Poisons de Dieu, remèdes du Diable
Poisons de Dieu, remèdes du Diable, Mia Couto, Éd. Métailié, 2013 (traduit par Elisabeth Monteiro Rodrigues)
Sidonio Rosa est un jeune médecin portugais qui arrive au Mozambique, dans la petite ville de Vila Cacimba, à la recherche de la femme qu'il aime et qu'il a rencontrée au Portugal, retournée depuis dans son pays, Deolinda. Sidonio se lie avec Bartolomeu et Munda, les parents de la jeune femme, en attendant le retour de celle-ci partie faire un stage à l'étranger. C'est pour lui de longs moments d'échanges avec l'ancien marin-mécanicien, malade, qui ne sort plus jamais de chez lui et sa femme qui souffre de solitude.
Très particulier ce roman qui commence très doucement. Tellement doucement, qu'à un moment on est en droit de se demander si ce n'est pas juste un rapport des discussions entre Bartolomeu et Sidonio, parfois intéressantes, parfois futiles, souvent redondantes. Car, même si l'auteur aborde des thèmes aussi sérieux que l'esclavage, le racisme, le rôle des femmes dans la société mozambicaine et portugaise, l'amour, la solitude, l'absence et la mort, eh bien, tout cela se lit, certes sans désagrément mais sans intérêt véritable. Des dialogues qui s'enchaînent. Mais, parce qu'il y a un "mais", la seconde partie est nettement plus fertile en rebondissements et réflexions. Tenez bon les 60/70 premières pages (encore une fois sans forcer, mais sans enthousiasme) et vous serez récompensés par les 100 dernières.
Mia Couto dialogue beaucoup, fait preuve d'humour :
"Et il arriva qu'à force d'être assis à attendre, ses parties basses se mirent, comme il le dit lui-même, à descendre, descendre, descendre. De l'aine, elles tombèrent aux genoux, des genoux aux chevilles.
- C'est pour ça que je ne lâche pas mes chaussettes, mes intimités rasent le sol.
- Bon, Bartolomeu, vous avez peur de quoi finalement ?
- J'ai peur d'écraser mes couilles." (p.16)
Son écriture est alerte, vive et précise, très imprégnée de culture africaine, des coutumes, croyances et légendes. Elle regorge d'aphorismes : "On fait tous l'éloge du rêve qui est la compensation de la vie. Mais c'est le contraire, docteur. Vivre est nécessaire pour se reposer des rêves." (p.18) ; "Le reste de la conversation glisse dans la métaphysique. Qui avait vécu là ? Le réceptionniste, subterfugitif, divague : le fait d'avoir vécu n'existe pas. Vivre est un verbe sans passé." (p.57) Elle est emplie également de néologismes très aisément compréhensibles dont celui que vous venez de lire "subterfugitif", "définitifier", "imbéciliter", "kangourouant", ... ou alors, ce sont des erreurs de traduction, mais ce serait faire injure à E. Monteiro Rodrigues.
Tous ces extraits sont dans la première partie, la plus légère. La seconde partie est beaucoup plus sombre et noire et si l'écriture reste alerte, vive et précise, l'humour a tendance à y être moins présent au profit d'une description d'un pays qui est sorti récemment de la colonisation, avec les conséquences sur ses habitants, la prise du pouvoir par certains, les familles qui survivent lorsque le chef de famille a perdu son travail, la misère, les rivalités dans une petite ville, ...
Un auteur mozambicain, né de parents portugais exilés, que je découvre avec ce livre et que je suivrai.