Les blondes et papa

Les blondes et papa, Charles Exbrayat, Le masque poche, 2014 (Librairie des Champs-Élysées, 1961)....
Ianto Morgan, gallois, veuf, vit avec sa fille de douze ans Buddug. Devant les femmes blondes, il perd tous ses moyens et est capable de faire des bêtises. C'est un homme discret, un brin naïf qui ne peut tenir tête à Buddug, une fillette étrangement raisonnable, qui mène la maison, qui est fiancée à Caradog d'un an son aîné, garçon au tempérament identique, raisonnable qui vit seul avec sa maman, Meredid Price, brune, veuve elle aussi et secrètement amoureuse de Ianto. Lorsque ce dernier part à Cardiff pour retrouver une jeune femme, il dit à Buddug que c'est pour affaires. Mais lorsqu'il est accusé du meurtre du mari de cette femme, blonde, Buddug et Caradog ne se démontent pas : ils demandent à la tante de Caradog, Sioned de les héberger et des les aider à faire la lumière sur cette histoire.
Un retour dans l'adolescence et mes jeunes années d'adulte pendant lesquelles je lisais du Charles Exbrayat à tour de bras et que j'avais un peu délaissé dernièrement. Quelle erreur ! Quel plaisir de redécouvrir tout son talent d'écrivain alliant belle plume, humour et suspense. Pour le suspense, c'est vrai que depuis on a lu plus vif, mais si le dénouement n'est pas une véritable surprise (on peut même le deviner dès le début), les chemins empruntés par les policiers et par le trio Buddug-Caradog-Sioned sont sinueux et on les suit avec le même plaisir que les chemins buissonniers. Chez Exbrayat, on déteste les raccourcis. Pour la belle plume, je pourrais vous citer un tas de superbes phrases, bien tournées, longues, avec imparfaits du subjonctif, des phrases qui sentent bon la langue aimée et maîtrisée, des personnages qui se voussoient, qui ne s'insultent pas, qui restent toujours courtois, enfin, au moins jusqu'à l'apparition de Tante Sioneg. Justement, venons-en aux personnages, tous hauts-en-couleurs, Sioneg en tête qui est celle qui marque le plus ce roman : "Miss Sioned Price [...] touchait à la cinquantaine. Elle ne s'était jamais mariée -au temps où cela lui eût été possible- estimant que le mariage se révélait incompatible avec cette passion de la liberté qu'elle portait en elle. Au surplus, il se serait avéré délicat de lui dénicher un époux assorti, Sioned mesurant près de six pieds [1,80m]. Parfaitement adaptée au célibat, elle vivait heureuse dans l'appartement hérité de ses parents à Glynn Street, se gavant de pâtisserie et passant tout le temps que lui laissait son métier de dactylographe à domicile, à regarder la télévision. Le résultat de ces deux activités annexes faisait que Sioned atteignait le poids respectable de deux cent dix-sept livres [98 kg] et connaissait par cœur le pedigree et les aventures sentimentales des artistes du petit écran." (p.89) Ce sont les interactions entre les différents protagonistes et leurs comportements d'Anglo-saxons flegmatiques et courtois qui font la drôlerie du récit ainsi que le décalage produit par les deux enfants qui raisonnent comme des adultes, mieux qu'eux, même. Ajoutez à cela des situations cocasses, comme l'arrestation de Tante Sioned dans un théâtre de Cardiff (p.192) qui tient tête à plusieurs policiers les envoyant valdinguer sur les genoux de vieilles filles offusquées et vous aurez une ambiance joyeuse et une envie de ne pas quitter cette lecture rafraîchissante.
En plus de cette qualité, Charles Exbrayat décrit bien ses personnages qui ne sont jamais mauvais (même pas le ou les coupables sauf sur la toute fin) ; ils sont un peu stéréotypés évidemment, le rural rustique, le flic éternellement amoureux (mais jamais de la même femme) et qui ne veut pas s'engager, la femme amoureuse en secret qui n'ose dévoiler ses sentiments, mais ils sont tous tellement charmants que tout passe simplement et dans la bonne humeur. Les hommes ne sont pas très glorieux, les femmes s'en tirent beaucoup mieux, que ce soit Sioned ou même la sage-femme brièvement aperçue, ou encore la fiancée éphémère du policier et bien sûr Buddug la fillette.
Une excellente idée que de rééditer les romans d'Exbrayat : il en a écrit beaucoup et malgré l'insistance de mes jeunes années, je ne les ai point tous lus.