Le dernier Lapon

Le dernier Lapon, Olivier Truc, Métailié, 2012
Kautokeino, extrême nord de l'Europe, Laponie centrale. C'est la nuit polaire depuis 40 jours ce 10 janvier. Le lendemain, le soleil fait sa réapparition pour 40 minutes seulement ; les températures frisent le moins trente degrés voire le moins quarante. Un tambour ancestral de chaman de la communauté samie vient d'être volé au musée. Kelmet Nango, Lapon, membre de la police des rennes et sa nouvelle partenaire, Nina, jeune policière débarquée du sud de la Suède enquêtent. L'affaire se corse lorsque Mattis Labba, éleveur de rennes, Lapon, fils et petit-fils de chaman est retrouvé assassiné dans son gumpi, "un mélange de caravane et de baraque de chantier, en plus petit" (p.22).
Je préfère prévenir en préambule, je risque de m'emballer de me laisser aller à de la dithyrambe. J'ai un vrai coup de coeur pour ce polar nordique -on ne pourrait plus- écrit par un Français connaissant bien la région, puisqu'il vit en Suède.
D'abord l'écriture est très simple : phrases courtes, efficaces allant droit au but. Pas d'effet de style, c'est basique -là, c'est un compliment- sans fausse note, sans faute de goût.
Ensuite, la région est formidablement décrite, entre les montagnes éternellement blanches, les lacs gelés, les tentes lapones, les élevages de rennes, ... ça donnerait presque envie d'y aller. De fait, ça accentue mon envie de visiter ces régions froides : je suis beaucoup plus tenté par la visite du nord de l'Europe que par celles chaudes et ensoleillées du sud. Olivier Truc est donc pour moi un tentateur. Le temps de chausser mes bottes et ma chapka et je suis -presque- prêt à partir.
Puis, les personnages sont bien campés, bien décrits. Olivier Truc dresse toute une galerie : le Lapon fier et combattant pour la reconnaissance de son identité, celui qui ne sait plus s'il est vraiment un Lapon ou un Suédois (Kelmet, le flic), celle qui prend fait et cause pour eux (Nina, l'autre flic) et les racistes en tout genre qui ne sont pas l'apanage de la Suède, on a tous autour de nous des crétins de ce genre. Pas de caricature c'est malheureusement une triste réalité que l'auteur décrit, entre une montée des revendications pour une reconnaissance des minorités et l'envolée des thèses racistes et de défense d'une civilisation qui serait "supérieure" : "Les Samis sont la dernière population aborigène d'Europe. La façon dont on les traite et dont on traite leur culture et leur histoire, en dit long sur notre capacité à appréhender notre histoire." (p.134) Je ne connaissais rien des Samis ou des Lapons. Je ne savais pas à quel point ils avaient été eux aussi persécutés par les pasteurs protestants afin de renoncer à leurs pratiques rituelles et épouser la religion. "Pendant des décennies, les pasteurs suédois, danois ou norvégiens nous ont pourchassés pour confisquer et brûler les tambours des chamans. Ça leur faisait peur. Pensez donc, on pouvait parler avec les morts ou guérir. Ils en ont brûlé des centaines, des tambours." (p.41) Je ne savais pas non plus qu'ils faisaient toujours l'objet d'un racisme quotidien, d'une sorte de complexe d'infériorité. Certains d'entre eux sont encore marqués par cette religion qui les a brimés, les a empêchés de vivre selon leurs principes et préceptes. Certains sont toujours sous la coupe de l'église ou de la secte laestédienne, puisque leurs parents ou grands-parents ont été convertis par le pasteur Lars Levi Laestaddius lui-même ou par ses disciples (voir ici et là deux liens vers des articles concernant cette religion et les hommes censés la faire appliquer, dont un article signé Olivier Truc).
Enfin, l'intrigue ou devrais-je dire plutôt les intrigues. Il est malin Olivier Truc. A la manière des polars nordiques très en vue ces dernières années, son héros de flic va lentement : "Mais moi, j'avance sur des faits. Et ça prend du temps. Si tu veux de l'action, va donc rejoindre Brattsen, il est moins pointilleux que moi. Il arrête d'abord, il pose les questions après. J'avoue, j'ai tendance à prendre les choses dans l'autre sens." (p.326). Plusieurs pistes s'ouvrent à lui, il les suit. Il n'est pas persuadé que le vol et le crime soient liés, il vérifie donc tous les indices. Quitte à se dédire ensuite si les faits prouvent le contraire de ce qu'il croyait. Il est tenace et sa collègue itou. Elle le soutient, le seconde et parfois même le devance dans ses déductions. M'étonnerait pas qu'ils reviennent pour d'autres aventures ces deux-là ! Parce qu'en plus, Olivier Truc, il lâche des bribes sur leurs vies personnelles, mais rien de trop, juste de quoi appâter le lecteur -et ça marche, je suis sans doute une proie facile, mais je ne dois pas être le seul à m'être fait prendre.
Un bonus supplémentaire pour la toute fin que je ne raconterai pas évidemment -même sous la torture, je ne dirai rien. Niet ! Nada ! (je me mets à la langue, une partie de la Laponie est russe). Très bien vu donc ce final qui appelle une suite et qui ne mâche pas tout le travail : le lecteur est mis à contribution.
Vachement -rennement plutôt- bien ce polar dans lequel en plus de suivre une passionnante enquête on apprend plein de trucs (pardon Oliver, mais j'étais obligé. On a dû vous la faire dix mille fois, mais moi, c'est la première. Suis-je pardonné ?). Moi, un polar qui m'instruit et me distrait, non seulement je dis oui, mais en plus je vous le conseille très très fortement.
Merci Valérie.
PS : Sous la torture, je ne dirai rien, c'est évidemment une formule, je suis un petit être faible, fragile et corruptible facilement. Un garçon facile quoi. Une (très) bonne tablette de chocolat (noir, il va sans dire) et je peux lâcher quelques informations.