Manuel de survie à l'usage des incapables

Manuel de survie à l'usage des incapables, Thomas Gunzig, Au diable Vauvert, 2013...
Dans un monde où tout est référencé, objets comme animaux et même humains, où une femme peut accoucher d'enfants avec de gènes d'animaux, loup, serpent, loutre, ... survit encore le modèle dominant de notre société de consommation : l'hypermarché, la grande surface !
Jean-Jean y travaille, obligé de surveiller Martine Laverdure, caissière légèrement lente que ses patrons veulent renvoyer. La raison sera sa liaison avec un autre employé Jacques Chirac Oussoumo, liaison qui pourrait interférer négativement sur leur rendement. Martine ne supporte pas le licenciement et meurt lors d'un accident bête. Ses quatre fils, délinquants notoires, violents et imprévisibles, aux gênes prononcés de loups et prénommés Blanc, Gris, Brun et Noir, veulent la venger et recherchent Jean-Jean, désormais protégé par Blanche de Castille Dubois, une jeune femme surentraînée.
Un roman qui débute très bien, dans une critique très drôle de notre société de consommation. Un rythme et un humour très enlevés, des références à notre quotidien de consommateurs détournées non pas pour alléger la charge mais pour la rendre comique :
"Marianne ouvrit les yeux. Il faisait presque complètement noir. Quelques photons se glissaient timidement sous l'encadrement d'une porte, juste assez nombreux pour dessiner les contours de ce qui avait l'air d'une salle de bains : une baignoire aux reflets opalins, les formes fantomatiques d'un évier et d'une toilette. Une chose était certaine, elle n'était pas chez elle, l'odeur de charogne et d'excréments qui saturait l'atmosphère le lui confirmait. Chez elle, la salle de bains était un endroit à la propreté clinique, passé au quotidien à la lessive Saint-Marc formule antibactérienne et délicatement parfumée au bois de santal par un diffuseur électrique." (p.166/167).
De nombreuses trouvailles et originalités, comme ces hommes ou femmes à gènes d'animaux qui en ont donc une partie des comportements ou des caractéristiques physiques, un style résolument enjoué, direct, provocateur et insolent. Des digressions philosophiques, économiques, historiques, géographiques très nombreuses, et très souvent drôles. Mais la profusion de ces parenthèses m'a amené jusqu'au rejet. Là où au début, je rigolais, m'instruisais me disais que l'auteur avait du culot et un talent fou, j'ai fini par me dire qu'il abusait du principe un peu, puis beaucoup.
Bon titre, belle couverture (bien vu, le diable de l'éditeur qui pousse un caddie), beau style et très bonnes idées pour un roman qui, s'il n'est jamais franchement décevant, n'est pas non plus totalement enthousiasmant ni convaincant, parce que trop étiré, trop affaibli par une répétition d'un processus drôle au départ puis lassant. L'impression d'un café (trop) allongé un peu fade là où on aurait pu déguster un expresso bien dosé, efficace prompt à tenir en éveil et à donner la pêche. Pour moi qui lis souvent en buvant un café, la métaphore s'est imposée.
Pourquoi aller aux 400 pages lorsque le sujet en moitié moins tiendrait largement la route et convaincrait ? Mystère de l'édition...
D'autres avis plus positifs ailleurs : Babelio, Keisha.