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L'autofictif au petit pois

Publié le par Yv

L'autofictif au petit pois, Éric Chevillard, L'arbre vengeur, 2015....

Éric Chevillard est écrivain, publié notamment chez Minuit, j'ai lu et aimé de lui La nébuleuse du crabe. Il tient aussi quotidiennement un blog, L'autofictif, dans lequel il écrit des pensées, des aphorismes, des digressions, des mini-dialogues avec ses filles Suzie et Agathe, ... Je vais le lire de temps en temps, mais la plupart du temps, j'oublie. La bonne idée fut donc de publier son journal. C'est L'arbre vengeur qui s'en charge. L'autofictif au petit pois est le septième tome, paru au tout début de cette année.

C'est typiquement le genre de livre qu'on ouvre, referme et ré-ouvre de temps en temps ou régulièrement. Je l'avais un peu oublié depuis quatre ou cinq mois lorsque je l'ai retrouvé au fur et à mesure que je réduisais la pile de livres sur ma table de chevet. Ah chouette, me suis-je dit. Et là, je me suis aperçu que j'en avais lu la moitié, et annoté une grande partie. J'ai repris où je m'étais arrêté, tranquillement.

Éric Chevillard, c'est d'abord une belle écriture mais aussi un esprit un rien barré. Dans son Autofictif, il est drôle, méchant gratuitement -ça c'est pour les gens qu'il n'aime pas mais que j'aime bien-, méchant et bien vu -ça c'est pour les gens qu'on n'aime ni lui ni moi-, agaçant, philosophique, anecdotique, poétique, familial, pas terrible, vachement bien, absurde, ubuesque, littéraire, exigeant, facile, vain, utile, vache, ... Du Chevillard quoi. Très doué, qui ne peut laisser indifférent, parfois imbu, sûr de sa qualité et élitiste, ce qui peut parfois ressembler à une posture. En quelques occasions, il me fait penser à Desproges, cet élitisme et cette méchanceté drôle, lui qui, par exemple pleurait "comme un môme" à la mort de Brassens "Alors que -c'est curieux-, le jour de la mort de Tino Rossi [il reprenait] deux fois des moules."

Le mieux est de finir avec quelques extraits parmi les très nombreux que j'ai relevés, tiens, le premier je le garde sous la main au cas où j'ouvrirais un livre vraiment mauvais :

"Il a certes consacré deux ans à l'écriture de ce livre. Mais la bouse aussi est le produit d'une longue et lente rumination" (p.148)

"Pris d'une audace inhabituelle, j'osai cette fois aborder la jeune femme sublime qui passait dans la rue : "- Si vous saviez, Mademoiselle, comme vous seriez plus charmante encore si vous n'étiez pas lestée comiquement de ce pignouf un peu gras pendu à votre bras." Or, à mon grand étonnement, ce conseil de beauté désintéressé, offert sans autre espoir de récompense qu'un baiser appuyé et un doigt dans le cul, ne fut pas reçu avec la reconnaissance que j'étais en droit d'attendre et je me retrouvai sans bien comprendre comment allongé sur le trottoir avec la lèvre fendue." (p.11)

"Ce qu'il ne faut pas faire pour avoir la chance d'étreindre de belles femmes lorsqu'on est affligé d'un physique ingrat ! Je connais au moins deux types dans ce cas qui n'ont pas eu d'autre choix que d'accéder à la fonction suprême de Président d'une république que je préfère ne pas nommer par respect pour la vie privée de sa population." (p.87)

Et pour finir en beauté et intelligence, voici sans doute deux de mes préférées concernant deux grands pour qui j'ai une admiration profonde :

"La musique porte des émotions simples, l'exaltation, la mélancolie, la douleur, la colère, la joie - mais une musique perplexe ? une musique ironique ? une musique au second degré ? C'est la grande originalité de Satie : alors que les écrivains se flattent tous d'écrire des pages musicales, il est l'inventeur d'une musique que l'on peut sans abus qualifier de littéraire." (p.119)

"Quant au noir de Pierre Soulages, Sétois lui-même (on se comprend), voici le rideau tombé enfin sur la débauche des formes et l'orgie des couleurs -nous jouissons du calme revenu dans le musée éteint, et pourtant il ne s'agit nullement d'un retour à la niaise candeur de la toile blanche : cette nuit est hantée par les scènes et les figures de tous les tableaux qui nous reviennent avec la précision du rêve (ou du cauchemar)" (p.119/120)

 

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A l'Est

Publié le par Yv

A l'Est, Jean Gab'1, Don Quichotte, 2015.., 

Le père de Charles a tué sa mère et les enfants ont été placés en foyer. Après en être parti vers 17 ans, Charles a fait pas mal de bêtises qui lui ont valu des séjours en prison. En 1988, il part d'abord en Allemagne, pays dans lequel il retrouve des potes et participe à des vols de voitures et à un acheminement jusqu'en Turquie. Puis, il part ensuite aux États-Unis. Il y suit Pat un copain. Là-bas, c'est plutôt drogue et extrême violence qui seront son quotidien. Son but : vivre intensément et palper un maximum de fric.

Charles est le double à peine caché de Jean Gab'1, de son vrai nom Charles M'Bouss. Après une enfance pour le moins chaotique, il devient rappeur sous son pseudonyme, puis écrit un premier livre : Sur la tombe de ma mère dans lequel il se raconte déjà. A l'Est est le récit romancé (on est sans doute plus sur de l'autobiographie, mais le mot "roman" est inscrit sur la couverture) de son été et début de l'automne 1988, il vient alors tout juste de passer les vingt ans.

Ce qui surprend agréablement c'est la langue de Jean Gab'1 : de l'argot dont je ne connais pas tous les mots mais finalement qu'importe, même si le sens d'un vocable échappe, la signification globale de la phrase est à la portée des lecteurs, même non rappeurs, même non amateurs du genre en général. On est de la même génération avec l'auteur et je saisis donc les références télévisuelles, musicales, les marques de fringues et même les modèles de voitures. Mais assez vite, je commence à décrocher, tellement je suis loin de cet univers, même si l'écriture me retient encore :

"J'ai levé le pied pour aller me repoudrer le tarin. Le blaire dans la sciure, je me suis mis le cervelet dans le formol avant de taper le goujon avec l'aspirateur d'à côté, un mecton qui faisait partie de la garde rapprochée de Maine. Il avait des lianes greffées sur le scalp et des gouttelettes tatouées sur la poire comme s'il miaulait. C'était déjà pas une gravure, alors la larmichette n'arrangeait rien. Tu me diras, l'art c'est subjectif." (p.138)

Et puis, et puis, ce qui devait advenir advint, je me suis ennuyé, j'ai trouvé le temps long en Allemagne mais j'ai tenu. Mais la vie au États-Unis, entre l'alcool, la drogue, la violence exacerbée, ça m'a gonflé : c'est répétitif, long, j'en ai eu ma dose voire une overdose. Je peux ne pas être le plus rapide des lecteurs, le plus fin de la comprenette, mais bon, en trente pages j'avais pigé ce que Jean Gab'1 m'explique en une centaine. Fin de partie pour moi.

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Les nuits de laitue

Publié le par Yv

Les nuits de laitue, Vanessa Barbara, Zulma, 2015 (traduit par Dominique Nédellec).., 

Otto et Ada vivent depuis cinquante ans dans une grande maison jaune dans cette petite ville brésilienne. Ils aiment le chou-fleur à la milanaise, le ping-pong et les documentaires animaliers. Puis, Ada meurt. Otto reste seul. D'autant plus seul que c'est Ada qui participait à la vie du quartier. Les voisins d'Otto sont tous plus déjantés les uns que les autres : Nico est un préparateur en pharmacie passionné par les effets secondaires des médicaments ; Anibal est un facteur qui a une manière très originale de distribuer le courrier, il se moque des destinataires ; Iolanda est une vieille femme qui vit avec des chihuahuas encombrants ; Teresa est une dactylo à domicile qui doit surveiller sans cesse ses chiens qui fuguent et font de gros dégâts ; M. Taniguichi est un centenaire japonais arrivé au Brésil après avoir continué la seconde guerre mondiale jusqu'en 1978, seul aux Philippines ; Mariana est une jeune mariée, anthropologue que son mari délaisse souvent pour ses déplacements professionnels.

Ce premier roman d'une jeune auteure brésilienne est barré, empli de personnages loufoques, franchement déjantés. La palme revient pour moi à Nico ce passionné des médicaments et de leurs effets secondaires et des interactions entre eux tous. Il est aussi un jeune homme énamouré et timide qui évidemment a du mal à parler à l'élue de son cœur qui ne partage sans doute pas sa passion il est vrai peu commune. Otto, lui, seul dans sa maison observe tous ses voisins, il sent qu'on lui cache des choses et en bon amateur d'histoires policières, il se bâtit un scénario qui file tout le long du roman, surtout dans sa dernière partie.

C'est un roman assez inégal, qui multiplie les bonnes idées, comme les fantaisies des protagonistes, leurs lubies voire leurs délires, qui utilise la réalité (par exemple, il a bien existé un soldat japonais qui a continué sa guerre jusque dans le milieu des années 70 et est venu ensuite vivre au Brésil, Hiro Onoda), qui sait user des codes du polar pour finir en beauté. Malgré cela, il est un peu long et certains passages sont ennuyeux que j'ai passés sans état d'âme pour arriver vite à cette fin vraiment bien fichue.

Frais, original et fin ce roman aurait gagné à être élagué pour gagner en énergie. Néanmoins m'en restent un bon souvenir, la découverte d'une auteure à suivre et une recette de tisane à la laitue pour combattre les insomnies, que personnellement, bien que souffrant d'un sommeil capricieux, je ne suis pas prêt à essayer, d'abord parce que la recette ne m'apparaît pas vraiment sexy : "Après cinq minutes de cuisson [des feuilles de laitue dans de l'eau], et de silence solennel (Otto craignit que son épouse ne s'endorme sur place), l'eau prit une couleur jaune-verdâtre et Ada se félicita du succès de l'opération. Elle couvrit la solution herbacée, attendit encore un peu, puis servit son mari qui, à ce stade, s'était déjà enfui dans le jardin." (p.80), et ensuite, parce que la laitue n'est pas ma salade préféré, rien en vaut une roquette ou une mâche... nantaise bien sûr.

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Libertalia

Publié le par Yv

Libertalia, Mikaël Hirsch, Intervalles, août 2015..... 

1872, la France a perdu la guerre contre la Prusse deux ans auparavant, l'empire est effondré et la toute jeune république est encore fragile. L'Alsace-Lorraine est cédée à l'Allemagne depuis quelques mois mais certains Alsaciens veulent rester français, ils doivent alors quitter le territoire. Les optants, comme on les nomme se retrouvent donc sur les routes : ainsi en est-il de Baruch Lehman et d'Alphonse Muller qui s'y rencontreront et deviendront inséparables. Ils rêvent tous les deux de liberté, sont passionnés par Libertalia, une colonie libertaire fondée sur l'île de Madagascar par un pirate, Olivier Misson. Les deux hommes arrivent à Paris et chacun choisira une vie différente, en restant très amis et très liés.

En préambule, je dois dire ici que je pense beaucoup de bien de Mikaël Hirsch. J'ai lu ses quatre précédents romans : Le Réprouvé, Les Successions, Avec les hommes, Notre-Dame des Vents et à chaque fois j'ai été enchanté. Libertalia ne déroge pas à cette règle et dès le début, je suis resté scotché par les phrases magnifiques de l'auteur ; la présentation de Baruch et d'Alphonse par exemple qui tient en deux paragraphes, simples :

"Il se prénommait Baruch, comme Spinoza dont il ignorait tout et se nommait Lehman, comme son père Nathan, marchand de céréales à Fegersheim à l'époque où celle-ci n'était pas encore une banlieue-dortoir de Strasbourg, mais une petite commune agricole des bords de l'Ill. Migrant vers l'intérieur, il traînait dans un grand sac de cuir quelques sauf-conduits rédigés en lettres gothiques et du linge immaculé que lui avait donné sa mère.

C'est en 1872, peu avant Belfort, sur une route accidentée et longeant une forêt de hêtres, à hauteur de Rougemont-le-Château, que Baruch Lehman rencontra Alphonse Muller, dit Fons. Celui-ci avait lu Proudhon, se disait anarchiste, avait exercé la profession de géomètre auprès d'un notaire de Mulhouse et se trouvait assis, au bord du chemin, sous un ciel changeant qui annonçait l'orage." (p.9)

Ainsi donc commence cet ouvrage. Comment résister à poursuivre et surtout pourquoi, puisque les phrases suivantes seront au moins aussi belles et tentatrices ? Un style littéraire hors du temps, une référence assumée -je pense- aux auteurs du dix-neuvième, juste un peu avant ou totalement contemporains à l'époque dont parle M Hirsch, Flaubert, Balzac et surtout Stendhal. Un réel plaisir, un régal assuré.

Et l'histoire maintenant ? Eh bien, à l'instar de Stendhal, elle se déroule lentement, sans cesse coupée par des descriptions splendides, des rappels historiques, et de multiples faits, toujours en lien avec la vie des deux héros. Baruch, devenu Bernard pour ne pas être doublement stigmatisé par ses origines alsaciennes et juives, devient l'un des principaux chefs de chantier de la Statue de la Liberté construite par Bartholdi avant d'être envoyée aux États-Unis. Il s'établira à Paris, épousera Rachel et fondera une famille. Fons deviendra géographe, franc-maçon, associé aux missions menées par Ferdinand de Lesseps avant le perçage du canal de Panama, ira partout dans le monde pour cartographier tel ou tel pays ou région. Mais chacun garde en tête Libertalia, cette colonie malgache.

Ce roman est celui de la quête éperdue de la liberté dans une époque en pleins bouleversements : l'avènement de la République, la reconstruction du pays après la guerre, la construction de quelques édifices importants (Statue de la Liberté, Tour Eiffel, le Sacré Cœur construit pour expier les crimes des communards, ...), la transformation de Paris (Haussmann vient tout juste de finir son travail commandé par Napoléon III), le désir des colonies : l'empire colonial français est quasiment à son apogée, il y a donc beaucoup à faire et à prendre dans ses terres lointaines, ...

"Et si la liberté n'était finalement pas une idée, mais bel et bien un endroit..." m'a écrit Mikaël Hirsch en dédicace, c'est exactement cela que Fons et Bernard vont chercher toute leur vie au risque de passer au travers de ce qu'ils vivent au quotidien, de ne pas y trouver leur bonheur -mais est-il un endroit lui aussi ?

Je pourrais encore parler de ce roman des heures tant il est dense : 140 pages qu'il ne faut pas lire trop vite, de peur de perdre le fil mais surtout pour ne pas rater un mot -aucun n'est superflu-, une phrase ou une tournure qui, personnellement, me font un bien fou et me plaisent de plus en plus à chaque livre de Mikaël Hirsch. Un auteur à lire absolument si vous ne l'avez point déjà fait ou à relire si vous avez déjà goûté à sa prose.

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Comment j'ai perdu ma femme à cause du tai chi

Publié le par Yv

Comment j'ai perdu ma femme à cause du tai chi, Hugues Serraf, L'aube, août 2015.., 

Un homme se retrouve en prison, à deux dans une petite cellule, avec celui qu'il nommera Coloc. A Coloc qui lui demande les raisons de son enfermement, il raconte que sa femme a disparu et qu'on a retrouvé ses empreintes à lui sur un sabre et du sang sur icelui. C'est donc logiquement qu'il se retrouve en préventive pour les supposés meurtre et découpage de Luz, son épouse. Mais Coloc est curieux et le narrateur a besoin de s'épancher, il lui raconte donc tout depuis leur rencontre jusqu'à l'engouement de Luz pour le tai chi.

Court roman qui s'il ne tient pas réellement les promesses de la quatrième de couverture ("coup de cœur assuré") ne déçoit pas vraiment non plus. Disons qu'il est très agréable à lire, qu'on sourit souvent, qu'on frémit aux descriptions des conditions de vie en prison, mais que ce n'est pas le chef d'œuvre de cette rentrée littéraire. On passe un bon moment et c'est déjà un très bon point pour un livre. Que me restera-t-il de ma lecture dans quelques semaines ? Je n'en sais rien, mais je ne parierai pas sur des souvenirs vivaces.

Le gros point positif de cet ouvrage est son ton moderne et drôle, même les plus grands malheurs de cet homme sont racontés avec humour. Il a pas mal de recul sur sa vie, son œuvre, pour preuve l'extrait qui suit, un dialogue entre lui et Coloc lors de leur visite de la bibliothèque de la prison :

"Hé hé, les bouquins que tu écris, ils les ont peut-être ici. Ça serait marrant.

- Ça serait marrant mais ça m'étonnerait beaucoup. Je ne suis pas assez connu. A la FNAC, ils me mettent sur les étagères du bas, pas sur les tables avec les best-sellers.

- Si t'es condamné, ça te fera de la pub ! Toutes les bibliothèques des prisons voudront les avoir en rayon !"

Sûrement. Le succès, à quoi ça tient..." (p.84)

Le seul point qui pour lui ne peut prêter à l'humour c'est sa femme, l'amour qu'il a pour elle et sa peur de la perdre. Il subit, il subit, jusqu'au jour où...

Pas inévitable, mais si vous avez un petit coup de blues avec des lectures plombantes ou un besoin absolu de rire un peu, n'hésitez pas, deux à trois heures de lecture vous suffiront pour lire l'entièreté de ce roman et pour retrouver le sourire.

PS : le plus drôle, encore que je ne sais pas si ça l'est vraiment, Madame Yv vient tout juste de s'inscrire au Tai chi (mais elle n'a pas lu le livre)

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Kuessipan

Publié le par Yv

Kuessipan, Naomi Fontaine, Le serpent à plumes, août 2015..., 

"Kuessipan est le récit des femmes indiennes. Autant de femmes, autant de courages, de luttes, autant d'espoirs. Dans la réserve innue de Uashat, les femmes sont mères à quinze ans et veuves à trente. Des hommes, il ne reste que les nouveaux-nés qu'elles portent et les vieux qui se réunissent pour évoquer le passé. Alors ce sont elles qui se battent pour bâtir l'avenir de leur peuple, pour forger jour après jour leur culture, leur identité propre, indienne." (4ème de couverture)

Premier roman de Naomi Fontaine qui raconte son peuple, son enfance dans la réserve canadienne des Innus. Kuessipan qui en innu, signifie "à toi" ou "à ton tour" est publié au Canada en 2011 par Mémoire d'encrier.

L'ouvrage se présente comme une suite de tous petits textes, les plus longs font cinq pages et les plus courts une demie-page. Le livre est très court, à peine plus de cent pages, qui se lisent en prenant son temps. D'abord pour bien saisir et relier l'ensemble car c'est le lecteur qui fait le travail de boucher les trous : Naomi Fontaine va à l'essentiel, son texte est épuré, tout est dit mais il faut parfois deviner, faire appel à ses connaissances pour que tout se mette en place, c'est du moins comme cela que j'ai lu ce livre, et j'ai trouvé que c'était une démarche très agréable, je ne suis pas resté passif mais j'ai participé activement à ma lecture grâce à l'intelligence que me prête l'auteure -bon, parfois, je dois bien avouer qu'elle m'en a prêté un peu trop et que j'étais perdu. Ensuite, parce qu'il peut être bon de ne pas tout le lire d'un coup, profiter d'un temps d'infusion avant de s'y replonger : c'est un livre qui doit se déguster et qui agit encore après qu'il soit fini. Et enfin, parce que le lire trop vite serait une offense faite à la qualité de l'écriture. Les textes les plus longs sont descriptifs, s'attardent sur les lieux, les personnages, jamais nommés sauf par leur fonction (grand-mère, mère, ...), les conditions de vie ; les textes plus courts sont plus introspectifs, plus forts, parfois il faut les lire comme de la poésie en prose, ce sont ceux qui m'ont le plus touché.

On sent dans le roman de Naomi Fontaine tout l'amour qu'elle a pour son peuple malgré les ravages de l'alcool et de la drogue parmi les hommes ; les femmes en sont la fierté, la clef de voûte, elles sont dignes et respectables bien que leurs conditions de vie soient particulièrement difficiles.

La force de ce livre, c'est que malgré un format court, un style épuré, l'auteure réussit à faire passer les émotions et les sentiments, elle en fait naître également. Pour finir, je citerai juste l'un des passages qui m'a le plus emballé, espérant qu'il en sera de même pour tous les lecteurs :

"Pourquoi. La nuit, elle dort d'un sommeil lourd qui lui enfouit le front jusque dans les dunes de son oreiller. Son visage tremble dans la noirceur de sa chambre close. Elle se raidit dès que quelqu'un hausse la voix. La peur la pourchasse dans ses cauchemars de mère. Elle pleure et personne ne la console. Elle oublie. Elle rit.

Je voudrais lui dire que je sais. Pourquoi je me tais.

Le silence. Je voudrais écrire le silence." (p.15)

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