La cité interdite

La cité interdite, François Gibault, L’Éditeur, 2011
"A travers des textes courts et cruels, François Gibault se livre à son exercice favori, l'observation méticuleuse d'une humanité dans laquelle il ne se reconnaît pas. Une bonne dose d'ironie mâtinée d'autodérision, un soupçon de perversion et le style sec et précis de l'auteur, font de ce recueil un petit bijou d'humour noir." (4ème de couverture)
Dix-huit nouvelles de tailles différentes qui cependant ont toutes en commun de raconter des rêves, des histoires peu réalistes (mais pas forcément irréelles ou irréalisables). Assez hétérogène pour moi : certaines nouvelles m'ont convaincu, d'autres beaucoup moins. Par contre, toutes ont un autre point commun : une écriture belle, tour à tour imagée ou directe, qui décrit lieux et personnages très fidèlement au point que l'on visualise très bien les uns et les autres. Parmi mes favorites :
- A Berlin !, qui commence ainsi : "Neptune en avait marre de tout, d'être français, d'être vieux, d'être vivant et surtout d'être le mari de Françoise, 83 ans, bon pied bon œil, emmerdeuse née." (p.19)
- Un fauteuil pour deux : "Quand il posa le pied sur le trottoir d'en face, juste devant chez lui, l'accident était si présent dans sa mémoire qu'il était incapable de dire s'il était survenu ou s'il y avait échappé." (p.87)
- Julien : "Endormi sur son canapé depuis quelques secondes, une minute au plus, Julien se réveilla en sursaut, comme s'il avait dormi une nuit entière, avec dans la tête le souvenir incertain d'un rêve inouï." (p.179)
Dans ces deux dernières nouvelles, François Gibault joue avec la réalité : sommes-nous dans celle-ci ou dans le rêve du personnage ? Lui-même est-il réel ? Le principe est appliqué à d'autres nouvelles également.
L'humour est noir, grinçant, un rien macabre ; on meurt beaucoup dans des conditions qui peuvent prêter à sourirre chez F. Gibault !
Deux nouvelles moins noires :
- Un malencontreux courant d'air : "Une fois pour toutes, Maxime avait avalé son parapluie, et ses proches affirmaient qu'il allait mourir avec." (p.137)
- Les pruneaux du Caire : "Hortense Poilblanc connaissait Santa Fe, Palos Verdes, Saint-Cyr-sur-Loire, Knokke-le-Zoute, Tarascon, Noirmoutier-en-l'Île et Condé-sur-Iton, pas Le Caire." (p.149)
Plus légères, elles permettent de sourire plus franchement et d'être prêt a repartir pour une nouvelle noire. Ce recueil, s'il est à mon humble avis de lecteur, inégal recèle cependant des pages qui méritent très largement l'attention, ne serait-ce que pour l'écriture de l'auteur et pour ce monde mi-réel-mi-imaginaire qu'il explore.
PS : Sur une expression écrite par l'auteur, un doute m'habite : il écrit "on ne pouvait trouver maître queue plus raffiné" (p.96) ; n'écrit-on pas plus vraisemblablement "maître-queux" ? A moins que ce ne soit un choix délibéré ?
J'ai également une phrase à vous soumettre qui selon moi comporte une erreur, mais je ne donne pas d'indice, là encore, je ne sais si c'est une faute ou de l'humour : "... elle dégraissait et liait avec six jaunes d’œufs au lieu de quatre, et des œufs de canard au lieu de poule, ajoutait de la crème au bouillon, des herbes et du beurre fondu qui faisaient toute la différence." (p.98)
Soyez perspicaces !
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