a donc beaucoup à faire et à prendre dans ses terres lointaines, ...

"Et si la liberté n'était finalement pas une idée, mais bel et bien un endroit..." m'a écrit Mikaël Hirsch en dédicace, c'est exactement cela que Fons et Bernard vont chercher toute leur vie au risque de passer au travers de ce qu'ils vivent au quotidien, de ne pas y trouver leur bonheur -mais est-il un endroit lui aussi ?

Je pourrais encore parler de ce roman des heures tant il est dense : 140 pages qu'il ne faut pas lire trop vite, de peur de perdre le fil mais surtout pour ne pas rater un mot -aucun n'est superflu-, une phrase ou une tournure qui, personnellement, me font un bien fou et me plaisent de plus en plus à chaque livre de Mikaël Hirsch. Un auteur à lire absolument si vous ne l'avez point déjà fait ou à relire si vous avez déjà goûté à sa prose.

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Comment j'ai perdu ma femme à cause du tai chi

Publié le par Yv

Comment j'ai perdu ma femme à cause du tai chi, Hugues Serraf, L'aube, août 2015.., 

Un homme se retrouve en prison, à deux dans une petite cellule, avec celui qu'il nommera Coloc. A Coloc qui lui demande les raisons de son enfermement, il raconte que sa femme a disparu et qu'on a retrouvé ses empreintes à lui sur un sabre et du sang sur icelui. C'est donc logiquement qu'il se retrouve en préventive pour les supposés meurtre et découpage de Luz, son épouse. Mais Coloc est curieux et le narrateur a besoin de s'épancher, il lui raconte donc tout depuis leur rencontre jusqu'à l'engouement de Luz pour le tai chi.

Court roman qui s'il ne tient pas réellement les promesses de la quatrième de couverture ("coup de cœur assuré") ne déçoit pas vraiment non plus. Disons qu'il est très agréable à lire, qu'on sourit souvent, qu'on frémit aux descriptions des conditions de vie en prison, mais que ce n'est pas le chef d'œuvre de cette rentrée littéraire. On passe un bon moment et c'est déjà un très bon point pour un livre. Que me restera-t-il de ma lecture dans quelques semaines ? Je n'en sais rien, mais je ne parierai pas sur des souvenirs vivaces.

Le gros point positif de cet ouvrage est son ton moderne et drôle, même les plus grands malheurs de cet homme sont racontés avec humour. Il a pas mal de recul sur sa vie, son œuvre, pour preuve l'extrait qui suit, un dialogue entre lui et Coloc lors de leur visite de la bibliothèque de la prison :

"Hé hé, les bouquins que tu écris, ils les ont peut-être ici. Ça serait marrant.

- Ça serait marrant mais ça m'étonnerait beaucoup. Je ne suis pas assez connu. A la FNAC, ils me mettent sur les étagères du bas, pas sur les tables avec les best-sellers.

- Si t'es condamné, ça te fera de la pub ! Toutes les bibliothèques des prisons voudront les avoir en rayon !"

Sûrement. Le succès, à quoi ça tient..." (p.84)

Le seul point qui pour lui ne peut prêter à l'humour c'est sa femme, l'amour qu'il a pour elle et sa peur de la perdre. Il subit, il subit, jusqu'au jour où...

Pas inévitable, mais si vous avez un petit coup de blues avec des lectures plombantes ou un besoin absolu de rire un peu, n'hésitez pas, deux à trois heures de lecture vous suffiront pour lire l'entièreté de ce roman et pour retrouver le sourire.

PS : le plus drôle, encore que je ne sais pas si ça l'est vraiment, Madame Yv vient tout juste de s'inscrire au Tai chi (mais elle n'a pas lu le livre)

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