Le sang et la mer

Le sang et la mer, Gary Victor, Ed. Vents d'ailleurs, 2010
Hérodiane, très belle jeune femme noire haïtienne quitte son village natal, avec son frère Estevèl. La mort de leurs parents les contraint à s'installer dans un bidonville de Port-au-Prince, appelé Paradi, parce sis au flanc d'une montagne et "[qu'il faut] cheminer vers le ciel pour y accéder" (p.47). Spoliés de leur héritage par un sénateur, "ce sénateur, responsable de la mort de mon père, était un voyou, présenté partout, par ces aberrations mentales dont nous étions coutumiers, comme un modèle de citoyen". (p.42) Les deux jeunes gens espèrent sortir de la misère, Estevèl en trouvant des petits boulots et en protégeant sa sœur, tel qu'il l'a promis à leur mère, et Hérodiane en étudiant.
Souvent, dans nos billets, nous parlons de livre fort, à raison, mais là, j'aimerais trouver un qualificatif autre, plus... fort. Quel livre ! Quels personnages ! Hérodiane et Estevèl forment une fratrie soudée. L'une est jolie, convoitée par les hommes, jalousée par les femmes, mais elle sait ce qu'elle veut, et surtout ce qu'elle ne veut pas. Mais quand elle rencontre son Prince Charmant aux yeux clairs, les barrières tombent. L'autre, le frère, est protecteur, attentif, fait preuve d'abnégation pour que sa soeur puisse vivre une vie de jeune fille.
Le contexte est terrible : la vie à Paradi, bidonville de Port-au-Prince où une jolie jeune fille est soit mariée, soit plus probablement, vit de ses charmes, certaines sont prostituées par leur propre famille dans le but de trouver un mari ou de rapporter l'argent qui fait vivre tout le monde.
Gary Victor, dans un style simple, direct et franc décrit sans détour le passage à la vie adulte des deux jeunes gens, la découverte de leur pays, de la pauvreté, de l'extrême dénuement des habitants des bidonvilles et de la vie facile des riches, qui s'enrichissent encore sur le dos des plus pauvres : Yvan, le Prince Charmant d'Hérodiane, héritier d'une des plus riches familles du pays lui raconte : "Paradi, c'est le nom qu'ont donné au bidonville ses premiers habitants. Mais le terrain sur la montagne nous appartient. Essaie de comprendre. Plus de mille habitations de fortune louées à l'année en moyenne à quinze mille gourdes, cela fait quinze millions de gourdes, soit trois cent soixante-quinze mille dollars américains environ chaque année sans redevance fiscale. Nous nous arrangeons pour faire croire que nos terres sont occupées illégalement et ainsi, nous gardons la possibilité de nous faire dédommager par le gouvernement. Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l'or." (p.130)
Dès lors, comment croire à la possibilité des Haïtiens de se sortir de leur misère ? Ajoutez à ce constat, des catastrophes climatiques récurrentes, et la situation devient inextricable. Rodney Saint-Eloi, dans Haïti kenbe la ! dit que son peuple est fort, courageux et qu'il saura reconstruire son pays. C'est tout le mal qu'on lui souhaite, mais quel travail à faire !
Gangoueus, sur son blog écrit : "Le surnaturel n'est jamais absent des textes de Gary Victor. Ici, il prend une forme poétique rare incarnée par Estevèl." Je découvre pour ma part Gary Victor et cette dose de surnaturel rajoute du dépaysement venu tout droit des croyances haïtiennes.
Pour finir, je préfère vous prévenir que ce livre est formidable -il faudrait que je trouve mieux comme adjectif, plus fort, plus accrocheur- et que dès que vous l'aurez ouvert, il vous tardera de le finir. La plus belle preuve -en toute modestie bien sûr- serait que vous puissiez voir ma tête ce matin, après un coucher tardif pour absolument terminer Le sang et la mer (mais bon, là, je vais éviter, je ne suis pas forcément à mon avantage.)
Oh, j'allais oublier, ce livre a fait l'objet d'un partenariat B.O.B/Vents d'ailleurs. Merci, merci.