Eros (4 histoires brèves et intenses)

Éros (4 histoires brèves et intenses), Collectif, Ed. de l'Atelier in8, 2012
"Vous qui pensiez avoir tout lu, tout vécu... Effeuillez donc habilement cette beauté, écartez voiles et couvertures, et parcourez le grain velouté de ce papier qui vous embarque dans quatre histoires audacieuses et surprenantes. Vous goûterez une littérature libertine et racée, suivrez de fougueux personnages, succomberez aux ensorcellements de la langue et à l'attrait puissant de désirs profondément enfouis... Des enchantements au parfum de soufre, de poudre, de gouffres. Plongez !" (4ème de couverture)
Comme le titre de cet ouvrage collectif et le descriptif ci-dessus le suggèrent, il s'agit d'un coffret de quatre nouvelles érotiques. Procédons par ordre :
- Le comparse, de Jacques Abeille : ou comment la création littéraire est directement liée au sexe, et plus particulièrement ici à des "jeux sexuels débridés". Très belle nouvelle, sans doute la plus osée (ou directe) des quatre. Écrite dans un langage châtié, très recherché parfois : j'aime bien le contraste entre ce langage un rien aristocratique qui donne une certaine distance vis-à-vis des choses basiques de la vie et celui plus direct et cru des échanges sexuels des trois partenaires. Lorsque J. Abeille parle de "dard", je fais mon miel (désolé, je n'ai pas pu m'empêcher). Ainsi commence cette histoire : "L’œil d'un vert marin éteint, le visage chevalin encadré de mèches pâles qui déjà se givraient, une longue silhouette oscillante, Henri de Hère deux fois la semaine traversait avec une mélancolie hautaine la salle de rédaction pour déposer dans la corbeille de notre chef sa chronique culturelle." (p.7)
- La féticheuse, d'Emmanuel Pierrat : un collectionneur d'art africain, avocat d'affaires, tombe sous le charme, la coupe et la croupe d'une superbe vendeuse d'objets vaudou. "Victor avait quitté l'Afrique trop jeune pour s'y attacher. Son ingénieur de père avait travaillé à l'aménagement du port de Lomé à la fin des années 60." (p.7) Un texte qui parle beaucoup plus du désir que de l'acte lui-même. Il monte, il monte jusqu'à l'apothéose. Envoûtante, sensuelle, directe et terriblement bandante, si je puis m'exprimer ainsi, pour une fois, la femme domine.
- Monde profond, de Eric Pessan : un jeune garçon connait son premier orgasme à neuf ans, "engoncé dans un tuyau étroit, à près de vingt-cinq mètres sous terre" (p.7), dans une grotte. Il n'aura de cesse de retrouver cette sensation de plénitude en entrant dans d'autres grottes mais ne le retrouvera pas. Mais lorsque 30 ans plus tard, avec son épouse, il visite une grotte dans les Pyrénées, il sent qu'il va se passer quelque chose, dès l'entrée. La nouvelle la plus étonnante, la plus symbolique, la plus irrationnelle, comment dire, la moins "quotidienne" même si sans doute aucun de ces termes n'est vraiment adéquat, dans laquelle tous les mots sont choisis, pesés, peuvent être pris pour leurs sens multiples. Sensuelle, moite, humide, elle débute comme cela : "Le plus bouleversant, c'est l'odeur : ce mélange de glèbe et d'humidité, une odeur profonde et ancienne. Géologique. L'odeur brune et intime de la terre, une odeur d'entrailles froides qui saute au visage, se dépose en sédiments lourds dans les narines, sur la langue, saisit le corps entier." (p.7)
- Les filles d'Eve, de Frédérique Martin : dans un futur qui paraît proche, les femmes, espèce en voie de disparition, sont vendues comme des animaux lors d'un salon. Mais la révolte gronde, filmée par un cameraman loin d'être insensible aux charmes de l'une d'entre elles. ""Parfaite." Claque et mot sont assénés en même temps. Satisfait, l'homme laisse sa paume sur la croupe blanche. Caméra sur l'épaule, le reporter zoome sur les doigts, avant de remonter le long du bras jusqu'au visage glabre en plan serré." (p.9) Une histoire de révolte des femmes qui veulent prendre le pouvoir sexuel, entre autres, mais qui veulent surtout échapper au pouvoir masculin. Revendicatrice, la seule nouvelle des quatre écrite par une femme.
Loin de la pornographie, nous voici donc dans des textes érotiques, qui s'ils n'évitent pas les scènes osées, chaudes (et tant mieux, y'a pas de mal à se faire du bien, et puis, je suis venu pour ça, non ?) inspectent plutôt la montée du désir, de la puissance, du pouvoir de l'un(e) sur l'autre (et vice-versa). Très bien écrits, dans des styles différents pour les quatre, mais toujours opposant un vrai style littéraire digne des meilleurs romans classiques à des passages crus et directs. Autant j'avais été déçu par "le nouveau roman pornographique" autant là, je suis encore sous le coup de l'émotion d'avoir lu toutes ces histoires émoustillantes et sous celui de la (relative) déception d'avoir déjà fini le coffret. Si ma délicatesse naturelle et mon éducation ne me retenaient pas, je dirais bien : "tiens je remettrais bien le couvert !"
Mesdames, qui passez par ici de temps en temps et qui certains mardis osez lire des livres érotiques dans une rubrique que je suis régulièrement ("Le premier mardi, c'est permis"), et pour tou(te)s les autres aussi, bien entendu, voilà donc pour vous un coffret qui saura allier le plaisir d'une lecture osée et celui de la Littérature !
PS : chaque nouvelle est indépendante, éditée dans un petit livre, ce qui en fait donc quatre dans ce coffret très bien présenté. Vous pouvez donc acheter soit l'une ou l'autre nouvelle, ou deux, ou trois, ou alors le coffret avec les quatre ; un bel objet à lire ou à offrir. Sur le site de l'éditeur, vous pouvez tout savoir : atelier in8.