Le diable s'habille en Voltaire

Le diable s'habille en Voltaire, Frédéric Lenormand, Le masque, 2014 (Lattès, 2013)...
Lorsque le père Pollet, confesseur du Cardinal de Fleury, qui gouverne la France de 1733, trouve au sein de son abbaye un cadavre, puis autour d'icelui des traces de pas de bouc, il sait tout de suite qu'il a à faire au Malin. Conscient que divulguer cette mort risque de lui jouer des tours, il veut une enquête discrète et soigner le Mal par le Mal. Il la confie donc à celui qui, à ses yeux, et à beaucoup d'autres de l'époque, est le Diable personnifié, Voltaire. Celui-ci tout heureux de pouvoir affronter enfin un adversaire à sa mesure, relève le défi, toujours accompagné d'Emilie du Châtelet, sa maîtresse et de Linant son secrétaire dévoué, plus un petit nouveau, Lefèvre.
Troisième tome des aventures de Voltaire mène l'enquête, chacun pouvant se lire indépendamment. Le même plaisir qu'à la lecture de Meurtre dans le boudoir. Cette série est à la fois érudite, légère et littéraire. Pas mal pour un polar, genre que d'aucuns classent rapidement dans une espèce de sous-catégorie, de celle qu'on lit uniquement pour se distraire, en été de préférence. Le style est alerte, enlevé, souvent très drôle, les réparties de Voltaire font mouche, mais aussi son ridicule, ses tenues vestimentaires d'occasion, démodées, sa perruque très haute, l'immense estime de soi qu'il a et c'est un euphémisme, l'assurance qu'il a d'être le meilleur de tous, sa tendance très forte à l'hypocondrie ou à la plainte pour qu'on s'occupe de sa grande personne, ce dont ses habitués ne sont pas dupes : "Les Dumoulin [ses logeurs] le rassurèrent [Lefèvre, son nouveau secrétaire] : quand on meurt si lentement, l'entourage peut profiter du mourant sans trop d'inquiétude." (p. 41)
Dans cette série, on est toujours entre le conte voltairien, l'enquête policière, le récit historique, car Frédéric Lenormand est documenté. Les mœurs de l'époque sont décrites par le menu, les croyances, l'hygiène. Il parle également de la tragédie Adelaïde Du Guesclin que Voltaire tente de monter à la Comédie française et qu'il va devoir mettre en scène en bousculant les acteurs et actrices habitués à déclamer ; lui veut qu'ils jouent, qu'ils fassent pleurer le public ; les acteurs de l'époque (quid de maintenant ?) ne sont pas faciles à manœuvrer, la résistance et le corporatisme sont très présents, les réparties particulièrement bien senties également, notamment de deux d’entre eux, Quinault et Grandval.
En dépit de toutes ces qualités, cet épisode souffre de quelques longueurs en son mitan, des situations un brin répétitives dont on peut aisément se passer qui nuisent un tantinet à la bonne humeur générale, qui revient cependant bien vite en fin de volume.
On ne lit pas Voltaire mène l'enquête pour les intrigues, mais pour le plaisir de suivre un enquêteur peu ordinaire, imbu, petit et souffreteux mais aux ressources physiques insoupçonnées, celles de son brillant esprit ne nous surprennent pas mais au service de résolutions de meurtres, elles étonnent fort agréablement. Une série vraiment plaisante, originale et décalée que je suis puisque le tome suivant attend juste que je l'ouvre.