Meurtre dans le boudoir

Meurtre dans le boudoir, Frédéric Lenormand, Le Masque, 2013 (Lattès, 2012)...,
En l'an de grâce 1733, Voltaire est fébrile. Son prochain livre, Les lettres philosophiques anglaises dont il nie la paternité risque bien de lui valoir un autre séjour à la Bastille. C'est aussi le moment où un assassin s'inspire d'un roman licencieux pour faire son ouvrage. Sollicité par le lieutenant de police Hérault et espérant par l'aide qu'il peut lui apporter une certaine clémence dudit Hérault, Voltaire se lance à la recherche de l'auteur du roman inspirateur des meurtres et à la poursuite de l'assassin.
Deuxième tome des aventures de Voltaire mène l'enquête, qui est pour moi le premier que je lis et qui est également une belle surprise. Un roman policier historique donc, vous vous en doutez puisque François-Marie Arouet, dit Voltaire en est le héros. Malgré lui serais-je tenté de dire, parce qu'il va enquêter dans les endroits libertins de Paris pour tenter de sauver la chèvre et le chou, c'est-à-dire, à la fois son nouveau livre (même s'il nie en être l'auteur) et sa liberté, car l'un pourrait bien lui valoir l'autre ; mais aussi en toute connaissance de cause, car Voltaire aime bien se mettre en avant, adore qu'on parle de lui. Frédéric Lenormand fait de Voltaire un être geignard, vantard, cabot (ce qu'il devait être sans doute), qui se plaint de ses maladies, de ses douleurs stomacales et ne jure que par les lavements et les lentilles (il est alors âgé de 39 ans, et vivra encore 45 ans !). Mais c'est aussi un homme à l'esprit particulièrement brillant et vif, pas avare de quelque vacherie :
"Ces objets étaient d'autant plus faciles à identifier qu'ils portaient le blason des princes de Guise, "des gens charmants, tout à fait libertins, très propres à s'être trouvés dans cette maisonnette alors qu'on y assassinait un homme en tenue d'Adam".
-Pensez-vous que le prince..., dit Emilie
- Le seul crime dont je le crois capable, c'est de servir du bordeaux avec une sole meunière." (p. 45/46)
Voltaire est aussi, lorsque ses investigations l'y obligent, un vrai casse-cou, un Belmondo en personne, qui ne pense plus alors à ses douleurs, mais peut marcher sur un rebord de mur à vingt pieds du sol (environ 6.50 mètres), quitte à s'écraser et repartir comme si de rien n'était. F. Lenormand met son personnage dans des situations périlleuses, dans des lieux dans lesquels on ne pourrait pas forcément l'imaginer, lui qu'on pense plutôt être un adepte des salons où l'on cause philosophie, ce qu'il fait d'ailleurs causer philosophie, même lorsqu'il escalade ou franchit un obstacle ! Une fois accoutumé à la narration particulière de l'auteur, on prend un grand plaisir à lire les aventures de Voltaire, on croise Crébillon père et fils, Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet, maîtresse de Voltaire et aide précieuse, des mathématiciens célèbres, car en plus d'être la maîtresse de Voltaire, Émilie était aussi une femme instruite (à l'époque c'était assez rare), scientifique reconnue. L'écriture est disais-je particulière, qui peut emprunter des tournures anciennes pour mieux coller à l'époque décrite, qui procède aussi parfois par ellipses ; elle est à la fois précieuse, drôle, enlevée, légère et érudite, pleines de des bons mots de Voltaire, de ses réparties cinglantes.
En résumé, un très bon roman policier, original quant à la participation active du personnage principal, un peu moins sur l'intrigue, mais peu importe, le plaisir est bien là, présent de bout en bout, et je compte bien passer plusieurs jours encore cet été en compagnie de Voltaire puisque les tomes 3 et 4 m'attendent. Il y a pire compagnie...