Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Corps à l'écart

Publié le par Yv

Corps à l'écart, Elisabetta Bucciarelli, Ed. Asphalte, 2014 (traduit par Sarah Guilmault)....

Le décor : une gigantesque décharge ouverte en Italie. Y vivent Saddam le Turc, le Vieux, un clochard qui y trouve refuge, Argos, un Zimbabwéen qui récupère et recycle et Iac, un adolescent en rupture familiale. Viennent de temps et temps, pour les visiter, Lira, ami de Iac et Tommi son petit frère, Silvia fille d'un chirurgien esthétique fameux et amie de Iac et Viki un skateur, ado lui aussi. Tout se passe plutôt pas mal jusqu'au jour où des déchets toxiques sont sauvagement déposés dans la décharge

Mais quelle drôle d'idée de faire évoluer des personnages au sein même d'une décharge, le monstrueux symbole de notre société de consommation à outrance ! Je devrais dire, quelle chouette idée, car cette décharge est un environnement formidable pour y construire une histoire, comme souvent les lieux étonnants, les époques violentes et chargées. Elisabetta Bucciarelli s'appuie sur des faits avérés, des dépôts sauvages de matières toxiques dans des décharges en Lombardie pour construire le socle de son roman : un intéressant dossier de sept pages en fin de volume relate ces informations. C'est sur cet immense monticule d'immondices que l'auteure place ses personnages, ce point de vue leur donne une dimension totalement unique : ils sont des ramasseurs de déchets, des gens tellement pauvres ou à l'abandon que leur seul moyen de subsistance est de se nourrir, de se vêtir avec les rebuts des gens riches, ceux qui peuvent consommer sans regarder à la dépense et jeter pareillement. La décharge, c'est le symbole de la pourriture, de la lie de la société et l'amoncellement de détritus de tout genre amène à un environnement très glauque : "C'était un magma marron indistinct, un mélange en putréfaction, moitié solide, moitié liquide, duquel, de temps à autre, des jets émergeaient ; on aurait dit les souffles d'air d'une baleine. C'était le percolat qui, depuis les profondeurs du magma, semblait sur le point de refaire surface, comme témoignant d'une mutation en cours : gargouillement, bouillonnement, simple essoufflement de la terre pourrie ou grand rot d'un estomac rassasié par l'excès d'inutile." (p.149) On dit souvent d'un contexte qu'il est un véritable personnage d'un livre ou d'un film, c'est souvent la réalité, c'est parfois un chouïa exagéré, dans ce texte, l'expression n'est pas usurpée la décharge bouillonnant tellement, changeant d'aspect tellement rapidement qu'elle vit réellement, ses habitants craignent d'ailleurs l'un des endroits qui est en mouvement perpétuel et qu'ils pensent habité par "La Chose", une sorte de monstre, "C'était de la matière vivante, les jeunes en étaient certains, un agrégat qui obéissait à un cycle continu : il incorporait n'importe quel élément, naturel ou étranger, puis le restituait, prêt à être respiré, mangé et assimilé, à l'écosystème." (p.149)

Dans la décharge et aux alentours d'icelle vivent des personnages en rupture de liens avec la société : l'adolescent en révolte, Iac ; celui qui peine à trouver sa place, Lira ; Saddam le réfugié ; ... L'auteure s'intéresse peu à leur vie d'avant, elle les décrit sur une période donnée ; on n'en sait pas beaucoup sur eux, mais ce parti pris n'est pas du tout dérangeant, au contraire, il permet d'insister sur les relations entre eux, entre hiérarchie, amitié, idylle naissante (ou tout au moins souhaitée), rivalité amoureuse, liens familiaux distendus, difficiles et néanmoins présents, entraide. Beaucoup d'humanité parmi et entre eux, en opposition avec le monde bourgeois et absolument pas naturel des parents de Silvia, dont le papa est chirurgien esthétique et qui ne parle aux femmes (et aux hommes) que pour leur proposer une intervention bénigne mais inévitable pour rester jeune et désirable. L'opposition entre l'être et l'avoir ou le paraître. D'aucuns reprocheront une certaine facilité à l'auteure dans l'opposition de ces deux mondes, c'est sans doute un peu vrai, mais c'est aussi plus fin que cela : elle n'idéalise pas les rapports entre Iac et ses amis, ils sont difficiles, tendus, de même qu'elle ne dit pas que tout est superficiel dans le monde de Silvia. Et en regardant un peu attentivement le monde qui nous entoure, on peut remarquer aisément que le paraître, les signes de la réussite sociale (ce que l'on nommait jadis les signes extérieurs de richesse) comptent énormément au détriment de la sincérité dans les rapports humains. Pas pour tous, fort heureusement, mais pour certains, c'est ce que montre exactement E. Bucciarelli. En outre, ces stéréotypes servent le discours de l'auteure sur le besoin d'humanité, l'absolue nécessité de nous occuper de notre mode de consommation, de notre mode de vie, de la société que l'on veut pour nous et pour nos enfants. Un livre qui nous oblige à nous poser des questions sur tous ces points oh combien importants voire vitaux. Un roman éminemment écologiste et politique, qui en plus d'être formidable est très facile à lire, construit en petits chapitres de une à deux voire trois pages (89 chapitres pour 200 pages) qui nous permettent de nous balader entre la décharge et les rues adjacentes, entre Iac et Silvia et les autres protagonistes sans jamais perdre le fil.

Un roman découvrir assurément, de même que les éditions Asphalte qui le publient.

Voir les commentaires

Faire l'amour

Publié le par Yv

Faire l'amour, Jean-Philippe Toussaint, Minuit, 2002 (Edition poche, 2009).....

Faire l'amour c'est l'histoire d'une rupture amoureuse entre le narrateur et sa compagne Marie. Marie est styliste et part au Japon pour exposer ses modèles. Lui l'accompagne. Le décalage horaire, la fatigue suffisent pour qu'une dispute plus importante que les autres les oblige à se séparer.

Je fais un grand pas dans l'œuvre littéraire de JP Toussaint, puisque je passe de L'appareil photo, édité en 1988 à celui-ci paru quatorze années plus tard. Et force m'est de constater qu'on n'est plus dans le même registre ; de l'histoire gentille, décalée, drôle, un rien absurde dans laquelle il ne se passe pas grand chose, on passe à une histoire d'amour qui périclite qui se dissout sous nos yeux : les personnages qui dans les premiers romans de l'auteur avaient peu de personnalité ont là de vraies questions, des angoisses, des peurs, des désirs, des fantasmes qui les rendent malheureux. Plus vraiment d'humour non plus, mais heureusement, JP Toussaint a gardé son talent pour écrire de belles phrases, assez différentes néanmoins de celles que je connais, parfois crues, plus directes, laissant plus de place à l'émotion, aux sentiments, alignant parfois plusieurs adjectifs quasi-synonymes, comme si une seul ne pouvait suffire à dire la détresse.

Les deux amoureux décident de se séparer, mais font l'amour pour la dernière fois dans leur chambre d'hôtel de Tokyo : "D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, close et butée dans une détresse muette, ses lèvres pincées qui n'attendaient nullement ma bouche, crispées dans la recherche d'un plaisir exclusivement sexuel. Et c'est alors, que, m'immobilisant et redressant la tête au-dessus de son visage dont les yeux bandés me voilaient l'expression, je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines, une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de sa joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière du tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration." (p.26/27). Magnifique passage qui résume à lui seul la douleur et la difficulté à laquelle ils sont confrontés, les hésitations, les pleurs, la tristesse de quitter quelqu'un qu'on aime encore mais avec qui la vie est devenue trop dure. 

JP Toussaint situe son livre au Japon, à Tokyo (et un peu à Kyoto) ; comme pour plonger ses héros et ses lecteurs dans un monde opposé au leur, loin de leurs repères européens, le décalage horaire en plus et l'absence de sommeil pour Marie et le narrateur exacerberont leurs ressentiments et leur colère réciproque, accélérant sans doute la séparation. Mais plutôt que de décrire un Japon et des Japonais attendus, il se détourne des clichés en parlant des petites choses, des habitudes quotidiennes des Japonais, de leurs rues étroites et sales, comme un touriste qui, pour sortir des sentiers battus se perdrait volontairement : "Je marchais au hasard, sans but, je me perdais dans des embouteillages de piétons au grand carrefour de Kawaramachi, je flânais dans des galeries marchandes, je passais le seuil de boutiques de calligraphie et m'attardais un instant devant les encres en bâtonnets solides, noirs avec quelque inscription verticale dorée, regardais les pinceaux précieux, en poils de je ne sais quoi, qui coûtaient la peau de cul. Je musardais dans les marchés, je m'arrêtais ici et là devant les gros tonneaux de salaisons de la devanture d'une échoppe et concevais mollement le désir d'acheter des tranches de thon géantes, du shiso, des légumes marinés dans du vinaigre aux couleurs acidulées, rose vif du gingembre, jaune du daikon, violacé de l'aubergine." (p.127/128) Bref, un Japon comme j'aimerais le découvrir, je procède ainsi lorsque je suis en mode touriste, je déconnecte, je flâne, les yeux en l'air pour humer l'air ambiant (avec le nez bien sûr, en l'air lui aussi). 

Faire l'amour est le premier roman d'une série de quatre (Fuir, paru en 2005 -que j'ai acheté aussi-, La vérité sur Marie, en 2009 et Nue, en 2013). Série qui débute sous les meilleurs auspices car même lorsque JP Tousaint change de style, il reste absolument excellent.

 

litterature-francophone-d-ailleurs-1 WOTCKMJU

Voir les commentaires

Gun machine

Publié le par Yv

Gun machine, Warren Ellis, Le Masque, 2014 (traduit par Claire Breton)..,

Lorsque les deux lieutenants Jim Rosato et John Tallow entrent dans ce vieil immeuble de New York ils font face à un homme nu armé qui tire et tue Rosato, le bon flic. Tallow, le has-been, pas particulièrement apprécié de ses collègues, riposte, descend le tueur et peu après au grand dam des flics de la police scientifique défonce le mur d'un appartement et y trouve un arsenal incroyable : des centaines d'armes qui ont toutes en commun d'avoir servi à des meurtres non élucidés. Par dépit, la commandante confie cette affaire à Tallow qui sera secondé par deux policiers scientifiques totalement déjantés.

Gun machine -à ne pas confondre avec Machine gum qui n'a rien à voir puisque c'est une BD sans texte que j'ai lue récemment- est un polar qui commence de manière étonnante, entre le tragique et le comique comme le montre bien l'extrait suivant qui relate la première fusillade :

"Forcené à poil se campa au bord du palier, pointa son fusil et tira. Le coup arracha la partie supérieure gauche du crâne de Jim Rosato. Il y eut un ploc quand un bout de sa cervelle s'écrasa contre le mur. De là où il se tenait, trois marches plus bas sur la droite, Tallow vit l'œil de Rosato valser à une bonne dizaine de centimètres de son orbite, toujours relié à elle par un fatras d'asticots rouges. Durant cette unique seconde, Tallow s'avisa distraitement qu'au dernier instant de sa vie, James Rosato pouvait voir son assassin sous deux angles différents." (p.12)

Et ça continue comme cela dans un registre très moderne : phrases et chapitres courts, mots d'argots voire inventés, jurons (je n'ai pas compté les "chiotte" échangés entre Rosato et Tallow), expressions fabriquées de toutes pièces, bref, un langage oral, fleuri, familier (dans certains types de lieux ou de professions, parce que perso, je parle pas comme ça), voire vulgaire ou grossier. Je salue ici le travail de Claire Breton, traductrice qui a dû en baver, même si parfois certaines phrases sont mal écrites, bizarrement, celles qui font appel à un autre registre de langage : "Mais ça n'a pas suffi à vous exonérer de je ne sais quelle punition elle estimait que vous méritiez ?" (p.63) Voilà donc un polar qui commence bien. Le problème c'est qu'on a l'impression qu'il ne fait que commencer tant il se traîne en longueurs et en longueur. Page 130, même si l'on est entré dans le vif du sujet, on ne sait toujours pas trop de quoi il retourne. De même on a à peine fait connaissance avec les personnages : on sait que Tallow est sur la touche, qu'il vit seul, lit beaucoup, re-fume, que Bat et Scarly sont les deux flics scientifiques complètement barrés qui l'aident, contraints et forcés. Et puis, je ne comprends pas tout ce que je lis, le langage qui peut paraître plaisant est parfois abstrus, Tallow agit sans que l'on sache pourquoi, on nous l'explique bien après si bien qu'on lit des pages dont on ne comprend pas réellement l'intérêt : assez déstabilisant. De même, le côté déjanté de Bat et Scarly est un petit peu too much, les meilleures blagues sont celles qui ne durent point trop, même si j'aime le comique répétition -encore faut-il savoir en user. Lecture fatigante à la longue. 

Peut-être suis-je trop conformiste pour apprécier toutes les subtilités de ce roman, mais je pense que subtilité il n'y a pas et que Warren Ellis avance au contraire avec des gros sabots, bien lourds et cradingues ? Mais je ne demande qu'à être contredit. A bon entendeur...

 

polars

Voir les commentaires

Osez... 20 nouvelles histoires érotiques de Noël

Publié le par Yv

Osez... 20 nouvelles histoires érotiques de Noël, Collectif, La Musardine, 2013...,

"Pâques en chaleur, Noël à la Chandeleur", ainsi pourrais-je débuter mon article sur ce recueil de nouvelles ayant donc toutes en commun de parler de Noël, du Père ou de la Mère Noël, des repas de famille, des réveillons... Entre deux crêpes, ce midi ou ce soir, vous reprendrez bien un peu de bûche de Noël, non ?

Vingt histoires érotiques, plutôt bien troussées, qui à part trois ou quatre un peu décevantes ont dû largement égayer des réveillons un peu tristes. 

Recrutement (Clarissa Rivière) : ou comment éclairer une soirée de travail censée se finir tardivement en recrutant le meilleur Père Noël avec des méthodes assez chaudes et inhabituelles, enfin pour ce que j'en connais...

Les épices de Noël (Inès Autren) : les marchés de Noël révèlent bien des surprises, je devrais sans doute y aller plus souvent

Le Père Noël est un lover (Camille Emmanuelle) : hors la corvée des photos familiales, la job de Père Noël demande persévérance et bonne santé.

Le cadeau de l'été (Vincent Rieussec) : quand l'entente familiale est à son comble et quand les films de vacances d'été des uns émoustillent les autres à Noël

Nuit divine (Alexandra Otéro) : lorsque le coup de la panne se transforme en coup de la crèche

Le marginal (Stéphane Rose) : comment rendre enfin drôle un réveillon de Noël dans une famille sinistre. Très drôle et totalement "famille-chiantoclaste", ma préférée du recueil.

Tout le monde blonde (Aline Tosca) : un coiffeur qui s'engage à fond dans son travail et aime dîner au Champagne

Noël en famille (Clarissa Rivière) : attention, il peut être dangereux (ou pas) de faire une rencontre dans un train

Voilà donc pour un tout petit résumé des nouvelles qui me plaisent le plus, d'autres encore sont très bien, peut-être parfois plus attendues. L'ensemble est léger, agréable et distrayant et émoustillant, il remplit donc parfaitement son rôle. Il y est évidemment beaucoup question de famille, mais -fort heureusement- point de relations interdites : tous les acteurs sont adultes et consentants sans lien de sang entre eux. 

HélèneLiliba entre autres en parlaient à la bonne date, mais je me vante d'avoir le choix dans la date (désolé, c'était plus fort que moi)

Voir les commentaires

<< < 1 2