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Crimes et condiments

Publié le par Yv

Crimes et condiments, Frédéric Lenormand, Ed. Lattès, 2014..... 

Tout devrait mener Voltaire à la Bastille en cette année 1734 : le gouverneur du lieu en rêve, il pourrait ainsi organiser des dîners philosophiques que le Tout-Paris voudrait fréquenter et la parution imminente des Lettres philosophiques dudit philosophe devrait précipiter l'incarcération d'icelui. C'est alors que Voltaire échappe miraculeusement à des tentatives d'assassinat. Lui qui cherche à tout prix à investir dans des affaires juteuses, parfois à la limite de la tolérance de l'époque, fait des rencontres, un cuisinier très "nouvelle cuisine", un chien, un mendiant. Mais qui en a après son auguste personne ? 

Quatrième aventure de Voltaire en tant qu'enquêteur. Cette fois-ci, il est plus victime que meneur, ne se rend pas toujours compte des tentatives de meurtre contre lui, et est beaucoup plus concentré sur ses futures affaires financières et sur le mariage qu'il arrange entre la jeune Elisabeth de Lorraine-Harcourt et le duc de Richelieu, par ailleurs son débiteur, pour justement assurer les remboursements de son prêt par la descendance qui naîtra forcément -le pense-t-il- de cette union. Heureusement pour lui, sa maîtresse Emilie du Châtelet veille sur lui.

Quel plaisir de retrouver l'illustre philosophe dans la série qui porte son nom. Le moins "polar" des trois que j'ai lus et celui que je préfère, pas de temps mort, pas le "ventre un peu mou" -juste quelques longueurs en leurs mitans-  que je pouvais reprocher aux autres. Pas de véritable enquête, mais Voltaire virevolte, papillonne, n'arrête pas de gesticuler toujours habillé à l'ancienne mode avec sa haute perruque datée, toujours à l'affût d'une bonne affaire. Lorsqu'il rencontre le cuisinier qu'il lui faut pour son estomac délicat -il faut dire qu'en 1734, les repas sont copieux, roboratifs, un peu de légèreté (relative) ne fait pas de mal- il le débauche et l'embauche bien qu'il ne sache rien de lui, ce sera dès lors, une suite de plats fins, inventifs dont certains font encore le délice de nos palais. 

Le ton est toujours drôle, léger, Frédéric Lenormand n'ayant pas de scrupules à écorner le mythe voltairien à tel point qu'on se demande s'il n'en rajoute pas, mais, en fin de volume, il cite des extraits de livres, de journaux, certains de cette époque, qui abondent dans son sens : "Voltaire avait le front élevé, les yeux noirs, tout de feu, et dans une agitation continuelle. Son esprit était vif et ardent. [...] Il croyait être né pour l'ornement de son siècle, pour donner le ton aux poètes, aux historiens, aux orateurs, aux géomètres, aux physiciens, aux philosophes et même aux théologiens. Aussi était-il d'un orgueil insoutenable. [...] Il était sans amis, et ne méritait pas d'en avoir. Il avait un si grand penchant à l'avarice qu'il sacrifiait tout, lois, devoirs, honneurs, bonne foi, à de légers intérêts." (François Toussaint -1715/1772-, Anecdotes, cité p. 337)

La langue est belle, même dans les insultes lorsque des carrosses de courtisans et d'un ministre sont bloqués dans la rue par des gens mécontents qui s'écrient : "Attrapeminons*  ! Rats de palais ! Vieux manches de gigot ! Moineaux de carême !"(p.150) Quand je pense qu'aujourd'hui on a droit à du "Casse toi pauv'con !"...  Les mœurs changent, le niveau de vocabulaire aussi.

Entre deux cabrioles et deux situations ridicules, Voltaire ne peut s'empêcher de placer des répliques vaches, drôles, philosophiques qui sont un vrai plaisir à lire : "Tout le monde aime le sucre, il est à la cuisine ce qu'est à la religion la promesse d'une vie éternelle : un mensonge agréable qui dissimule l'amertume du reste." (p.177). Je flatte ici mon anticléricalisme. Je me suis régalé avec ce tome narrant les aventures de Voltaire autour de la table et de la bonne chère, cette série est décidément très digeste, un bon petit plat à partager qui ne reste pas sur l'estomac qu'à l'instar du célèbre écrivain, j'ai fragile. Et puis, ces aventures m'ont aussi donné l'envie de relire Voltaire, je crois bien avoir dans le fond de ma bibliothèque Zadig**, Candide et peut-être même Micromégas...

Cathe et Sibylline en parlent aussi.

* Hypocrites

** J'ai failli écrire Zadig et Voltaire, les mœurs changent, le niveau de culture aussi...

 

 

polars 2015

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L
Sur que je partage ces deux choses, anticléricalisme et envie de re-lire Voltaire qu'en élève insouciant j'avais évité.La sortie de ce quatrieme tome a été bien amenée par la reparution des<br /> précédents en pocheme semble t'il.
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Y
<br /> <br /> Oui, il sont parus voire reparus en poche, et avant l'été il me semble que ce fut une bonne idée<br /> <br /> <br /> <br />
A
Je ne connaissais pas. Je me le note, ton avis met l'eau à la bouche!
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Y
<br /> <br /> Une belle série, enlevée, drôle sans céder à la facilité.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Des lectures très polars en ce moment.
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Y
<br /> <br /> Oui, je traverse une période polar, très agréable, mais je vais retrouver l'alternance bientôt...<br /> <br /> <br /> <br />
Z
J'adore ton billet. Il va falloir que je penche sur cette série
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Y
<br /> <br /> Une série qui mérite qu'on s'y arrête un moment<br /> <br /> <br /> <br />
C
J'ai apprécié les premiers de la série et le ton quasi voltairien de l'auteur.bien sur je lirai ce dernier.
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Y
<br /> <br /> Dans le même style, en encore plus réussi <br /> <br /> <br /> <br />
S
Merci pour le lien ;-)<br /> On est souvent oubliés.
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Y
<br /> <br /> De fait, j'oublie souvent de mettre des liens...<br /> <br /> <br /> <br />
C
Dans le genre c'est vraiment un régal !<br /> <br /> Mais c'est vrai que cela n'a absolument rien à voir avec les polars noirs et sociaux que je lis / que nous lisons d'habitude ;-)
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Y
<br /> <br /> Oui, ça change et c'est très bien, ça fait passer des polars plus noirs<br /> <br /> <br /> <br />
K
cathe et toi êtes les fans absolus!
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Y
<br /> <br /> Fan, c'est beaucoup dire, mais c'est vrai que ce sont de bons moments, drôles et bien écrits. Que demander de plus ?<br /> <br /> <br /> <br />