14

14, Jean Echenoz, Éd. Minuit, 2012
Cinq hommes vendéens ou de la région nantaise partent à la guerre. La grande, celle de 14. Ils se connaissent tous. Chacun n'aura pas le même sort, mais aucun ne reviendra indemne. Le pourraient-ils d'ailleurs ? Près de Nantes, une femme attend le retour de deux d'entre eux.
Je crains pour une fois de n'être pas original et de me fondre dans une majorité écrasante tellement les critiques de 14 sont bonnes (voir par exemple chez Babelio). Et oui, j'ai aimé ce roman, court, dense, fin et excellemment écrit. C'est évidemment le premier point que tout le monde aborde, l'écriture de Jean Echenoz. Y abondent les mots un peu tombés en désuétude, les imparfaits du subjonctifs, des tournures de phrases inhabituelles qui font mouche. Tout pour me plaire. Et tout me plaît. J'ai découvert cet auteur avec l'admirable Ravel et j'ai ensuite succombé au charme Des éclairs (et d'autres en passant, comme Je m'en vais). 14 est tout aussi formidable que les précédents même s'il peut parfois manquer d'une toute petite étincelle, celle Des éclairs par exemple : désolé, je n'ai pas pu m'auto-censurer, j'avais cette blague en moi depuis le début du bouquin, car il me manquait un tout petit truc pour adorer. Petit truc ou étincelle qui jaillit vers la moitié du bouquin pour faire de ce qui ressemblait à un très bon roman un excellent livre.
Jean Echenoz ne s'attarde pas trop sur la guerre, n'en fait pas 400 pages (le roman est court, seulement 124 pages) et c'est parfois ce que lui reprochent certains lecteurs. Moi non. Je lui sais gré de ne pas en rajouter : il sait en quelques lignes décrire la puanteur des tranchées, la peur des soldats, les obus qui tombent tranchant têtes et bras, sans pathos, sans hémoglobine. Il l'écrit lui-même d'ailleurs :
"Tout cela ayant déjà été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas tellement l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux." (p.79)
Effectivement quoi dire qui n'ait déjà été dit sur cette guerre ? Echenoz ne peut rien inventer, collant à la réalité. Alors, il le dit différemment, avec ses mots et ses si jolies phrases. "Comme tous les premiers arrivés, ils ont eu droit à un uniforme à leur taille alors qu'en fin de matinée le retard de Charles, toujours hautain et détaché, lui a d'abord valu une tenue mal ajustée. Mais vu qu'il protestait avec dédain, faisant arrogamment toute une histoire en excipant de son état de sous-directeur d'usine, on a réquisitionné sur d'autres -Bossis en l'occurrence ainsi que Padioleau- une capote et un pantalon rouge qui ont paru convenir au notable malgré son expression d’écœurement distant." (p.16) Il use parfois d'un style léger pour raconter une mort, pour faire un inventaire de tous les animaux que l'on découvre mangeables alors qu'en temps de paix, il ne serait venu à l'esprit de personne de les avaler. Des paragraphes qui allègent le propos, lourd forcément mais jamais insupportable ni lourdingue.
Un dernier extrait pour finir qui dit simplement ce qu'a été ce début de guerre que tout le monde croyait facile et gagnée en quinze jours. Comment des jeunes hommes, ruraux pour la plupart, avec peu d'instruction, ont pu à un moment se faire violence pour aller au combat et tuer un ennemi guère plus enclin à tuer que lui ni plus guilleret au moment d'attaquer : "Dès lors il a bien fallu y aller : c'est là qu'on a vraiment compris qu'on devait se battre, monter en opération pour la première fois mais, jusqu'au premier impact de projectile près de lui, Anthime n'y a pas réellement cru. Quand il a été bien obligé d'y croire, tout ce qu'il portait sur lui est devenu très lourd : le sac, les armes, et même sa chevalière sur son auriculaire, pesant une tonne et n'empêchant nullement que s'éveillât encore, et plus vive que jamais, sa douleur au poignet." (p.59)
Coup de coeur pour moi de cette rentrée littéraire.