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Anna

Publié le par Yv

Anna, Stéphane Betbeder, Christophe Bec, La boîte à bulles, 2021

Oscar est un artiste sulfureux mais aussi un manipulateur. Entouré de sa bande de souffre-douleurs : Antoine l'ami (?) jaloux, Barbara sa petite amie qu'il rabroue sans cesse et dont Antoine est amoureux, Hervé qui va toujours dans le sens du leader et Mathilde, la souffre-douleur préférée, celle sur qui Oscar aime se passer les nerfs. Il y a aussi Anna, la voisine qu'Oscar a aimé et laissé tomber mais qui ne compte pas abandonner facilement.

Bande dessinée en noir et blanc très particulière à tous niveaux. D'abord l'encrage qui, très noir, laisse parfois davantage deviner les silhouettes que reconnaître les personnages à leurs traits. C'est un parti pris audacieux qui peut rebuter notamment dans les premières pages mais qui au fur et à mesure participe à la tension et à l'ambiance glauque de l'histoire. Ensuite justement, cette histoire de manipulation sur fond de rapports de domination, d'humiliation. Perversité et sadisme dans le monde de l'art contemporain. Qui pose évidemment la question des limites de l'art, jusqu'où l'artiste peut-il aller ? Doit-il respecter certaines limites liées aux us, aux tabous ? C'est une bande dessinée qui met mal à l'aise, un thriller psychologique entre des personnages qui aiment se détester et qui ne peuvent pas vivre sans cela. Dérangeant et perturbant, donc à lire forcément ; à réserver aux adultes.

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Chaplin prince d'Hollywood

Publié le par Yv

Chaplin prince d'Hollywood, Laurent Seksik, David François, Rue de Sèvres, 2021

1919, Hollywood, Charlot est très célèbre et il va de triomphe en triomphe. Pour Charlie Chaplin, c'est autre chose : il sort tout juste d'une accusation de pantoufler aux États-Unis pendant que les jeunes Britanniques se battent dans les tranchées, et sa vie sentimentale, son amour des jeunes femmes lui causent d'autres soucis. Son premier mariage se solde par un divorce qui lui coûte cher. Charlie Chaplin doute, c'est son frère Sydney qui lui remonte le moral et le pousse à continuer à écrire pour Charlot. C'est dans les années qui viennent qu'il va produire ses plus grands films.

Toujours aussi bien cette BD. Tome 2 d'une trilogie qui n'évite pas les faces moins glorieuses de Charlie Chaplin et notamment son goût des jeunes femmes qui n'a pas trop nui à sa réputation (il a beaucoup donné de son argent pour faire taire ses ex) et qui, aujourd'hui lui ferait sans doute beaucoup plus de mal. Les deux auteurs (Laurent Seksik au scénario et David François au dessin) en parlent beaucoup, de même qu'ils évoquent les doutes de Chaplin notamment au passage au cinéma parlant, son ambition, sa volonté de toujours se dépasser. C'est drôlement bien fait, bien documenté et ça donne envie de (re)revoir les films de Chaplin, même s'ils sont connus, vus de multiples fois, sans doute pour ma part, ceux que j'ai vus les plus grand nombre de fois.

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Et on entendait les grillons

Publié le par Yv

Et on entendait les grillons, Corina Sabău, Belleville, 2021 (traduit par Florica Courriol)

Roumanie, dans les années 1980, les femmes peuvent travailler, souvent dans des usines à des tâches ingrates, surveillées par des contremaîtres hommes. Tous obéissent aux règles imposées par la dictature, doivent défiler pour célébrer le "grand timonier". La vie est dure, aucune liberté et encore moins pour les femmes qui ne peuvent même pas choisir combien d'enfants elles désirent, soumises aux hommes et au pouvoir. Parler d'avortement est un crime, alors le subir, lorsque miraculeusement la femme reste vivante, c'est encore pire.

Court roman écrit comme une plongée dans la tête de l'héroïne où l'on aurait accès à toutes ses pensées, ses conversations, ses peurs, ses doutes, ses fatigues... Ça va vite, ça peut partir un peu dans tous les sens au risque de se perdre, il faut beaucoup comprendre entre les lignes. Pas de répit donc pour lire la vie de cette femme qui n'en avait pas beaucoup non plus. Elle tente bien de trouver du réconfort et de l'amitié avec ses collègues, mais les ordres et les hommes ne sont jamais loin. La vie qui pousse en elle alors que son mari ne veut pas d'autre enfant, un cela suffit bien, la pousse à envisager le pire. Et dans ce pays et dans ces années-là, c'est une voie qui peut mener à la mort.

La langue de Corina Sabău peut dérouter, surprendre. Ce court texte demande un peu d'attention et de prendre son temps. Il y a pas mal d'allusions à l'époque et au pays et les notes en fin d'ouvrage sont bien utiles ainsi que l'avant-propos de Florica Courriol, la traductrice. Et comme toujours chez Belleville, la couverture est signée d'un(e) artiste du pays, ici, la roumaine Alina Campean.

"Impossible de me rappeler si c'est elle qui a dit ça -nous avons pourtant si souvent partagé la même table de travail- ou si ces pensées ont jailli de moi, comme à chaque fois que je me souvenais d'elle. J'avais pourtant trouvé une dizaine de bonbons chinois au fond de ma sacoche, j'étais contente, ravie, j'avais le sentiment de ne pas avoir perdu ma journée. Sonia serait si heureuse, je la voyais déjà courir, fière, vers son père : regarde ce que maman m'a apporté, la prochaine fois ce sera du Nutella, oui je te jure, et si c'est pas vrai, tu me laisseras faire des tours d'escalator à Victoria ? promis, juré !, de quoi raviver notre complicité avec ces sucreries orientales..." (p. 11)

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Deux corps

Publié le par Yv

Deux corps, Jean-Pierre Campagne, 17 éditions, 2021

Le 2 novembre 2013, à Kidal, dans le nord du Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes à RFI sont assassinés quelques heures après leur enlèvement. Quelques jours avant, des otages français détenus depuis 3 ans étaient libérés contre une forte rançon . Mais qui a tué les deux journalistes, et pour quelles raisons ?

Autant de questions que se pose Jean-Pierre Campagne, dans un récit-fiction dans lequel interviennent tour à tour divers protagonistes : l'ami, l'avocate, le ministre, le négociateur...

Très court texte de Jean-Pierre Campagne, ami de Ghislaine Dupont, qui comme tous ceux qui la connaissent ne s'explique pas cet assassinat. Dans un pays, au moment de l'opération Serval menée par la France, où les blancs non militaires sont assez faciles à enlever et ont une grande valeur marchande pour les djihadistes, ces morts n'ont aucun sens. Personne ne parle, ni la France -secret d'état-, ni le Mali.

Dans cette fiction, JP Campagne pose des questions en se mettant à la place des divers intervenants. C'est très parlant, sans doute plus qu'un long article de journal, car son texte touche davantage. Il peut, contrairement à un article, faire appel aux émotions, aux doutes. La fiction permet tout, même de faire parler des objets, c'est sans doute étrange dit comme cela, mais ça coule parfaitement dans ce récit.

Entre les lignes, il y a la difficulté de faire le métier de journaliste dans les zones à risque et les risques inhérents. Il y a aussi la difficile position des autorités des pays, des diplomates, qui, dans le cas des pays occidentaux, jurent ne jamais verser de rançon mais qui le font. C'est compliqué, j'avoue n'avoir pas d'avis tranché sur la question entre sauver les vies des otages et financer le terrorisme...

JP Campagne fait également parler ceux qui restent : la famille, les amis pour qui la mort et l'absence d'explications les touche au quotidien. Le tout donne un livre touchant, un bel hommage aux deux victimes Ghislaine Dupont et Claude Verlon, qu'on trouve directement sur le site de l'auteur : www.jpcampagne.com.

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