Le destin du touriste

Le destin du touriste, Rui Zink, Métailié, mars 2011
Greg arrive dans une zone sinistrée. Un territoire en pleine guerre. Dévasté. En proie aux attentats, aux assassinats, aux règlements de compte, à la justice prestement et rondement rendue et aux enlèvements des touristes libérés -ou non- contre rançon. Et justement, Greg est un touriste. Le tourisme, un nouvel Eldorado pour cette zone qui voit sa fréquentation augmenter par des voyageurs en mal de sensations fortes.
"La zone était tristement célèbre pour être fertile en disparitions, éliminations, exterminations de touristes, de journalistes, d'ONGistes. C'était d'ailleurs l'un de ses charmes, pardi. Pour les candidats au suicide qui n'avaient pas le courage de se trancher les veines comme des grands, pour les psychotiques qui aimaient jouer à la roulette russe avec leur propre vie, pour les sociopathes qui ne voulaient pas partir sans compagnie vers l'autre monde, pour les aventuriers qui étaient prêts à tenter leur chance en risquant leur peau en échange de la promesse, mirifique, de passer le reste de leurs jours à se vanter de ce moment d'héroïsme -et à en recueillir les fruits, fussent-ils une rente, un bon poste ou une hausse de leur attractivité érotique pour des tiers." (p.57) Voilà le point de départ de ce bouquin. Greg arrive dans cette zone en quête d'un suicide qu'il n'a pas le courage de s'auto-appliquer, ce qui est pourtant la règle en cas de suicide !
Poussant au paroxysme les comportements actuels de certains, Rui Zink fabrique une sorte de fable absurde. Absurde, parce que son raisonnement se heurte à nos limites, et qu'il pousse le bouchon toujours plus loin. Mais est-ce vraiment si inenvisageable ? Nos comportements individuels ou communautaires ne nous pousseront-ils pas toujours plus loin ? Toujours vers le plus de sensations ? Vers les plus d'émotions fortes ? De défis ? Pour ma part, je vous rassure, je me satisfais de ma vie quotidienne et n'ai point besoin de poussées d'adrénaline à hautes doses pour avancer. C'est probablement pour cela que je qualifie de farce absurde -une qualité pour moi, dans ce cas- le livre de Rui Zink.
En outre, l'auteur ponctue son roman de digressions diverses sur la société, notamment sur la presse et son souci de sensationnalisme : "Et une information de dernière minute : un homme avait été trouvé dans un bunker vivant avec sa fille, devenue son esclave sexuelle qui lui avait donné quatre autres enfants (à lui) qui étaient ses frères (à elle) et donc aussi ses enfants et qui n'avaient jamais vu la lumière du jour." Cette information supplante celle de l'enlèvement de 23 touristes philippins dans la zone : "ils [les Philippins] pouvaient même désormais être découpés en morceaux et jetés aux chiens [...] qu'ils auraient du mal à surpasser ce fait divers : sadisme, pédophilie, inceste, tout ça dans un même paquet ? Un cadeau si merveilleusement empoisonné qu'aucune rédaction, douée d'une raison infaillible, ne pouvait le refuser." (p.106)
Ces remarques, pas toujours très aisées à lire ajoute cependant de la profondeur, s'il en était besoin, à ce livre. Le tout enrobé dans une écriture qui n'omet ni l'humour, ni la dérision ni le sarcasme, plutôt bienvenus pour supporter la puissance du propos.
Un autre avis : Cunéipage.