Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le mystère de Roccapendente

Publié le par Yv

Le mystère de Roccapendente, Marco Malvadi, Ed. Christian Bourgois, 2012

Toscane, 1895. Le baron de Roccapendente reçoit en son château un photographe, Ciceri et le très fameux Pellegrino Artusi, auteur de La science en cuisine et l'Art de bien manger. En compagnie de la nombreuse famille du baron : enfants, mère, sœurs et de la domesticité. Lorsqu'un matin, Teodoro, le majordome du château est retrouvé mort, enfermé dans la cave, de l'intérieur, tout le monde pense à un suicide, sauf Pellegrino Artusi. Le médecin appelé pour constater le décès s'aperçoit que le jeune homme a été empoisonné. Commence alors l'enquête du Délégué à la sécurité publique, Artistico de son nom, secondé en quelque sorte par Artusi.

Note liminaire : Pellegrino Artusi est un personnage réel. Né en 1820 dans une famille de commerçants, il profite de ses voyages dans son pays pour compiler les meilleures recettes des régions. Le livre qu'il publie ensuite est vite un best-seller. Pellegrino Artusi est considéré en Italie comme le fondateur de la tradition gastronomique italienne (d'après une note de l'éditeur).

Très sympa ce petit polar italien. Situé à la fin du 19ème siècle, dans une Italie tout juste réunifiée qui n'a pas encore atteint l'unité. Marco Malvadi joue sur l'aversion des uns pour les autres, sur la différence de classes sociales, se moque gentiment des nobles qui n'ont jamais travaillé de leur vie et qui sont bien incapables simplement d'y penser. Le travail est un concept très lointain et inatteignable -et surtout pas souhaitable- pour eux !

Les personnages sont assez caricaturaux, certains totalement engoncés dans leurs rôles de baronne-mère, de baron, de fils de noble, ... Caricaturaux, mais tellement bien décrits qu'on les imagine aisément tant dans leurs physiques que dans leurs manières d'être et de se comporter. Arrogance et suffisance pour certains. Morgue et sentiment de supériorité pour d'autres. La place des femmes n'est pas enviable et Marco Malvadi le dit clairement lorsqu'il parle de Cecilia, la fille du baron qui rêve de faire des études de médecine mais qui à cette époque ne peut qu'en songer. La seule aristocrate du lot qui vaille qu'on s'intéresse à elle, puisqu'elle même s'intéresse à autrui.

Ce qui fait le charme de ce bouquin, c'est aussi qu'il se passe au 19ème siècle mais qu'il est raconté par un auteur de maintenant bien dans son époque, qui se permet des incursions dans son récit pour commenter tel ou tel événement. Par exemple : "Quoiqu'il en soit, ce samedi-là un beau hors-programme occupa la scène : car jamais, avant ce jour-là, ni les résidents ni les domestiques n'avaient été réveillés par un hurlement aussi terrifiant que celui qui venait de surprendre le château. Ce hurlement inhumain était l'oeuvre de Mlle Barbarici, qui gisait au sol, étalée comme une peau de lion, devant une porte en fer et en bois située au sous-sol. La malheureuse était non seulement immobile, mais dûment évanouie, comme il convient à une femme dans un roman qui se déroule à la fin du XIXe siècle." (p.40/41). Ça donne une impression bizarre, un anachronisme voulu et revendiqué qui fait souvent sourire voire rire. Le langage est clair, direct et simple : "Tout cela, assaisonné des visites à Noël, de son beau-frère lieutenant des carabiniers du roi à Questa Pina Onorato Passalacqua, qui avait pris part à l'expédition mettant fin, des années auparavant, aux exploits du brigand Stefano Pelloni, plus connu sous le nom du "Passeur". Lequel beau-frère, immanquablement, lui cassait les couilles avec le récit de cette héroïque entreprise, y compris la fusillade au terme de laquelle la bande tout entière avait été arrêtée et le Passeur blessé à mort : fait dont le beau-frère, sans le dire clairement, laissait entendre qu'il était le responsable. Et lui [le Délégué Artistico], il était là, à remâcher son panforte et sa bile, conscient du fait que dans ce marécage de merde où on l'avait expédié, quand bien même on serait un héros, il n'y aurait jamais moyen de le démontrer." (p.63)

Ajoutons à cela des recettes de cuisine, des métaphores culinaires notamment celle concernant la mayonnaise un peu trop longue pour être citée (p.139/140) et la méthode imparable pour éviter les désagréments olfactifs liés à l'ingestion d'asperges : "La mauvaise odeur produite par les asperges peut se transformer en agréable odeur de violette si l'on verse quelques gouttes de térébenthine dans le pot de chambre." (p.217, tiré du livre de Pellegrino Artusi), et vous avez tous les ingrédients pour un polar historique italien de bonne tenue, idéal pour une lecture "pas prise de tête".

 

 

dialogues croisés

Voir les commentaires

Trafic sordide

Publié le par Yv

Trafic sordide, Simon Lewis, Actes sud, 2009

Lorsqu'il apprend que sa fille partie étudier en Angleterre est en danger, l'inspecteur Ma Jian du bureau de la sécurité publique de Qitaihe, au nord-est de la Chine ne réfléchit pas et prend un avion pour aller la sauver. Inconvénient majeur, il ne parle et ne comprend que le mandarin.

Ding Ming, lui, jeune paysan chinois, parlant un anglais basique, vient d'arriver en Angleterre avec sa femme Petite Yi, clandestins. Ils sont séparés dès leurs premiers pas sur cette terre tant espérée. Ding Ming ne se résout pas à cette séparation.

D'habitude lorsqu'on veut de l'exotisme, on envoie un flic bien de chez nous dans des contrées lointaines. Là, Simon Lewis fait l'inverse. Il fait venir d'une région très éloignée, un flic aux méthodes rudes, habitué à être obéi au doigt et à l’œil par des populations tenues sous le joug de l'État chinois. En recherchant Wei-Wei, sa fille, Jian va se trouver confronter au réseau de passeurs de clandestins grâce auquel Ding Ming est arrivé en Angleterre. Le jeune homme sera d'ailleurs obligé de coopérer avec le flic, bien malgré lui. Il devra fermer les yeux sur les moyens qu'emploie Jian pour arriver à ses fins. L'opposition entre les deux, le flic autoritaire et revanchard et le jeune paysan subordonné et craintif de mal faire, joue à fond tout au long du bouquin. Entre un flic blasé qui ose tout et un jeune paysan totalement inhibé par son éducation, les principes qu'on lui a inculqués et la peur de nuire.

Un polar extrêmement rapide, malgré un passage central un peu long et lent (une grosse cinquantaine de pages sans doute évitables qui n'apportent pas grand chose) qui fait la part belle à l'action franche et virile, aux coups de feu : ça canarde un peu dans tous les sens. Ça pourrait être un énième polar rapide et violent en plus. Oui, mais. Car il y a un sacré "mais". L'auteur, qui a vécu en Chine longtemps ne se contente pas d'une action pure et dure. Il raconte le sordide des passages de clandestins et de leurs vies une fois arrivés en Europe : le travail pas payé, exténuant pour les hommes, les bars à hôtesses -je reste pudique, c'est pour ne pas dire "bar à putes"- pour les femmes, la misère pour eux, la menace sur leurs familles restées au pays, et l'obligation de rembourser les passeurs de sommes astronomiques avant d'acquérir la liberté. Il dit aussi les conditions de vie en Chine qui incitent les jeunes à vouloir quitter le pays pour trouver un eldorado lointain : "Et s'ils travaillaient dur, ils pourraient se faire jusqu'à une livre de l'heure. Ding Ming fut très content. C'était l'équivalent de quatorze yens et demi, autrement dit une très grosse somme, et on pouvait les gagner rien qu'en creusant dans la boue.  [...] Si on lui permettait de travailler dix ou douze heures par jour et sept jours par semaine, comme il l'espérait, il ne se ferait pas moins de quatre-vingts livres par semaine, soit plus d'un millier de yens. Quatre mille yens par mois ! C'était à peine croyable ! Dans son village, là-bas, il n'y avait qu'un patron ou un officier pour gagner autant !" (p.123/124) (Une erreur de traduction ? Je croyais que la monnaie chinoise était le yuan et non pas le yen ?)

En outre, on a le droit aux doutes, aux questionnements de Jian, homme qui vieillit et qui se rend compte qu'il n'a pas vraiment réussi sa vie : sa femme est morte dans un accident de voiture alors qu'il conduisait ivre, sa fille le fuit et vice-versa. Même ses convictions politiques en prennent un coup :

"Il avait aimé et détesté et idolâtré Mao, sans réserve. Il y avait eu des chants et de la passion, et le sentiment d'avoir un but dans l'existence. Puis, les temps avaient changé, et on lui avait montré que les lumières vers lesquelles Il lui avait appris dès l'enfance à diriger sa vie ne menaient nulle part. Les luttes passées s'étaient révélées une monstrueuse perte de temps. Mao, son idole, un vieux chnoque et un tricheur. Bref, on ne l'y reprendrait pas. Il ne croyait plus en rien -il ne fallait compter que sur la chance ou sur l'argent, et mieux valait avoir l'un et l'autre." (p.45)

Voilà donc pour ce polar sociétal, qui décrit les désillusions des uns et des autres, les espoirs des plus jeunes en une vie meilleure et un vieux flic blasé que seul le sauvetage de sa fille en danger maintient en vie et dans l'action.

Très bon roman policer qui sait allier avec finesse les plus intimes des émotions et des questions à une violence très présente. Beau travail !

Lu sur Babelio.

Voir les commentaires

Tahoe l'enlèvement

Publié le par Yv

Tahoe l'enlèvement, Todd Borg, MA Éditions, 2012

Owen McKenna est un ancien flic devenu détective privé. Il vit au bord du lac Tahoe entre le Nevada et la Californie. Un jour, il est expressément demandé à bord d'un bateau détourné, par le "pirate" lui-même qui vient de faire passer un homme par dessus bord et qui tient un otage en respect menaçant de lui faire subir le même sort. En montant sur le pont du navire, Owen McKenna s'aperçoit que l'otage est Street, sa petite amie. Le ravisseur lui demande d'arrêter un certain Watson, coupable selon lui du meurtre de Grace Sun, trois ans auparavant, une enquête que McKenna n'avait jamais réussi à mener à bout. 

Étrange atmosphère qui se dégage de ce thriller : un coin de nature paisible, un détective qui vit peinard dans son chalet près du lac, et cette histoire de détournement de bateau. A partir de ce moment, tout part en vrille : McKenna se pose beaucoup de questions et veut absolument faire la lumière sur cette vieille histoire de meurtre. Évidemment, l'arrestation de Watson ne clôt pas le roman, rebondissements il y a. Le détective va devoir faire face à un gang de néo-nazis particulièrement désagréables pour ne pas dire antipathiques voire carrément à vomir. Mais, McKenna a des ressources, de l'aide d'anciens collègues, de Street et surtout de Spot, son chien, un superbe Danois qui obéit quasiment au doigt et à l’œil. Un duo improbable quoique pas forcément original : ce n'est pas le premier enquêteur qui officie avec un chien dressé. Spot a cependant, outre ses qualités et ses mensurations tenant à l'écart quelques importuns, un apport comique au récit. Grâce à lui, McKenna s'essaie à l'humour à froid, à l'ironie ou à l'humour décalé  : le chapitre pendant lequel il fabrique un pain en répondant au téléphone sous les yeux goguenards et étonnés de son chien, est drôle. Il est assez difficile ici de le reproduire entièrement, en voici donc un extrait situé au début : Owen expose à Street son envie de faire du pain pour un repas entre eux deux : 

"- Et je me rappelle cette tentative de faire des cookies il y a un an.

Elle fit un petit bruit bref, comme un début de rire. Rien de solide, mais c'était une musique enchanteresse après la sombre douleur d'avoir été prise en otage.

- Eh, j'avais éteint les flammes tout seul comme un grand, dis-je." (p.91)

Même si l'humour n'est pas le critère principal de ce polar, il n'en est pas totalement absent. Ni même la qualité d'écriture, plutôt bonne, voire très bonne, ce qui est une excellente surprise, car parfois les thrillers en manquent un peu. Attention, ce n'est pas non plus du Proust, mais bon, Proust n'est pas réputé pour ses intrigues policières : chacun ses qualités ! Le fait est que ce livre se lit très agréablement et je me suis surpris à le lire lentement -le rythme sans doute imposé par la nature omniprésente- pour en profiter un maximum, la grosse première partie au moins. La fin est comme souvent dans ce style de livres, enlevée et beaucoup plus rapide et le dénouement de l'enquête pas forcément inédit est assez intéressant et retors pour tenir le lecteur en éveil jusqu'aux dernières lignes. 

Pour finir de vous tenter, voici les premières lignes du premier chapitre, pas forcément très représentatives du reste, mais qui personnellement m'ont tout de suite donné envie de poursuivre ma lecture :

"Une sonnerie stridente. Une sensation humide et froide sur ma joue. Dans mon œil. Aïe. Une autre sonnerie. Façon désagréable de s'éveiller d'une sieste dans le rocking-chair.

La truffe de Spot. Insistance. La truffe d'un danois dans l’œil, c'est comme un morceau de beurre froid. Je le repoussai, m'essuyai l’œil d'un revers de manche. Une autre sonnerie. Je louchai. Quelque chose étincelait dans le brouillard de ma vision. La plaque d'identification à l'oreille de Spot, qui reflétait la lumière entrant par la fenêtre. Je regardai l'horloge : 14h47. Autre sonnerie. Je me levai en clignant de l’œil. Mes paupières étaient engluées par le fluide provenant de la truffe du chien. Cinquième sonnerie. Je passai dans mon coin cuisine et décrochai le téléphone. Celui qui appelait avait raccroché. Je n'entendis que la tonalité." (p.13)

Merci Pauline, de chez Gilles Paris.

Voir les commentaires

<< < 1 2