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Le ballet des retardataires. Tokyo, tambours et tremblements

Publié le par Yv

Le ballet des retardataires. Tokyo, tambours et tremblements, Maïa Aboueleze, Intervalles, 2019....,

Maïa, une jeune française vivant en Belgique reçoit une bourse pour aller étudier le taïko au Japon. Le taïko, c'est ce gros tambour traditionnel japonais qu'on ne peut pratiquer qu'après une initiation rigoureuse. La jeune femme est une des rares Européennes à entrer dans ce monde très fermé du taïko. Elle fait là également son premier voyage et se retrouve dans un pays très différent, aux règles très strictes aux yeux d'Occidentaux et dans lequel il vaut mieux parler la langue, ce qui n'est pas le cas de Maïa.

Ce livre est le récit de l'initiation au taïko de Maïa Aboueleze, puisque c'est bien d'elle dont il est question, boursière pour aller étudier cet art traditionnel japonais. C'est étrange comme le récit d'une histoire qui m'est totalement étrangère tant mes centres d'intérêts sont éloignés du Japon et de ses tambours, peut me plaire à ce point. Sans doute le ton adopté par l'auteure favorise-t-il cela ? Pas mal d'humour, de l'auto-dérision, une description précise de ses ressentis pendant ce séjour dans un pays où tout est très différent du nôtre. Le Japon est assez refermé sur lui-même, les Japonais ne parlent quasiment que japonais d'où une difficulté de communication car Maïa parle français et anglais. Le métro est une expérience presque traumatisante : "Je laisse derrière moi mes professeurs, entre dans le métro, me fais happer par la masse et traverse Tokyo, coincée entre un sein, un sac et une poussette. L'enfant dedans peut-il encore respirer ? Il ne dit rien. La masse sort, entre. Une fillette s'effondre." (p. 82)

Le style est haché parfois, tant qu'on peut presque ressentir les vibrations des taïkos, les douleurs musculaires de Maïa. L'apprentissage est long et ardu, éprouvant et le maître strict. Tout cela est très bien exprimé. Ce court récit se lit rapidement. La découverte d'un pays et de ses coutumes, de ses habitants et de la difficulté de se lier à eux, d'une tradition pas banale, le taïko. La différence est telle avec nos modes de vie, que le livre de Maïa Aboueleze exerce une certaine attirance voire une attirance certaine.

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Il suffit d'une balle. Mais tout s'explique...

Publié le par Yv

Il suffit d'une balle. Mais tout s'explique..., Grégoire Lacroix, Flamant noir, 2019.....

Notre héros est agent du Service Opérationnel des Renseignements Généraux, le SORG, et surdoué. Il a des avis sur tout et surtout des avis. Son voisin, c'est Edouard Flandrin de Padirac. Pas aussi brillant que lui, mais il a l'avantage d'être marié à Elena, une très belle femme dont le charme agit sur le surdoué. Lorsque Edouard trouve un homme inanimé dans son jardin -"Immobile, il n'avait rien d'inquiétant ni d'anormal sauf, peut-être, entre les deux yeux, une petite tache ronde, noire bordée de rouge et qui ressemblait à s'y méprendre à un trou. C'en était d'ailleurs un et qui expliquait la flagrante absence de vie dont le corps de l'inconnu était l'expression." (p. 40)-, la première personne à qui il en parle, c'est son voisin.

Ah Grégoire Lacoix ! Pour le lire, mettez de côté votre bon sens, votre esprit cartésien et laissez-vous porter par le second ou le troisième -voire plus si affinés- degré, l'humour, l'absurde, les jeux de mots parfois subtils, parfois faciles -souvent ceux qui me font le plus rire, car plus faciles à voir-, les situations abracadabrantesques. Rien, dans son livre n'est sérieux. Encore que l'on puisse penser que l'humour est une chose sérieuse, sans doute, le héros surdoué de cet ouvrage aurait une réponse à cette question. Que dis-je ? Sans doute dans le sens de peut-être ? Sans nul doute il en aurait une puisqu'il en a pour tout questionnement du plus futile au plus complexe. Et en a-t-il une pour qualifier son livre, car ni polar, ni essai philosophique, il est bien ardu de la classer. En fait, comme un grand gamin, Grégoire Lacroix joue dans toutes les cours et ne s'empêche rien, et comme un autre grand gamin, j'adore !

Lire Grégoire Lacoix, c'est donc prendre une bonne dose d’optimisme et de rigolade, histoire d'affronter ensuite les vicissitudes quotidiennes ou hebdomadaires enfin qu'importe leur fréquence, et les romans moins drôles de la rentrée. Grégoire Lacroix est donc, dans ce petit livre, fidèle à lui-même, drôle et décalé, absurde, allaisien -il est d'ailleurs Membre de l'Académie Alphonse Allais. Si vous doutez encore que ce livre peut vous faire du bien, relisez tout ce que j'i déjà écrit sur ces précédents ouvrages : Jazz Band, Eros Héros sept, Le bictionnaire de Grégoire, Les euphorismes, Les patates parlantes, L'enfer du dossier Li. Et en plus d'être drôle, c'est un homme de goût, puisqu'il publie dans cette petite et très belle maison Flamant noir.

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Graines de bandits

Publié le par Yv

Graines de bandits, Yvon Roy, Rue de Sèvres, 2019.....

Canada, 1973, un couple avec deux enfants, deux jeunes garçons, décide de quitter la ville et de s'installer à plusieurs centaines de kilomètres. Tout est à y faire, mais rien ne se déroule comme prévu. Sauf pour les deux garçons qui trouvent là un domaine vaste, un espace pour jouer et tenter moult aventures et inventions. Si la découverte de la nature et des grands espaces de jeu et la confrontation-amitié avec les autres enfants du coin les comble, le climat familial se détériore très vite.

Yvon Roy que j'ai découvert avec Les petites victoires, un roman graphique sur l'autisme, en grande partie autobiographique, continue dans la veine de l'autobiographie en racontant un été de son enfance, l'un de ceux qui transforment. Il est l'un des deux garçons qui fuient l'atmosphère pesante et hurlante de la maison pour s'inventer des histoires. 

Le dessin est en noir et blanc, il exprime à la fois la dureté et la violence des crises dans le couple et la tendresse pour les deux garçons qui découvrent, inventent, rencontrent. Les personnages sont mis en valeur, leurs émotions et sentiments, la manière dont les rencontres et les faits les changent. C'est une très belle bande dessinée sur l'enfance et la découverte du monde des adultes. Un livre tout public qu'il serait dommage de ne laisser lire qu'aux enfants. 

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Imaginez

Publié le par Yv

Imaginez, Raphaël Enthoven, Chen Jiang Hong, L'école des loisirs, 2019.....

Imaginez est une émission diffusée sur ARTE qui parle de philosophie. De cette émission est né ce livre destiné aux adolescents, mais qui peut bénéficier d'une diffusion plus large, dans lequel le philosophe aborde 43 sujets aussi différents que la mort, la honte, l'amour, le silence, la beauté, ... Ces courts textes sont superbement illustrés par Chen Jiang Hong, la couverture en est un bel exemple, ce chat est son personnage récurrent soumis à toutes sortes de transformations. Ses illustrations souvent drôles, appuient le texte et parfois le renforcent en y apportant un angle un peu différent.

Pour le texte, Raphaël Enthoven, s'il est compréhensible par tous, ne fait pas dans le langage adolescent et reste donc, fort heureusement, pédagogue. Tous les thèmes abordés ne résonnent pas de la même manière, mais certains touchent, comme par exemple cet extrait de la chronique Le silence dans l'ascenseur :

"Il faut soigneusement choisir la personne en face de qui l'on peut se taire. Se taire face à quelqu'un qu'on ne connaît pas, c'est partager une véritable intimité avec cette personne." (p. 22)

Ou celui-ci, tiré de L'art du débat :

"Pourquoi est-il impossible, impensable, que deux candidats qui débattent à coups d'arguments finissent par s'entendre ou par reconnaître qu'ils ont tort ? Parce que les candidats ne débattent pas, mais combattent. Parce qu'ils ne sont pas là pour se contredire, mais pour s'opposer. Parce qu'ils ne cherchent pas à avoir raison, mais à avoir raison de l'autre. Bref, parce que les débats sont des dialogues de sourds uniquement destinés à convaincre ceux qui sont déjà convaincus." (p. 44)

Si les politiciens faisaient un peu de philosophie et preuve d'un peu plus d'humanité et d'humilité, ils seraient plus crédibles. 

Très beau livre à laisser traîner pour que chacun puisse picorer dedans à son rythme.

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Un monstre et un chaos

Publié le par Yv

Un monstre et un chaos, Hubert Haddad, Zulma, 2019....,

Alter et Ariel sont des jumeaux d'une douzaine d'années. Ils vivent en Pologne à Mirlek avec leur mère. Bientôt, c'est la guerre et Alter se retrouve seul dans le ghetto de Lodz, dirigé par Chaïm Rumkowski, autoproclamé Roi des juifs. Sous la direction du nazi Hans Biebow, il transforme le ghetto en atelier industriel qui travaille pour les nazis, parade, va jusqu'à frapper monnaie et timbres à son effigie. Face à lui, des hommes et des femmes résignés, affaiblis, mais aussi des résistants dont Alter qui se faufile dans les rues du ghetto et refuse de porter l'étoile jaune.

Ce roman aurait pu être un énième roman d'un garçon pendant la guerre. Mais il y a la patte Hubert Haddad qui change tout. D'une part il place son héros fictif dans un contexte réel -Chaïm Rumkowski et comparses ont réellement existé- et apporte donc des éléments d'une terrible réalité inconnue ou oubliée. Pour ma part, j'avoue que je connaissais un peu le ghetto de Varsovie, mais pas celui de Lodz, et comme savent ceux qui me lisent régulièrement, j'aime beaucoup les romans qui sont ancrés dans un contexte réel, ils m'apportent beaucoup sur la connaissance de faits historiques et me sont souvent plus faciles à lire que des essais. D'autre part, Hubert Haddad use d'une langue particulièrement gracieuse et élégante. Les tournures de phrases dans lesquelles peuvent cohabiter la plus belle nature et la vision la plus terrible montrent combien cette guerre fut cruelle, terrible : "A moins de cent mètres, deux camions militaires s'étaient rangés le long d'un mur de cimetière, sur le bas-côté d'une route perdue au milieu des chaumes du plus bel ocre visités par des nuées de freux et de sansonnets. Des soldats bottés et casqués, fusil en bandoulière, descendirent du second véhicule et firent descendre à coup de crosse des jeunes gens du premier, garçons et filles, les mains ligotées dans le dos." (p. 64)

Je pourrais prendre n'importe quelle page de ce somptueux roman pour citer une phrase qui touche, émeut, par son contenu et/ou sa construction. L'écriture nécessite parfois de prendre son temps pour ne pas se perdre, on peut se laisser bercer par le plaisir des mots sans chercher à en saisir le sens et il faut donc y revenir parce que l'histoire du ghetto et d'Alter est importante et passionnante.

Fidèle à son oeuvre déjà remarquable, Hubert Haddad écrit là un roman fort et touchant, instructif, avec des personnages -je ne parle évidemment pas des bourreaux- d'une grande humanité. Sans doute, je l'espère, l'un des romans marquants et remarqués de cette rentrée.

 

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Le pays des pas perdus

Publié le par Yv

Le pays des pas perdus, Gazmend Kapllani, Intervalles, 2019 (traduit par Françoise Bienfait)....,

Karl et Frederick sont frères. Ils ont grandi à Ters, ville d'Albanie, sous le régime de Enver Hodja. Élevés par un père professeur, communiste et partisan du pouvoir en place et une mère assez tôt disparue. A la mort de celle-ci, Karl décide d'émigrer vers la Grèce tandis que Frederick reste à Ters. Ils se retrouvent vingt ans plus tard, au décès du père. L'Albanie a changé, Frederick est médecin, nationaliste et Karl, écrivain, plus ouvert. Il vit depuis cinq ans aux Etats-Unis.

Ce que j'aime chez Gazmend Kapllani, c'est que ces romans sont écrits dans une langue simple, très abordable (voir La dernière page, son roman précédent, déjà traduit par Françoise Bienfait), qu'ils sont courts et denses et qu'ils abordent des questions à la fois personnelles, individuelles et collectives. Cette fois-ci, c'est le changement des pays qui ont longtemps été dirigés par des régimes autoritaires et les bouleversements d'après 1989 et la chute du mur de Berlin, l'entrée dans l'Union Européenne et l'ouverture au capitalisme, ...

Mais c'est aussi la confrontation de deux visions du monde : le nationalisme qui monte un peu partout avec l'arrivée au pouvoir de gens aussi ouverts et sympathiques que les présidents ou dirigeants des Etats-Unis, du Brésil, d'Italie, Hongrie, et j'en omets. J'aime bien l'extrait suivant qui résume cela (c'est Frederick qui parle) : "Je me souviens d'un jour où notre père nous expliquait ce que signifient la faille, la nation, les racines. Karl avait rétorqué : "Les créatures humaines ne sont pas des arbres avec des racines. Les hommes ont des pieds et des rêves, ils veulent voyager, mais vous, vous les avez mis en cage comme des bêtes." Une violente dispute avait alors éclaté. Chaque fois que mon père et Karl se querellaient, quelque chose se brisait en moi..." (p. 61)

Cet extrait montre aussi la relation entre les deux frères, ratée sans doute par une trop grande différence d'opinion, l'un suivant aveuglément son père, l'autre s'ouvrant aux autres et à une pensée moins rigide. Et comme souvent l'individuel montre le collectif, le personnel touche l'universel. Comme dans son précédent roman, son héros a quitté l'Albanie pour la Grèce, puis y revient pour un décès et rencontre les Albanais restés au pays, chaque parti s'interroge alors sur ce qu'il a réussi ou raté si tant est que l'on puisse parler en termes de réussite ou de ratage. Gazmend Kapllani est lui-même un émigré albanais arrivé en Grèce puis aux Etats-Unis, il parle donc de ce qu'il connaît, de manière claire et remarquable. Un auteur qu'il faut absolument lire, édité chez les inévitables éditions Intervalles.

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