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La muraille invisible

Publié le par Yv

La muraille invisible, Henning Mankell, Seuil, 2002 (traduit par Anna Gibson)

Un homme d'apparence tranquille, menant une vie assez solitaire meurt devant un distributeur de billets, le 6 octobre 1997.

Deux adolescentes, l'une juste majeure et l'autre, 14 ans, tuent de sang-froid un chauffeur de taxi sans histoire. La plus âgée parvient à s'enfuir du commissariat. Son corps est retrouvé carbonisé dans un relais électrique, ce qui cause une grande panne d'électricité pour une partie de la Scanie.

Kurt Wallander, chargé des enquêtes perd ses nerfs lors de l'interrogatoire de la plus jeune fille et la gifle en voulant protéger sa mère qu'elle voulait agresser. Un journaliste présent par hasard fait une photo, bientôt reproduite dans les tabloïds suédois.

Me voici toujours plongé dans les enquêtes de Kurt Wallander et celle-ci est sans doute celle qui le laisse le plus désappointé. Il ne sait pas par quel bout la prendre. Aucun indice, aucune piste. Les élément mis bout à bout ne donnent rien et les séances où chacun réfléchit et émet toutes les hypothèses possibles vont dans le vide. Il faudra l'intervention d'un jeune hacker pour qu'enfin quelque chose commence à se dessiner et qu'un compte à rebours s'enclenche. Jamais Wallander ne fut aussi proche de l'illégalité, de la peur d'échouer.

Écrit en 1998, au début d'Internet, Henning Mankell parle de l'évolution de nos sociétés vers le tout informatique, le tout relié et de la fragilité inhérente à la confiance absolue en ce moyen. Que n'écrirait-il pas presque 25 ans plus tard, sur les bienfaits et le relatif confort de l'informatique des connexions mais aussi sur les risques et les dérives des réseaux sociaux notamment ? Un exemple vu : j'allais, il y a dix/quinze ans chercher mon fils à l'école et je rencontrais d'autres parents avec lesquels je liais connaissance -pourtant, je suis peu social. J'y retournai récemment pour un jeune que j'accueille à la maison, et quasiment plus de groupe de discussion, chacun est sur son portable feignant une activité prenante. Le mien me servant assez peu, j'observe cette évolution qui m'effraie un peu.

Mais revenons à Kurt, qui va donner beaucoup de sa personne en ce roman. Comme souvent il se pose des questions sur son avenir, mais sait y répondre avec force et conviction, preuve qu'il avance puisque ce n'était pas le cas précédemment. Et comme toujours, son cerveau en constante pression qui échafaude autant de théories qu'il existe de pistes, va a un moment trouver le détail, le petit truc qui va faire tilt, le déclic. Et puis, les 150 dernières pages se lisent avec une vitesse accélérée si tant est qu'il soit possible de le faire, car le début est déjà passionnant. Bref, encore une excellentissime enquête de Kurt Wallander.

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Haïr vite et bien

Publié le par Yv

Haïr vite et bien, Jean Pouëssel, Ouest-France, 2021

Dans un monde futuriste où les villes dont Rennes, lieu de l'action, ont été végétalisées, les habitations montent très haut, les déplacements urbains se font en zeppelin, mais où les réseaux sociaux et les hologrammes dictent leurs lois, une journaliste est retrouvée battue à mort. Napoléon Chrysostome et Jean-Moktar Mahmouti, sont les deux flics chargés de l'enquête.

Le maire tout-puissant, Gengis Déko-Markus dit GDM et son groupe de communication virtuelle Ubikus sont la cible d'une tentative de déstabilisation. GDM fait appel à John-John Sequoïa, un pisteur très réputé, pour trouver qui lui veut du mal.

Polar futuriste absolument épatant. J'ai beaucoup aimé la description du monde de demain vu par l'auteur, à la fois soucieux de la préservation de la planète et très inventif quant aux procédés pour parvenir à se déplacer moins, à consommer moins. Les habitants de ce monde-là n'ont pas vraiment le choix, ils obéissent aux injonctions s'ils veulent survivre. Comme toute société futuriste, elle est dirigée par des hommes puissants et assoiffés de pouvoir -ce qui, évidemment n'est pas le cas de nos jours-, elle flicque : des caméras et des micros partout, elle sanctionne... Elle a également ses détracteurs, ceux qui se regroupent dans des quartiers ou à l'extérieur de la ville, là où n'entrent pas les forces de l'ordre et où se réfugient donc ceux qui sont recherchés.

Jean Pouëssel a un talent certain pour trouver des noms et prénoms pas banals à ses personnages, ceux sus-cités, mais aussi Brandon Acid, Iso-Yellow Kardec, Térébentine M'Ba, Ultramarine Déko-Markus... Le tout donne une ambiance de mélange, de métissage, de créolisation comme disent certains et comme détestent d'autres, que j'aime beaucoup. Sur des caractères classiques, le romancier s'amuse à faire faire un pas de côté à chacun de ses intervenants, à les décaler, ce qui les rend ou plus sympathique ou encore plus odieux, mais toujours originaux.

Le tout donne ce roman policier de science fiction vraiment bien construit, où tous les éléments récoltés au cours des pages s'imbriquent parfaitement, où toutes les portes ouvertes se ferment. Un scénario bien huilé, maîtrisé de bout en bout. Très belle découverte.

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Les ombres de l'Erdre

Publié le par Yv

Les ombres de l'Erdre, Aline Duret, Palméon, 2021

Carquefou, banlieue nantaise, une jeune joggeuse est retrouvée morte, assassinée. L'adjudant de gendarmerie Simon Belfort arrive rapidement sur les lieux et découvre que la victime est une jeune femme avec la quelle il a eu une relation amoureuse.

Troublé, il va devoir faire équipe avec l'adjudant-chef Hadrien Velganni pour lequel il n'a aucune sympathie, ce qui ici, est un euphémisme, les deux hommes se détestent.

Premier roman d'Aline Duret, par ailleurs professeure de littérature, auto-édité en 2018 sous le titre La loi du Talion et réédité par Palémon cette année.

Pas mal de choses convenues, attendues dès le début et je me dis que le choix de Palémon n'est pas le bon, avant que, une fois les personnages et la situation installés, le récit ne devienne davantage intéressant et moins prévisible. L'intrigue, si elle n'est pas fondamentalement originale est bien soutenue par la rivalité entre les deux gendarmes et par leurs deux personnalités qui s'avèrent plus complexes que prévu. Hadrien Velganni, taciturne et prêt à se mettre tout le monde à dos révèle des capacités d'enquêteur insoupçonnées et Simon Belfort, Dom Juan local, alcoolique, parti pour être le flic principal s'efface un brin en seconde partie. Le duo, très atypique, fonctionne cahin-caha, contraint de collaborer.

Bien écrit, très agréable à lire, un premier roman policier qui donne à penser qu'Aline Duret a tout pour en écrire d'autres encore mieux charpentés et plus complexes. Avec, peut-être, le même duo d'enquêteurs, je suis curieux de connaître la suite.

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La fille qu'on appelle

Publié le par Yv

La fille qu'on appelle, Tanguy Viel, Minuit, 2021

"Quand il n'est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l'aider à trouver un logement." (4ème de couverture)

Avec ce titre un peu mystérieux, en fait, traduction littérale de call-girl, Tanguy Viel écrit un roman formidable en écho et en accompagnement aux divers mouvements de ces dernières années de femmes osant porter plainte ou dénonçant leur agresseur. L'histoire de Laura est malheureusement et honteusement banale, celle d'une jeune femme qui va devoir accepter les avances sexuelles d'un édile contre un hypothétique logement et un encore davantage hypothétique travail.

Le roman s'ouvre sur la jeune femme qui raconte son histoire à des policiers : on imagine qu'elle porte plainte ou qu'il s'est passé un événement qui l'a amenée à être entendue par la police. Et Laura raconte les faits, la succession des mots, des avances qui n'en sont pas vraiment tout en ne pouvant y échapper et qui mènent vers l'inéluctable. Ses descriptions sont entrecoupées par ses réflexions, son sentiment de culpabilité parce qu'elle n'a pas su ou pu refuser ou repousser le maire ; elle est prise au piège, ne peut s'en défaire sûre de s'y être elle-même mise et n'ayant jamais su ou pu saisir l'occasion de fuir. C'est remarquablement construit, de sorte qu'on sait comment Laura s'est retrouvée enfermée et qu'on comprend qu'elle n'ait pas pu sortir. "Ils se sont regardés à nouveau, les deux policiers, se demandant de plus en plus à qui ils avaient affaire, à force de cette manière un peu digressive, un peu désaffectée aussi, qu'elle avait de raconter son histoire, comme si elle ne lui appartenait pas vraiment, comme si elle se regardait elle-même la raconter sans qu'à aucun moment, non, elle n'ait cherché à les prendre par les sentiments -sa manière à elle, finiraient-ils par comprendre d'y parvenir." (p.74)

Comme souvent dans les livres de Tanguy Viel, c'est un monologue intérieur, une lutte des petits contre les puissants et de profondes réflexions du personnage principal, formidablement mis en mots dans des phrases longues, ponctuées, virgulées, parfois tortueuses mais tellement belles et toujours compréhensibles. On est vraiment dans l'idée que je me fais de la belle littérature. Ouvrir un livre de Tanguy Viel, c'est comme revoir un ami qu'on n'a pas vu depuis longtemps : on retrouve tout ce qu'on aime chez lui et l'on reprend la conversation là où l'on l'avait stoppée sans incompréhension,. J'aime ce sentiment de me retrouver, dans les mots d'un écrivain -ça me le fait aussi avec Jean Echenoz-, en toute simplicité comme si nous étions à discuter autour d'un verre ou d'un repas, un truc qui fait du bien même si le sujet n'incite pas à la rigolade, parce qu'entre amis, on peut aussi parler de sujets lourds.

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Du sang sur le Quai

Publié le par Yv

Du sang sur le Quai, Pierre Pouchairet, Palémon, 2021

Au cours du célèbre salon dédié aux polars, Le Goéland Masqué à Penmarc'h, un auteur est retrouvé mort, assassiné. Puis un autre meurtre quelques mois plus tard dans un autre salon aussi fameux, Le Chien Jaune à Concarneau. Les deux victimes avaient en commun d'avoir été lauréats de Prix du Quai des Orfèvres. C'est cette direction que prend l'enquête menée par Léanne Vallauri, cheffe de la police judiciaire du Finistère, assistée de ses deux amies Vanessa psycho-criminologue et Élodie médecin-légiste et de toute son équipe d'enquêteurs de Brest et Quimper et notamment Isaac qui aura même l'opportunité d'aller en Russie pour interroger un suspect.

Tome 8 de la série Les trois Brestoises et comme à chaque fois, Pierre Pouchairet invente et évite de calquer à ses héroïnes des modèles d'intrigue et d'enquête tous faits. A chaque fois, il change de contexte ce qui fait qu'à part les personnages principaux, on n'a jamais la sensation de lire le même livre. C'est entre autres, ce que j'apprécie et qui est à noter, parce que ce n'est pas le cas dans toutes les séries et que Pierre Pouchairet qui écrit beaucoup pourrait aisément céder à quelques facilités.

Cette fois-ci, nous voici donc autour d'un prix littéraire important dans le monde du polar et que l'auteur connaît bien puisque, comme le précise le bandeau, il en est l'un des lauréats -en 2017-, avec Mortels trafics -l'un sinon le seul livre de lui que je n'ai pas lu. Et Pierre Pouchairet de nous parler du prix, de lancer quelques piques vers quelques écrivains de polars qui aiment faire couler l'hémoglobine sur le papier mais qui flanchent dès qu'ils en voient. Je ne sais pas s'il a raison, mais la remarque me fait sourire surtout que je ne suis pas fan des polars dans lesquels le sang coule abondamment ou dans lesquels les descriptions sont légion et gore, cela ne m'apporte rien, je préfère la suggestion et qu'on me laisse me faire mes images.

J'aime bien l'angle pris par le romancier pour nous faire vivre l'enquête : si Léanne est directement défiée par le tueur et agit en conséquence, ce sont son collègue Isaac et Vanessa la psychologue qui, sur ce tome, sont mis en avant. Une enquête qui tranche avec la précédente, Le pont du diable, ce que fait régulièrement Pierre Pouchairet : une intrigue lourde et forte, suivie d'une davantage locale et classique, preuve qu'il maîtrise et aime tous les genres et nous les fait aimer.

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Ambernave

Publié le par Yv

Ambernave, Jean-Hughes Oppel, Payot&Rivages, 1995

Ambernave, ville portuaire, il y a des dockers et Émile, un ancien unijambiste, alcoolique et misanthrope. Il rencontre Johé, un colosse mutique accompagné d'un chiot. Affamés, tous les deux. Émile les recueille, les nourrit et se prend d'amitié.

Ambernave, il y a aussi le croque-mitaine, surnommé ainsi par la presse. Un tueur en série qui sévit dans les quartiers du port. Il y a donc des flics, Lombard et Brison, des patrouilleurs. Un duo qui pourrait bien être celui qui connaît le mieux le tueur.

Il y a aussi M. Wong, mafieux local, qu’Émile renseigne, se faisant quelques billets supplémentaires pour finir le mois lorsque la pension d'invalidité ne suffit pas.

Le roman débute ainsi :

"Dans le port d'Ambernave, il y a des marins, ce qui en soi n'a rien d'étonnant.

Dans le port d'Ambernave, il y a des marins qui ne chantent pas, parce que le cœur n'y est plus. Parce qu'il n'ont plus de rêves. Ce qui les hante, c'est la fermeture totale des chantiers navals, le chômage, la mise au rancart. La crise." (p.9) Et Jean-Hughes Oppel continue ainsi son prologue pendant quatre pages. Quatre pages qui font venir les images et la musique et la voix de Brel. Ensemble qui ne nous quitte plus du livre.

Roman insolite, original. Noir, évidemment. D'une qualité littéraire rare et réjouissante. C'est un festival de bons mots, de belles phrases, bien tournées, bien troussées, de celles qui font s'ébaubir à chaque page, qui donnent au roman une ambiance poisseuse, noire, collante, un truc dont on ne se défait pas. D'aucuns qui dédaignent encore le roman noir parce qu'il n'est pas assez bien, trop populaire peuvent sans risque ouvrir celui-ci qui les réconciliera avec le genre.

"La véritable nature de sa bienveillance [celle de la mère maquerelle] à l'égard de l'ancien docker est plus subtile et lui échappe complètement. C'est un alibi ; un élan de charité noyé dans le vice. Inconscient, informulé, n'osant pas dire son nom, mais un élan quand même -une bonne action pour brandir à la corbeille du Jugement Dernier. Encore que : s'il y a une chose sur laquelle madame Angèle s'assoit (après son cul), c'est bien la religion." (p.152/153)

Écrit en 1995, découvert en bouquinerie cet été, quel pif j'ai eu de tomber dessus et de ne pas le laisser dans les rayons !

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Noire campagne

Publié le par Yv

Noire campagne, Patrick S. Vast, Le chat moiré, 2021

Fin 2019, Seclemars, ville de la banlieue lilloise, se prépare mollement aux prochaines élections municipales. Le maire sortant, Alexandre Montjeune, en place depuis 1983 se représente pour son ultime mandat et est certain d'être élu. Un jeune homme ambitieux, Gérald Régnier, se met à son service pour profiter de son influence et au dernier moment, se présenter contre son mentor. Voilà qui anime un peu la campagne politique jusqu'ici morose. Tout cela sur fond d'un virus venu de Chine qui commence à faire parler de lui et pourrait bien déjouer les plans des uns et des autres.

Patrick S. Vast est un auteur de polar expérimenté, qui, sans effets, sans hémoglobine ni courses-poursuites ou grabuges à tous les coins de rue captive son lectorat. Il sait décrire les situations du quotidien avec précision et raconter les travers, les magouilles, influences et manipulations dont sont victimes et/ou complices voire coupables, certains prétendants au titre d'édile. C'est un constat amer et négatif d'une certaine politique, mais ce n'est pas Patrick S. Vast qui a commencé. Beaucoup de gens en place depuis des décennies ont montré un exemple déplorable et ont desservi la politique. Pas étonnant que certains électeurs se tournent vers des figures qu'ils pensent moins marquées -quoique dans le lot, il y ait des condamné(e)s parfois amateurs de doigts d'honeur- et aux propos ignobles, nauséabonds, pour rester poli.

Le roman de Patrick S. Vast est drôlement bien construit, à coup de retours en arrière, le début s'ouvrant dans une église lors d'une sépulture d'on ne sait qui. Il décortique les rapports entre politique et économie et entre les hommes -car, oui, il s'agit souvent d'hommes- qui les incarnent. Entre ceux qui semblent honnêtes mais qui auront beaucoup de mal à résister aux pressions, car il faut beaucoup de force pour refuser certaines propositions, et ceux qui fonceront tête baissée. C'est fin, bien vu et ses personnages sont tour à tour pétris de bonnes intentions, puis, aveuglés par l'ambition, puis tellement pris dans le tourbillon de leurs vies mouvementées qu'ils en oublient les bases. Patrick S. Vast décortique les relations humaines, les mauvais coups, les ambitions des uns et des autres habilement et l'on ressort de ce roman en se disant que la politique est vraiment un monde de brutes. Néanmoins, il évite le "tous pourris" ce dont je lui sais gré.

Depuis quelques années Patrick S. Vast publie chez Le chat moiré éditions ses romans policiers joliment présentés dans cette belle couverture jaune-orangée.

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