Cannisses

Cannisses, Marcus Malte, Ed. Atelier in8, 2012
Un lotissement en Province où toutes les maisons se ressemblent. Un homme, le narrateur, vient de perdre sa femme d'un cancer. Très abattu, il tient parce ses deux petits garçons sont présents et qu'ils ont besoin de lui. Germe alors en lui l'idée que si sa femme est morte, c'est à cause de la maison. La meilleure preuve, c'est que dans la maison d'en face -celle qu'ils auraient pu habiter également, ils avaient eu le choix à l'achat- vit une famille parfaitement heureuse, deux adultes et une petite fille en bonne santé et apparemment sans souci et sans histoires.
Marcus Malte est un écrivain reconnu pour ses romans et ses nouvelles, notamment Intérieur nord et Garden of love chroniqués ici même sur ce blog. Cette nouvelle éditée par les excellentes éditions de l'Atelier in8, ne ternira pas sa réputation, bien au contraire. C'est une montée en douceur et en puissance d'une douleur et de la folie humaine. Dans ma longue vie de lecteur -bien que je sois encore très très jeune, "longue", c'est parce que j'ai commencé de bonne heure- j'ai rencontré pas mal de barges, mais celui-là, il est particulièrement atteint. Sa douleur l'entraîne irrémédiablement vers une paranoïa obsessionnelle dangereuse. "Maintenant que j'y songe, la chatte Guimauve elle s'est fait écraser dans les tous premiers jours de notre arrivée. Ça ne faisait pas une semaine qu'on avait emménagé ici. On aurait dû comprendre que c'était un signe. Une sorte d'avertissement. Je m'en veux, c'est moi qui aurais dû y penser. En face, ce n'était pas encore vendu. Ce n'était pas trop tard pour changer. On n'avait pas déballé la moitié des cartons. Il suffisait de traverser la rue pour inverser le sort. C'est moi qui serais allé déposer un petit mot dans sa boîte aux lettres à lui. Ses condoléances, ça me fait une belle jambe. Dire qu'il suffisait de traverser." (p.17) Ça, c'est le début de son obsession : croire que la maladie de sa femme n'est due qu'à l'emplacement de la maison. Ensuite, Marcus Malte fait monter la tension, le suspense jusqu'à son point culminant, son apogée comme on dit quand on a du vocabulaire, voire même encore mieux, son acmé !
Construit avec des phrases courtes qui rythment l'action, le texte est donc rapide, efficace. On est dans la tête d'un grand malade, dans ses réflexions de désaxé qui ne se remet pas de la mort de sa femme, injustifiée à ses yeux. Comme à son habitude, Marcus Malte ne s'embarrasse pas de superflu, il va directement au but (même si on a droit aux détours des réflexions du narrateur) : son texte est court mais point n'est besoin d'en faire plus, on a tout : même ce qui n'est pas dit est limpide ! Moi qui aime les textes courts, forts et complets, je suis comblé.
Amis lecteurs qui habitez dans un lotissement tel que celui décrit plus haut, après avoir dévoré cette nouvelle terriblement bien construite, inévitable donc, vous ne regarderez plus vos voisins bienveillants et un peu réservés du même œil, surtout s'ils ont des cannisses à leurs fenêtres ! Moi, ça va, je viens de vérifier, ils n'ont que des rideaux, mais je reste vigilant tout de même. Et puis, mes voisins, ils ne sont pas vraiment discrets, ni réservés...
Merci Josée pour cette excellente nouvelle qu'effectivement vous pouvez être fiers de publier.
PS : message personnel pour JPS, JS, JC et AMC, mes voisins les plus proches qui se reconnaîtront : c'était pour rire bien sûr ! Quoique...