Furioso

Furioso, Carin Bartosch Edström, JC Lattès, 2012 (traduit par Frédéric Fourreau)
Les musiciennes du quatuor Furioso s'isolent sur un îlot privé appartenant à Louise, l'une d'entre elles, premier violon, pour enregistrer leur prochain disque. Mais Louise se blesse juste avant le départ et demande au grand Raoul Liebeskind de la remplacer. Raoul, artiste mondialement reconnu, séducteur impénitent avec qui au moins la moitié du quatuor a couché. Ce huis clos favorise la résurgence de rivalités, d'histoires anciennes. Un soir, un corps sans vie est retrouvé sur l'île. Ebba Shröder, commissaire, est chargée de l'enquête, chargée de trouver qui, parmi les îliens du moment a pu commettre le crime.
Dans la plus pure tradition des romans policiers nordiques. Lenteur, pistes poussées jusqu'au bout même si elles débouchent sur des impasses, point de flic à sixième sens ou à flash. Tout est méthode et travail et la vérité se fait jour, fruit des recherches des uns et des autres, des consultations, des regroupements d'idées. Si vous n'aimez pas le genre, tant pis. Mais si vous avez aimé les Wallander, Erlendur, et autres, stop ! Arrêtez-vous et prenez le temps de savourer ces 587 pages particulièrement fines.
Mais revenons au début. Ce roman ne débute pas comme un polar classique. Les 250 premières pages sont consacrées à la musique classique et surtout aux relations qu'entretiennent ces quatre femmes avec Raoul, entre elles et lui avec elles. Car évidemment, il est au centre de toutes les attentions : lui, la star des violonistes, charismatique, séduisant et séducteur pour user d'un euphémisme. Chaque protagoniste est présenté en détail, ses relations aux autres analysées, scrutées. L'auteure nous fait entrer dans l'intimité de chacun, nous dresse des portraits précis : "Caroline avait posé son violoncelle par terre pour s'attacher les cheveux. Des boucles rebelles retombèrent devant son visage, l'obligeant à renouveler l'opération. Elle tourna la tête d'un mouvement svelte, si bien que son cou s'étira, puis, quand elle passa les bras derrière sa nuque, sa poitrine ronde se souleva, ce qui eut pour effet de faire remonter le bas de son T-shirt, découvrant, l'espace d'une seconde, l'anneau en argent qu'elle portait au nombril." (p.73)
(Peut-on dire d'un geste ou d'un mouvement qu'il est "svelte" ? Ou parler de "coopérativité", p.405 ?)
On pourrait juger qu'elle fait trop dans le détail, qu'elle dilue le texte, mais même moi qui ne suis pourtant pas fan des pavés -et ça, c'est une vraie litote-, je n'ai jamais eu cette idée en lisant, je trouvais que tout se mettait en place lentement, un peu comme si j'étais avec ces femmes et Raoul pendant leur séjour. Un roman d'atmosphère à la Agatha Christie ou à la Georges Simenon qui savaient magnifiquement s'introduire dans la vie intime de leurs personnages et créer une tension seulement avec cela. A tel point d'ailleurs, que dans Furioso, on sait qu'il va y avoir un mort, mais pendant ces 250 premières pages, on ne sait pas qui ! Tout le monde pourrait y passer, tué par n'importe lequel des autres. Un petit aparté pour remercier ici le ou la concepteur(trice) de la 4ème de couverture, pour une fois exactement comme il faudrait qu'elles soient toutes : tentantes sans en dire trop !
Et puis, le cadavre apparaît -mais je ne vous dirai pas qui- et Ebba Shröder aussi avec Vendela, sa collègue. Alors, l'écheveau des relations entre tous déjà très emmêlé se complique encore. Jusqu'au bout j'étais bien incapable de trouver le ou la coupable : tous à mes yeux étaient suspects avec de bons motifs. Dans cette seconde partie du roman, CB Edström nous présente sa commissaire, intimement, comme elle l'avait fait avec les musiciens. Sa vie privée (assez terne, classique), sa vie professionnelle et ses relations avec ses collègues. M'est avis que Ebba Shröder pourrait revenir dans d'autres enquêtes. Sincèrement, j'adorerais ! Rendez-vous compte quand même qu'à propos de ce bouquin, j'ai parlé de H. Mankell, de A. Christie, de A. Indridason et de G. Simenon ! Et tout cela parce qu'ils me sont venus spontanément à l'esprit pendant ma lecture. Comment alors pourrais-je patienter, ou plutôt, comment alors vais-je pouvoir attendre plus longtemps la suite des aventures d'Ebba ? Et d'ailleurs y en aura-t-il une ?
Vous m'avez compris : roman policier et même plus que cela excellent. A ne pas rater.
Merci beaucoup Anne (des éditions Lattès) pour cette découverte. Tapé dans le mille encore une fois.
PS : Carin Bartosch Edström est suédoise, directrice d'orchestre et compose de l'opéra et de la musique de chambre.