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Psycho-investigateur

Publié le par Yv

Psycho-investigateur, Erwan Courbier, Benoît Dahan, Physalis, 2013

Simon Darius est psychanalyste, psycho-investigateur auto-proclamé. La capitaine Sandra Brody fait souvent appel à lui, au grand dam de son collègue, le lieutenant Padovani et de ses supérieurs qui considèrent Simon comme un charlatan. Il faut dire que sa méthode n'est pas banale : il entre dans les souvenirs conscients ou inconscients des gens pour cibler la vérité et les confondre ou les innocenter et les soigner. Mais ce que réussit Simon sur les autres, il ne parvient pas à le faire sur lui-même, accablé depuis deux ans par la disparition de Dora, sa femme.

Trois tomes dans cet album : Les fantômes de la culpabilité, Les voies étouffées, Les portes dérobées. Et bonne idée de les réunir, car il y a un fil rouge, celui de la disparition de Dora. Si les enquêtes ne sont pas originales dans le fond, la forme, qui prime l'est totalement. D'abord, la manière qu'a Simon d'entrer dans les cerveaux des gens est étonnante : il voyage physiquement dans leurs souvenirs. Puis, il lui faut assembler les pièces du puzzle ainsi récoltées. Les scénarios sont subtilement tortueux et les personnages finement décrits. C'est drôlement bien raconté. J'imagine la recherche documentaire sur la psychanalyse, les rêves, les troubles mentaux, ... fort bien restituée.

Et le plus de cet ouvrage, c'est indéniablement le dessin. Comment dire autrement que somptueux ? Benoît Dahan joue avec les couleurs, les cases, plus ou moins grandes et nombreuses par page pour différencier la réalité des souvenirs des patients et suspects. J'en suis encore tout retourné tant j'ai adoré. J'ai découvert Benoît Dahan avec Dans la tête de Sherlock Holmes, dont je parlerai ici plus tard, car il fait partie d'une sélection pour un Prix reporté pour cause de virus et qui m'avait bluffé lui aussi. Ce dessinateur invente, innove, il a une patte personnelle remarquable et identifiable.

Dernière précision : ce volume est en rupture de stock chez Physalis, il devrait être réédité chez Petit à petit à l'automne, excellente maison qui a fait paraître le tome 4 de Psycho-investigateur dont je parle très très bientôt. Et bonne nouvelle, sur le site de l'éditeur, on peut se tenir informé de la prochaine parution. Elle est pas belle la vie ?

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L'amant fantasmatique

Publié le par Yv

L'amant fantasmatique. Journal de Kerbihan, Guy Bordin, Maïa éditions, 2020

Le narrateur et Jean, son cousin maître de conférences en Histoire moderne passent l'été -dans les années 80- dans un chalet isolé en Bretagne pour travailler à la préparation d'un livre. Le jeune homme est épris de Jean -mais point de réciprocité- qui lui parle de ses années au Canada et de sa découverte des Esquimaux. Le séjour studieux se transforme vite en malaise pour le narrateur amoureux d'un homme qui ne le lui rend pas.

Texte dans lequel la passion amoureuse et la tension érotique sont présentes du début à la fin. Elles sont dans tous les paragraphes, dites ou devinées. Elles hantent le jeune homme au point de lui faire avoir des hallucinations terriblement réalistes après que son cousin lui a raconté que les Esquimaux "pouvaient avoir en certaines circonstances une vie sexuelle avec, selon une traduction française approximative, des partenaires virtuels ou fantasmatiques, des mots un peu flottants. En gros, lorsqu'une personne A s'entiche d'une personne B et y pense trop, la convoite avec ardeur, en est diablement obsédée, il peut arriver que l'être secrètement aimé B se révèle à A sous une forme fantasmatique. Les rencontres intimes surviennent par la suite lors de contextes variés, mais uniquement quand A est seul..." (p. 25/26) Ce passage est le déclencheur des visions intimes du jeune homme qui ne vont plus le lâcher pendant le séjour en Bretagne.

Le texte est court et beau, rapide, il prend des airs de polar lorsqu'un chef scout disparaît, s'aventure dans l'érotisme et dans le fantastique avec cette histoire inuite d'amant fantasmatique. L'écriture est soignée, travaillée, elle est fluide, coule naturellement. Je la ressens ainsi, mais l'auteur s'est peut-être arraché les cheveux à la rendre telle, ça ne se sent pas.

Guy Bordin est ethnologue et réalisateur et connaît bien le monde inuit. Il a écrit pas mal d'articles scientifiques et a coréalisé huit films. Ce roman est son premier texte de fiction, essai transformé. A noter qu'il peut gêner certains par la tension sexuelle qui l'habite et qu'il est inaccessible aux homophobes.

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Dieu, le point médian et moi

Publié le par Yv

Dieu, le point médian et moi, Anne Robatel, Intervalles, 2020

En corrigeant des copies, Anne Robatel, professeure d'anglais en classe préparatoire, voit apparaître un point médian. Elle commence alors à coucher sur le papier ses réflexions sur ce fameux point, sur le féminisme sur sa manière d'enseigner et petit à petit, elle écrit un essai.

Soyons sincère, lorsque j'ai lu le titre, je me suis longuement interrogé sur ce point médian. Bon, j'ai pensé à un truc cochon, mais ça ne fonctionnait pas, il a donc fallu que j'ouvre ce tout petit livre pour comprendre qu'on parlait d'écriture inclusive. Et donc de féminisme. Et donc des "règles de grammaire qui codifient actuellement la langue française [et qui] sont le produit d'une histoire. Et il se trouve que cette histoire recoupe, par moment, l'histoire de l'infériorisation politique et sociale des femmes." (p.29). Anne Robatel, à partir d'anecdotes personnelles et de lectures ou d'interviouves, construit son essai, livre ses réflexions avec lesquelles je suis souvent en accord, et compare l'anglais et le français et notamment la manière de passer de la première langue à la seconde en traduisant les déterminants neutres : they = ils ou elles ou ils.elles ? Elle convoque Shakespeare, Viginia Woolf, Simone de Beauvoir, tacle gentiment Alice Zeniter qui "évoque le "lecteur" auquel elle s'adresse sans mentionner la lectrice"  même si, bien sûr, "le mot "lecteur" renvoie à l'universel et englobe les lectrices". Me voilà donc bien embêté, moi qui parle souvent de lecteur, il va falloir que je me mette au point médian... (dommage que ça ne soit pas cochon)

Je ne suis pas un grand lecteur -là, je peux c'est juste moi- d'essais, mais celui-ci m'a plu, parce qu'il est aisé d'accès, Anne Robatel a la bonne idée de ne pas truffer son texte de mots compliqués -c'est sa maman qui le lui a appris-, et malgré le thème "important mais pas grave"-c'est sa dédicace qui le dit-, le ton est plutôt léger, parfois drôle, juste ce que j'aime dans une discussion, les sentencieux, les intellectuels qui usent d'une langue compréhensible uniquement par les initiés me gavent, pour parler moderne.

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En haut de l'affiche

Publié le par Yv

En haut de l'affiche, Fabrice Châtelain, Intervalles, 2020

Vincent, la trentaine juste entamée débute une carrière de vendeur de produits ménagers sous houlette d'un commercial graveleux, Joseph Paillard. Vincent, lui, se rêve scénariste, il a d'ailleurs écrit une histoire qu'il espère voir tourner un jour. Pour séduire la jolie Noémie, il n'ose pas dire qu'il est commercial-stagiaire, et se vend comme bien introduit dans le milieu artistique. Son mensonge, d’abord léger, gonfle après un vernissage.

Premier roman de Fabrice Châtelain qui n'est pas tendre avec les milieux intellectuels, artistiques et cinématographiques. Les ego sont boursouflés au-delà du raisonnable, les ambitions démesurées et certains prêts à toutes les compromissions, les mangers de chapeau, les renonciations voire les tournages de vestes si nombreux qu'on ne sait plus où est l'envers et où est l'endroit tant ils sont usés tous deux, pour avoir leur nom en haut de l'affiche. Vincent, jeune homme peu charismatique, "un type un peu inconsistant et mollasson dont les seules qualités se résumaient à son art de parler de certains livres et de certains films" est plongé dans un monde qu'il ne connaît pas et va de désillusions en déceptions.

Fabrice Châtelain est malicieux et cinglant. Ses portraits sont savoureux, on s'y croirait. On imagine assez bien certains de ses personnages, on les visualise. Et comme il cite, de temps en temps, de vraies personnes, on y croit encore davantage. A part un passage un peu longuet -une petite vingtaine de pages-, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette comédie. Le chapitre 7, dans lequel l'auteur s'essaye à inventer -ou parodier- des commentaires sur les réseaux sociaux suite à une performance d'artiste au goût douteux, est d'une justesse et d'une bêtise incroyables. L'anonymat de ces moyens de communication permet aux plus crétins de faire preuve de toutes leurs potentialités et l'on est rarement déçu. Il montre également comment certains commentaires font d'un fait anodin un événement sur lequel vont s'écharper partisans et opposants, à coup d'invectives, d'injures, de mauvaise foi, de transformation ou d'invention d'informations, chacun réagissant à chaud sans réfléchir, comme si l'on se devait d'avoir une opinion sur tout.

Un premier roman réjouissant en ces temps moroses, qui fait sourire et même rire aux dépends des gens connus ou qui se voient comme tels et qui pour certains n'auront que le warohlien quart d'heure de célébrité, pas toujours grâce à leur talent.

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Imbroglio

Publié le par Yv

Imbroglio, Lewis Trondheim, L'association, 2002

Le mari Charles (un lapin), la femme Mylène (une souris) et l'associé Peter (un chien). Celui-ci vient voir le couple pour avoir des explications sur les falsifications de Charles sur le registre comptable. Mais tout part de travers...

Courte bande dessinée dans laquelle on va de surprise en surprise. Tout le monde  tue tout le monde, mais personne n'est vraiment mort. On se croirait dans Les diaboliques de Henri-Georges Clouzot, mais Lewis Trondheim pousse encore le bouchon. Huis-clos fou, tordu. A l'inverse le dessin est minimaliste : trois personnages-animaux, une pièce avec un feu dans la cheminée, une rambarde et quelques meubles... Le tout en noir et blanc.

L'imagination de Lewis Trondheim n'a pas de limite. Tant mieux.

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Michel Audiard, le livre petit mais costaud

Publié le par Yv

Michel Audiard, le livre petit mais costaud, Philippe Lombard, Hugo, 2020

Michel Audiard est né le 15 mai 1920, il y a donc tout juste cent ans, et décédé le 28 juillet 1985. Beaucoup de livres ont été écrits sur lui, sur ses films, sur ses dialogues. Celui-ci permet de (re)découvrir la vie et l’œuvre de cet inventeur de formules passées à la postérité. Ses amitiés avec les acteurs : Jean Gabin, Lino Ventura, JP Belmondo, Jean Carmet, Bernard Blier, Michel Serrault, Mireille Darc... sont basées sur les mots, la bouffe et le vélo pour certains. Quelques brouilles, jamais longues.

Audiard, c'est le cinéma populaire des années 50/60/70 : les flics, les truands, les paumés, tous ceux qui ont quelque chose de particulier, un truc pas comme les autres. A travers ce livre, on revoit tous les films, pas toujours bons, mais qui me font toujours sourire. Phlippe Lombard ne peut pas éviter de citer certaines répliques devenues cultes :

"Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent3

"Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot, c'est te dire si dans ma vie j'ai entendu des conneries, mais des comme ça, jamais !"

"Dans des circonstances que je tiendrai secrètes, une personne dont je tairai le nom m'a dit des choses que je ne peux pas répéter. Mais en gros, comme ça, l'idée serait de vous envoyer contre un platane. Flac ! Comme une crêpe !"

Et je passe volontairement les plus connues, sur les cons, la dissémination façon puzzle,

Dans les années 80, suite à la mort accidentelle de l'un de ses fils, Audiard devient plus grave, il change de registre, c'est notamment Garde à vue.

Le livre de Philippe Lombard se déguste linéairement ou pas, on peut choisir sa période, ses acteurs ou réalisateurs fétiches. Il liste tous les films d'Audiard et sa participation, scénariste, dialoguiste et réalisateur, il y en a même des connus dont j'ai oublié qu'il était dialoguiste. A garder pas loin de soi pour les futures soirées, lorsque comme moi, on ne retient pas les répliques par cœur. Je suis toujours stupéfait et admiratif de ceux qui peuvent citer des tirades, des répliques, des citations sans pense-bête.

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Washington Black

Publié le par Yv

Washington Black, Esi Edugyan, Folio 2020 (Liana Lévi, 2019, traduit par Michelle Herpe-Voslinsky)

George Washington Black naît esclave à La Barbade en 1818. Baptisé ainsi par son maître de l'époque habitué des facéties patronymiques. Le maître meurt et c'est un neveu cruel qui prend la suite. Le frère de celui-ci, Christopher Wilde dit Titch, scientifique, qui rêve de faire voler un ballon, prend Wash sous son aile pour l'assister dans ce projet. Wash révèle bientôt un talent de dessinateur hors paire que Titch veut mettre à profit. Un jour, Wash est accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis et Titch et lui s'évadent en ballon. C'est le début d'un incroyable périple.

Quel roman ! Imaginez un mix de Harriet Beecher-Stowe (La case de l'oncle Tom) et de Jules Verne. Presque 500 pages dans sa version poche que j'ai dévorées, tant l’aventure est au coin de toutes les pages. Un moment de repos pour Titch et Wash ? Un événement les fait repartir, plus loin, jusqu'au Pôle Nord. Ces péripéties rythment le roman et lui donnent un attrait évident. Il y a aussi les balbutiements de la science et les découvertes incroyables des héros.

Il y a surtout l'esclavage et les conditions de survie des esclaves qui sont terribles, cruelles : "Nous avons pris Broad Street et en levant les yeux je vis une rangée de cages en bois dur qui luisaient, argentées, au soleil. A l'intérieur, des esclaves, assis, debout, certains pressant leurs visages fatigués contre les barreaux. Le sol à leurs pieds était jonché de vieux habits et de leurs propres déjections, et en passant lentement la puanteur choquante parvenait jusqu'à nous. Monsieur Philip ne posa pas de question sur eux. Mais je savais qu'il s'agissait de fugitifs." (p. 96/97)

Esi Edugyan décrit l'horrible et même plus-qu'horrible, l'inhumaine condition des esclaves, violés, agressés sans cesse, chaque jour, chaque heure, sans droit, à peine celui de vivre à condition de travailler, moins bien traités que les objets par leurs maîtres. Ce qui fait la grande force et la réussite de son roman, ce sont ses personnages, parfois caricaturaux parce que engoncés dans des principes dont ils ne peuvent se défaire : un riche blanc ne peut pas avoir de sympathie pour un esclave noir sous peine de se mettre sa famille à dos et de renoncer à l'argent et tout ce qui va avec ; un noir ne peut accéder à la liberté et s'il entre dans une relation privilégiée avec un blanc n'est plus considéré par les autres esclaves comme des leurs... Chacun d'eux blanc comme noir est à la recherche d'un idéal, d'une identité, de ses origines. C'est, pour Wash, un exceptionnel roman initiatique et pour moi, un roman formidable qui m'a fait revenir des années en arrière lorsque je lisais avidement les romans cités plus haut comme "référence" pour celui-ci.

Publié chez Liana Lévi en 2019, il paraît chez Folio et je ne saurai que vous le conseiller, mais préparez-vous à ne pas pouvoir arrêter de tourner les pages...

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