Le complexe d'Eden Bellwether

Le complexe d'Eden Bellwether, Benjamin Wood, Zulma, 2014 (traduit par Renaud Morin).....
Oscar un jeune aide-soignant, entre, à la faveur d'une musique jouée à l'orgue par Eden Bellwether dans une chapelle de Cambridge. Là, il tombe sous le charme d'une jeune femme, Iris, sœur d'Eden. Peu à peu, Oscar entre dans le groupe très fermé de cinq amis : Eden, Yin, Jane, Iris et Marcus, tous étudiants à Oxford, tous de milieux aisés. Eden en est le leader incontesté par sa personnalité, son intelligence, son amour absolu pour la musique baroque et les curieuses théories qu'il développe et entend tester.
On lit parfois des premiers romans au goût d'inachevé, au talent prometteur mais qui devra encore faire ses preuves, mais là, je viens de finir un premier roman totalement maîtrisé, absolument ébouriffant, qui flirte brillamment avec les théories liées à l'hypnose, le pouvoir guérisseur de la musique et de la transe. Son maître est un compositeur et théoricien allemand, contemporain de Haendel, Johan Mattheson : "Eh bien, Mattheson croyait, et je le crois aussi, que les compositeurs ont le pouvoir d'affecter et de manipuler tes émotions, tes passions, comme disait Descartes. Par leur musique, ils sont tout à fait capables de te faire ressentir tout ce qu'ils veulent que tu ressentes. Un peu comme une expérience chimique : si des éléments sont associés selon une certaine formule tu obtiens une certaine réaction." (p.61)
Eden n'aura de cesse d'expérimenter, de prouver que les théories de Mattheson qu'il a fait siennes peuvent être vérifiées. L'arrivée d'Oscar sonne comme une aubaine pour lui. Le petit aide-soignant pourrait faire un bon cobaye. Eden possède la rhétorique pour le convaincre, les autres du groupe le suivent sans le contredire.
Tout est finement analysé dans ce roman, les personnalités de chacun, celle d'Eden bien sûr mais aussi celles d'Oscar et d'Iris et dans une moindre mesure celles des trois autres membres du groupe et celles des parents Bellwether et celles des parents d'Oscar. Les différences de niveau social, de niveau d'étude, d'ambition, ... sont très présentes, parfois elles viennent télescoper Oscar dans sa difficulté à changer de statut, à se sentir à l'aise dans un milieu qui n'est pas le sien, parfois, elles sont plus lointaines, et ont tendance à s'estomper au fur et à mesure de l'histoire. Les relations entre les personnages sont décortiquées également, surtout la relation frère/sœur-Eden/Iris et la rivalité Eden/Oscar. Pas d'humour du tout, même si l'on est dans un roman anglais, néanmoins ne croyez pas que ce bouquin soit plombant, non je l'ai lu avec avidité, avec l'envie de tourner les pages rapidement mais point trop pour ne rien rater, car s'il est assez conséquent (498 pages, remerciements compris), aucune page n'est superflue -et c'est un amateur de livres pas trop épais qui vous le dit !
L'écriture est alerte (donc la traduction également), elle fait place à des dialogues qui allègent un peu le livre mais sans altérer la portée des propos. Simple d'accès même lorsqu'elle parle des théories de Mattheson et d'Eden, quelques mots savants peuvent obliger à sortir le dictionnaire mais rien d'insurmontable. Par exemple, je croyais que "péan" était le nom d'un journaliste spécialisé dans les bouquins sur les hommes et scandales politiques, eh bien sachez (si vous ne le sachassiez point encore) que c'est aussi un nom commun : "un chant d'allégresse ou funèbre, chant de combat ou de triomphe, dans la Grèce antique" (merci Larousse).
Bon tout ça pour dire que ce premier roman d'un jeune auteur anglais est absolument formidable et que ce serait dommage de passer à côté, de même que pour l'autre édité chez Zulma pour cette rentrée littéraire, L'île du point Nemo. Un beau doublé !
PS : le 02 septembre dernier, Benjamin Wood à reçu le Prix Fnac 2014 pour ce roman.