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Un chagrin d'amour avec le monde entier

Publié le par Yv

Un chagrin d'amour avec le monde entier, Eric Pessan, Sylvie Sauvageon, Les éditions du chemin de fer, 2017

Une enveloppe reçue au courrier. Aucune mention de l'expéditeur ni à l'extérieur ni à l'intérieur. Seul un DVD la remplit. L'homme qui la reçoit attend avant de le visionner craignant quelque arnaque ou mauvaise surprise. Le lendemain seulement, il l'insère dans le lecteur de son ordinateur. C'est Elle. La femme avec laquelle il a vécu une histoire quelques années auparavant. Elle se raconte en diverses séquences. Le DVD débute par une phrase inscrite, un titre : "J'ai un chagrin d'amour avec le monde entier."

Eric Pessan écrit et Sylvie Sauvageon dessine des portraits d'une même femme avec différentes expressions, parfois un côté masqué par la fumée de cigarette, parfois sourainte, parfois plus grave. C'est elle que l'on imagine sur la vidéo racontant ses histoires. Ses histoires d'amour avec des hommes qu'elle a aimés et qui l'ont peut-être aimée en retour. Pas toujours. Et toujours elle revient à lui, au destinataire du courrier. Son rapprochement timide. Leurs échanges, leurs rendez-vous.

C'est très beau, intime, très profond. Cette femme se livre comme elle ne l'a jamais fait. En vidéo, sans crainte d'être interrompue par quiconque sauf elle-même. Avec le doute d'être regardée, écoutée.  Elle dit la rencontre, les moments de doute, de gêne, les débuts :

"Il me raconte des histoires : les siennes, celles des gens qu'il connaît, celles qu'il lit dans les livres. Certains hommes cachent leur silence derrière le bavardage. Je sais qu'il a peur de ce qui adviendrait si on laissait le silence s'installer entre nous.

Il faut se taire pour oser un geste.

Il faut se taire pour qu'une main frôle une main.

Il faut se désemplir la bouche des mots pour y recevoir la langue de l'autre." (p.15)

C'est un livre de grandes beautés : celle du texte, celle des dessins et celle de l'objet-livre, couvertures et rabats et mise en page. De ceux que l'on trouve dans les bonnes librairies, pas toujours mis en évidence, ce qui est fort dommage ; de ceux que l'on a plaisir à acheter, à ouvrir et à lire et à offrir ensuite tant on est sûr de faire plaisir.

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Saisons des feux

Publié le par Yv

Saisons des feux, Naná Howton, Des femmes-Antoinette Fouque, 2023 (traduit par Isadora Matz)

Dans cette petite ville brésilienne, au mitan des années 70, en pleine dictature militaire, les champs de canne à sucre sont brûlés pour faciliter les récoltes, et les habitants vivent avec des cendres  qui tombent du ciel en permanence. Smiley, seize ans et Porcelaine, sa petite sœur de douze ans quittent l'orphelinat pour retrouver leur mère, prostituée et alcoolique. Celle-ci les néglige et les deux sœurs décident de partir en stop chercher leur père. Le voyage est risqué, les rencontres pas toujours amicales. Les deux jeunes filles ne peuvent compter que sur elles-mêmes et sur leur lien pour se sortir des situations compliquées.

Divine surprise que ce premier roman publié en France d'une autrice d'origine brésilienne. Ses deux héroïnes ont vécu tellement longtemps dans l'orphelinat, protégées du monde extérieur, Porcelaine, petite et insouciante et Smiley concentrée sur la protection de sa sœur, qu'elle n'en ont aucune connaissance. Puis, petit à petit, Smiley se souvient : la violence de son père envers sa mère, la fuite de celle-ci avec ses deux filles...

Roman social et d'initiation puisque les deux jeunes filles, Smiley surtout, celle qui est présente à toutes les pages, vont découvrir le monde, comme si elles naissaient adolescentes. La violence ambiante, celle du pouvoir qui réprime toute forme de protestation, les harcèlements et agressions des hommes envers les femmes, la haine et le mépris des hommes envers les prostituées qu'ils fréquentent pourtant assidûment dans des bordels sordides, envers les homosexuels, envers tous ceux qui ne sont pas comme eux, le travail harassant et mal payé, la pauvreté, la grande différence entre riches et pauvres... Tout cela dans une petite ville pour s'éveiller à la vie en douceur, car il en serait différent à São Paulo par exemple où tout est exacerbé mais aussi où il est plus facile de vivre incognito.

Smiley avance pendant les quelques mois racontés par Naná Howton : elle fait le point sur sa vie, tente de comprendre les raisons de ses difficultés : "La vie de Smiley était devenue un flot constant d'amertume. Elle était bien consciente que c'était aussi de sa faute, parce qu'elle se refusait à exprimer de l'amour, le plus effrayant de tous les sentiments. C'était trop dur parce que s'il y avait le moindre risque de ne pas être aimée en retour, elle n'aurait plus qu'à aller mâcher une feuille d'une de ces plantes toxiques qui poussaient sous le figuier et se laisser mourir." (p.194/195)

Smiley et Porcelaine sont attachantes, fortes, elles subissent, se relèvent, luttent. Naná Howton décrit des jeunes filles réalistes et son roman assez conséquent est passionnant de bout en bout. Pas une seule ligne en trop. Fort bien écrit, donc fort bien traduit, il sera bien difficile à un lecteur de le poser pour passer à autre chose.

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Voodoo land

Publié le par Yv

Voodoo land, Nick Stone, Gallimard série noire, 2011 (traduit par Samuel Todd)

Max Mingus est flic à Miami. Il fait équipe avec Joe Liston. Ils sont appelés dans un parc animalier parce qu'un corps humain y a été retrouvé, avec dans l'estomac une mixture présentant tous les aspects de la magie noire vaudoue.

Max est le protégé d'Eldon Burns, son puissant chef, aux ordres d'un personnage retors surnommé la Fée Scato, qui arrange tous les coups pour le politique qu'il sert. Max est bien obligé de s'arranger avec ça, mais il commence à avoir des remords, des doutes. D'autant plus que son coéquipier, Joe, commence à renifler une embrouille.

Après l'excellent Tonton Clarinette -qui, écrit avant, se déroule après-, voici donc le deuxième tome de la trilogie Max Mingus. Et ils ne se ressemblent pas. Autant j'ai été favorablement impressionné par Tonton Clarinette, autant ce Voodoo land m'a ennuyé. L'histoire semble bien partie, et les différentes histoires qui gravitent autour : le vaudou des Haïtiens, la corruption, la violence, les arrangements entre policiers et politiques pour le bénéfice de tous corsent l'enquête et densifient le roman. Mais le problème principal est que tout cela est noyé dans un flot de détails inutiles, dans une logorrhée fatigante et dans moult digressions certes intéressantes mais longues et répétitives... Presque 600 pages dans la version brochée qui aurait pu maigrir quasiment de moitié sans que cela ne nuise ni à l'histoire ni à l'enquête ni aux personnages. Ni même aux apports extérieurs tels la pratique vaudoue, le changement au début des années 80, période à laquelle se déroule le roman, de la ville de Miami, le cynique constat des accointances entre politiques, voyous et policiers, la prostitution et le trafic de drogue qui explosent... Au contraire iceux auraient pu donner du fond, un contexte fort et une puissance au roman de Nick Stone.

Hélas, l'impression de me noyer, de ne pas avancer, tout cela me décourage malgré toute mon envie de renouer avec Max Mingus -mais je n'ai pas dit mon dernier mot, j'ai le troisième de la trilogie.

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Hôtel Lebac

Publié le par Yv

Hôtel Lebac, Carlos Caillabet, Baromètre, 2022 (traduit par Thomas Evellin)

Montevideo, 1960, Tomy, 14 ans, vit seul avec Marta sa mère qui ne parvient plus à payer le loyer de leur maison. Ils déménagent pour une pension tenue par un homme nommé Lebac. A l'hôtel Lebac vivent, outre le propriétaire, deux jeunes frères étudiants en médecine, un couple de personnes âgées, une vieille fille revêche, infirmière et un cinquantenaire veuf.

Tomy raconte les quelques mois qu'il passe avec ces gens et sa rencontre avec Julio et don Manuel patron de bar. Quelques mois qui le feront découvrir d'autres vies que la sienne et celle de Marta, des vies totalement différentes des leurs.

Très belle illustration de couverture de la version française due à Florent Mulot qui donne envie d'entrer à l'hôtel Lebac. Et une fois entré, on n'est pas déçu par l'ambiance ni par les personnages qui y habitent. C'est un court et très beau roman qui raconte une époque révolue, celle des pensions de famille dans lesquelles se côtoyaient des gens très différents, des artistes, des solitaires, des fêtards, souvent pauvres... Je ne connais pas bien l'Uruguay, je sais que la dictature militaire arrivera une dizaine d'années plus tard pour presque quinze ans, Carlos Caillabet en sera une des nombreuses victimes puisqu'emprisonné de 1972 à 1985 pour activités au sein d'un mouvement d'extrême gauche.

Dans son roman, il raconte un pays libre, dans lequel un jeune homme apprend la vie au hasard de ses rencontres. Pas totalement insouciant parce que sa mère peine à payer la pension et trouver du travail, il a néanmoins des préoccupations d'adolescent. C'est avec beaucoup d'humour que Carlos Caillabet écrit ce roman d'initiation, un humour teinté de nostalgie et de gravité pour décrire sa génération -il est né en 1948- et celle de ses parents. Il met en exergue une citation de J.D. Salinger dans L'Attrape-cœurs, qui exprime assez bien ce que l'on ressent à la lecture, cette nostalgie des gens rencontrés qu'on ne voit plus : "Mieux vaut ne jamais raconter à personne. Dès lors que l'on commence à raconter, le monde entier se met à nous manquer."  Et pourtant, ils racontent... pour notre plus grand plaisir

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Le bureau des affaires occultes

Publié le par Yv

Le bureau des affaires occultes, Eric Fouassier, Livre de poche, 2022 (Albin Michel, 2021)

Paris 1830, après les Journées révolutionnaires de juillet, le nouveau roi, Louis-Philippe, installe un gouvernement et doit faire face à une opposition virulente. Valentin Verne, jeune inspecteur aux mœurs, versé dans la science, la chimie et la médecine est approché par un commissaire de la Sûreté pour enquêter sur le suicide d'un jeune homme d'une grande famille.

Policier solitaire, Valentin sent assez vite que ce suicide est suspect et qu'il pourrait cacher une affaire des plus importantes qui pourrait mettre en danger le pouvoir.

En même temps que son enquête officielle, Valentin poursuit sa recherche du Vicaire, un homme qui enlève, séquestre et abuse d'enfants et qui s'évanouit à chaque fois que le policier s’approche de lui.

Nouveau venu dans la liste des enquêteurs de polars historiques, Valentin Verne est un personnage original, versé dans le sciences et dans l'irrationnel. Pour sa première enquête, qui, je dois le dire traîne un peu dans sa seconde partie, mais qui rebondit de manière inattendue et formidable pour finir en beauté, il suscite des attentes et des envies de suites du même acabit.

Période trouble que celle de la Monarchie de juillet, qui suit pas d'autres tout aussi troubles depuis la Révolution. Entre monarchistes fidèles à Charles X contraint d'abdiquer, ceux qui soutiennent le nouveau roi, celui des Français, les Républicains... C'est un très bon contexte historique pour placer une intrigue policière en lien avec les événements. En outre, en ce début de XIXe siècle, ce sont des découvertes essentielles pour la médecine, la science en générale et l'ouverture à un monde plus irrationnel, celui du spiritisme (les tables qui tournent viendront un peu plus tard avec notamment les sœurs Fox, voir ici) et les suites des théories sur le magnétisme animal de Messmer, médecin autrichien.

L'enquête de Valentin Verne promet d'être difficile et délicate car elle met en cause quelques grands personnages. Néanmoins, rien ne l'arrête, lui qui sait déjouer les traquenards et use d'une pratique et d'une expérience peu communes pour un homme aussi jeune. Eric Fouassier mêle avec talent les personnages qu'il invente à ceux qui ont réellement existé. Ils se côtoient, s'aident, se croisent. Tout cela pour une série qui débute sous les meilleurs auspices et qui a d'ailleurs déjà vu la naissance d'un autre tome (Le fantôme du Vicaire) sorti il y a quelques mois.

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Vers le monde bleu

Publié le par Yv

Vers le monde bleu, Guy Bordin, La Trémie, 2022

Dans les années 1990, un jeune enseignant passionné par les contrées australes, demande dès sa première affectation la Nouvelle Calédonie. Il est nommé dans l'est de la France puis, quelques années plus tard, a l'opportunité d'aller enseigner à Saint-Pierre et Miquelon. Là-bas, il fait la connaissance de Jacques professeur d'EPS avec lequel il va vivre une histoire d'amour. Jacques lui parle également de sa passion pour les premiers habitants de Terre-Neuve, chassés par les colons anglais, les Béothuks dont il ne reste rien. Les trois derniers survivants ont été capturés dans les années 1820 et la dernière, Shanawdithit est morte en 1829. Les deux hommes passent alors beaucoup de temps sur les traces des Béothuks, à tenter de retrouver de mystérieuses poupées de bois.

Guy Bordin est océanographe, ethnologue, réalisateur, diplômé en langue et culture inuits. Il est aussi écrivain et publie son deuxième roman après L'amant fantasmatique. Vers le monde bleu est un roman assez court, très riche. J'ai personnellement beaucoup appris sur Saint-Pierre et Miquelon et sur Terre-Neuve et ses premiers habitants, les Béothuks. Si j'ai pu me sentir un peu dépassé par les toutes premières pages dans lesquelles l'auteur parle de l'intérêt de son héros pour les terres australes en y citant les différents peuples qui les ont habitées, très vite je suis entré dans le rythme de Guy Bordin et j'y ai puisé une foultitude d'informations et surtout trouvé un réel plaisir de lecture. Instructif sans être pédant, très bien écrit, ce court récit duquel le superflu a été gommé, va au plus court, au plus direct sans omettre de nous décrire les paysages, les lieux visités et les personnes rencontrées. De fait, j'ai eu très envie d'aller partager les périples des deux hommes en ces lieux encore point trop touristiques. Et de me prendre à espérer qu'ils trouvent les objets de leur quête

C'est aussi un roman d'initiation amoureuse. Le jeune enseignant se sait homosexuel mais n'a pas encore osé vivre une histoire avec un autre homme. Les années 1990 sont assez anxiogènes : les homos ne sont pas vraiment acceptés et le Sida fauche de nombreuses personnes dont certaines personnalités : Hervé Guibert, Cyril Collard... A Saint-Pierre, petite ville sur une île, lorsqu'on est enseignant, il vaut mieux ne pas montrer son orientation sexuelle si celle-ci n'est pas la norme acceptée. Il faudra trouver des moments et des endroits pour que deux hommes se rencontrent librement. Ce sont également de belles pages, explicites et sobres. Ils mettent à profit leurs temps de recherche sur les Béothuks pour partager de beaux moments.

L'ensemble est un beau roman, équilibré, sobre et instructif qui fait la part belle aux paysages, aux premiers habitants des endroits décrits. Excellent pour se dépayser en lisant de très belles lignes.

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Vieux os

Publié le par Yv

Vieux os, Ariane Payen, Le lion z'ailé de Waterloo, 2022

Mont-les-Sources, bourgade tranquille connue pour sa source qui passe par le café La Claire Fontaine tenu par Roger et Ginette, son zoo en mauvaise situation économique et sa maison de repos Les Lampions pas en meilleure posture.

Une année dans la vie de la petite ville, de septembre 2011 à septembre 2012, une année qui va tout changer, entre arrivées de certains, départs d'autres, rapprochements, éloignements, événements tragiques, rebondissements et chamboulements.

Beaucoup de personnages, chacun ayant quelques lignes de description en ouverture du roman auxquelles je me suis souvent référé au départ pour ne pas perdre le fil. Le roman est décousu, j'imagine volontairement, il passe d'un intervenant à un autre, sans lien apparent, ce qui peut surprendre et qui finalement, est plutôt bien vu, car il oblige le lecteur à une attention et à une gymnastique certaines. Icelui ne peut pas passer de pages sans risquer de perdre le fil ou de rater des événements, des rebondissements. Et ce roman en est empli. Ce petit bourg que l'on pouvait croire paisible va vivre des instants tendus, mais toujours dans la bonne humeur.

Ce n'est pas mon genre de littérature habituel et préféré, mais je dois dire que j'ai souvent souri et que j'ai bien aimé. Léger et divertissant tout en brossant quelques portraits bien sentis, ce roman assez gros mais pas trop dense virevolte et pétille. Très bien pour commencer l'année et pour oublier un peu la précédente, pas vraiment joyeuse.

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