Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Maus

Publié le par Yv

Maus, Art Spiegelman, Flammarion, 1987/1992

Maus est une bande dessinée ou un roman graphique comme on dit maintenant qui raconte la vie du père d'Art Spielgelman. Né en 1906 en Pologne, Vladek fait un beau mariage avec une jeune femme riche, Anja. Très vite intégré dans l'entreprise de sa belle famille, Vladek prospère. Mais un jour, les nazis envahissent la Pologne et l'histoire de la Shoah commence.

Ce livre est donc la vie de Vladek, racontée par son fils. Les deux hommes se rencontrent régulièrement et malgré sa réticence, Vladek narre sa vie dans la Pologne de ces années-là : les ghettos, les confiscations, les camps de concentration. La débrouille pour tenter de survivre au jour le jour. Le livre fait des allers-retours entre les années 80 et les années 30/40. Ce qui est frappant c'est que Vladek devenu vieux est insupportable : radin, avare, coléreux et de mauvaise foi, la femme qui partage sa vie, Mala, (Anja est morte en 1968) n'en peut plus. Même son fils ne peut pas vivre avec lui plus de deux-trois jours et encore c'est prises de bec sur engueulades. Art Spiegelman n'enjolive pas son père, c'est aussi ce qui le rend plus humain et plus réaliste. Sa survie des camps et des horreurs subies n'explique pas tout : il a un caractère de chien, il est raciste et vieux jeu.

Mais ce qui fait le cœur du livre, c'est bien sûr le récit des années 30/40.  Que dire de plus que ce qui a déjà été dit, écrit, filmé ? Avec une économie de moyens : dessins et textes simples, l'auteur montre l'horreur, l'indicible, la cruauté absolue ; je ne sais même pas quels mots utiliser qui pourrait décrire cela.

"Et ceux qui finissaient dans les chambres à gaz avant d'être jetés dans les fossés, c'étaient eux qui avaient de la chance. Les autres, dans les fossés, ils devaient sauter quand ils étaient encore vivants. Les prisonniers qui travaillaient là, sur les vivants et les morts, ils versaient de l'essence. La graisse des corps brûlés, ils la recueillaient, et la versaient à nouveau pour que tout le monde brûle bien." (p.232)

Les Polonais juifs sont représentés par des souris, les non-juifs par des cochons, les Allemands sont des chats, les Américains des chiens et les rares Français par des grenouilles, bien entendu. Le symbole déjà dans le choix des représentations !

Art Spiegelman n'est pas toujours convaincu du bien fondé de son livre : la somme de travail qu'il représente, les relations conflictuelles avec son père le font douter. Il met dans la bouche de son psy ses doutes :

"La vie est toujours du côté de la vie, et d'une certaine manière, on en veut aux victimes. Mais ce ne sont pas les MEILLEURS qui ont survécu, ni qui sont morts? C'était le HASARD ! [...] Je ne parle pas du VOTRE, mais combien de livres ont déjà été écrits sur l'Holocauste. A quoi bon ? Les gens n'ont pas changé... Peut-être leur faut-il un nouvel holocauste, plus important." (p.205)

Entre la solution finale, les grandes théories nazies, et les petites trahisons des uns ou des autres les dénonciations pour gagner un peu d'argent, de la nourriture ou un ou deux jours de survie en plus, Art Spiegelman montre tout.

Prix Pulitzer en 1992, cet ouvrage est à conseiller et même à recommander. Notamment pour ceux qui n'aiment pas lire, mais qui ne dédaignent pas ouvrir une bande dessinée : un fabuleux moyen de ne pas oublier.

Beaucoup d'autres avis sur ce livre très lu et largement commenté chez Babelio.

Merci les enfants : cadeau de fête des pères !

Voir les commentaires

Kiki de Montparnasse

Publié le par Yv

Kiki de Montparnasse, Catel et Boquet, Casterman écritures, 2007

La vie d'une véritable icône du Montparnasse des années 20, élue reine de ce quartier oh combien artistique à l'époque. Cette BD d'un peu plus de 300 pages revient donc sur le parcours d'Alice Prin, qui deviendra le modèle le plus côté pour sculpteurs et peintres sous le nom de Kiki. Née en 1901, Alice est élevée par sa grand mère, à la campagne. A douze ans, sa mère linotypiste à Paris la reprend chez elle pour lui apprendre un métier. C'est là qu'Alice fait la rencontre d'un sculpteur qui lui demande de poser pour lui. La suite n'est pas facile, car vivre de ce métier est difficile. Mais Alice est positive, elle est jolie, a bon caractère et tombe facilement amoureuse de ceux qui la peignent. Elle rencontrera et deviendra amie avec Soutine, Modigliani, Utrillo, et surtout Foujita et Man Ray avec lequel elle vivra pendant 7 ans et qui lui inspirera ses plus belles photos, les plus célèbres, dont celle archi-connue qui inspire la couverture du livre.

Conçue comme une biographie chronologique s'attardant évidemment sur les années 20, l'âge d'or de Kiki, cette bande dessinée est d'une lecture à la fois intéressante et instructive. Souvent les livres -enfin ceux que j'ai lus, notamment la trilogie de Dan Franck- parlent de cette époque globalement ne se posant sur aucune des personnalité, ou alors sur les plus marquantes, Picasso, Modigliani, ... Là, le propos est centré sur Kiki, personnage haut en couleur qui a  posé, chanté dans des clubs et des cabarets -des chansons osées : son tour de chant commençait quasi invariablement par Les filles de Camaret. Elle a peint également. Ses toiles ont d'ailleurs remporté un succès certain. Ce qui fait également la différence de ce livre, c'est que Kiki est une femme dans un monde essentiellement masculin; Kiki est la pionnière de la femme libérée, émancipée, choisissant son style de vie, s'affichant ouvertement amoureuse de nombreux hommes, parfois plusieurs en même temps. Une femme pour qui la nudité n'est pas un problème, fort heureusement puisqu'elle a inspiré aux artistes de l'époque leurs plus belles œuvres.

Elle rencontre tout ce que Montparnasse compte d'artistes plus largement que les peintres. Par exemple des écrivains, Desnos, Cocteau, Tzara, Breton et tous ceux qui composent le mouvement Dada et composeront celui des surréalistes. Elle a aussi joué dans des films, ceux très avant-gardistes de Man Ray notamment. Elle écrira aussi, ses mémoires, interdites aux États-Unis, pays qui ne lui réussit décidément pas puisqu'avant son livre, elle avait fait une tentative de cinéma avec Cecil Blount DeMille, avortée.

Très belle mise en page, dessins noirs et blanc à la fois simples et travaillés qui semblent au plus près du physique des personnages. Le scénario est linéaire, très aisé à suivre, les personnages sont tous attachants, particulièrement Kiki qui ne s'embarrasse d'aucun principe, aime, jouit de la vie comme bon lui semble. Elle est d'une nature positive, optimiste, malgré un début de vie pas très facile.

A noter à la fin de la bande dessinée, une biographie d'Alice Prin et des notices biographiques de tous les intervenants, bien faites, succinctes, juste pour se remémorer un peu le nom des illustres artistes que Kiki a côtoyés.

D'autres lecteurs : Alain, Papillon, Canel.

Voir les commentaires

Conchito

Publié le par Yv

Conchito, Pascal Juan, Ed. Presque lune, 2010

Patrick est un jeune homme qui ne trouve pas de travail. Pas d'ambition ni de volonté particulière, il crée sa propre activité : faire le ménage nu. Il devient, dans le travail, Conchito. Mais, Conchito phagocyte Patrick, et celui-ci file un mauvais coton. Plus son entreprise se développe, plus Patrick doit faire face à une "régression pénienne" (p.162). En d'autres mots, "son sexe rétrécit, aspiré de l'intérieur" (4ème de couverture).

Sur une idée de départ originale, un homme qui décide de se lancer dans le ménage nu, Pascal Juan écrit un livre non dénué de longueurs -si je puis m'exprimer ainsi eu égard aux malheureux déboires de Conchito-, mais doté de belles qualités -bon, c'est pareil, évitons toute allusion.

Les longueurs sont au milieu du bouquin où l'on sent que Patrick/Conchito tourne un peu en rond et que le livre n'avance plus. Mésaventures et malheurs s'amoncellent sans que l'on ait vraiment d'empathie pour lui. Mais la fin redonne un peu de couleurs au personnage et d'intérêt à la lecture.

Les belles qualités dont je parlais se révèlent dans la description de la descente de Patrick : sa dépression vient lentement mais sûrement et il touche le fond assez vite, toujours lucide, du moins le croit-il. C'est un homme qui a toujours tout raté et qui continue à rater admirablement ce qu'il tente et à ne pas tenter ce qu'il est sûr de rater.

Mais ce que je retiens surtout ce sont les qualités de l'écriture de Pascal Juan. Pas de fioriture, pas de tentative de "faire du style". Les phrases sont simples, directes, franches et pleines d'humour, d'ironie, de références à des maximes célèbres, à des slogans publicitaires (peut-être même en ai-je raté quelques unes).

"Le café du rendez-vous n'est pas de ceux que je fréquente habituellement. Je me suis rendu compte de ce décalage au bout d'un moment, en laissant traîner une oreille inoccupée sur la banquette d'à côté où un trio de types, vêtus comme une vieille tante à moi qui faisait du veuvage une occupation à plein temps, avait choisi le néo-existentialisme pour thema du jour. Pas inintéressant, même si j'ai eu un peu de mal avec les références citées, les miennes ne dépassant guère celles généralement demandées par les quizz télévisés." (p.83)

Au risque de rouvrir un débat -jamais clos d'ailleurs, conséquemment toujours ouvert, donc je fais une faute en disant "rouvrir", car peut-on rouvrir quelque chose qui n'est pas fermé ? Je vous laisse à vos réflexions, et hop, j'en profite pour revenir dans mon propos, ni vu ni connu, bien embrouillés que je vous ai laissés- ce livre est sans doute  destiné à un lectorat masculin. Tout tourne autour du sexe et particulièrement autour de celui qui rétrécit. Ça me rappelle l'histoire de José Artur entendue sur la radio cette semaine :

" Un petit garçon qui s'ausculte précautionneusement les bourses demande à sa maman :

- Dis maman, c'est là mon cerveau ?

- Pas encore, répond sa maman !"

Là, c'est un peu pareil, Patrick a placé dans son instrument tout son avenir, et lorsque celui-ci flanche, Patrick ne peut plus raisonner, penser, réfléchir : il sombre, diminue à ses propres yeux, comme son pénis.

Néanmoins malgré quelques plaisanteries ou tournures de phrases très ciblées, la lecture n'est point du tout à réserver à un public averti. Je ne sais pas si mesdames, vous vous retrouverez dans ce roman, mais je suis curieux de connaître vos réactions : achetez-le pour vos maris et lisez-le -comme ils font avec vos magazines féminins-, juste pour voir et pour combler ma curiosité.

Il m'a été permis de lire Conchito grâce aux Agents Littéraires qui sévissent sur la Toile depuis quelques mois, leur but étant de faire connaître des petits éditeurs, des auto-éditeurs, enfin des gens peu exposés, mais qui pourtant mériteraient de l'être ! Merci Vincent.

Voir les commentaires

Où on va, papa ?

Publié le par Yv

Où on va, papa ?, Jean-Louis Fournier, Stock, 2008

Jean-Louis Fournier est célèbre pour avoir longtemps collaboré avec Pierre Desproges. Il a aussi beaucoup écrit, des livres drôles et impertinents souvent. Il est aussi à l'origine du personnage de La Noiraude. Il a écrit un très joli livre sur son père, médecin de campagne, porté dur la bouteille : Il a jamais tué personne, mon papa dont je vous recommande la lecture. Dans Où on va, papa, il parle de ses deux garçons, handicapés mentaux avec qui la vie n'a pas été toujours très facile. Longtemps cachés, il a décidé d'en parler, mais à sa manière, en riant d'eux, grâce à eux et si possible avec eux.

Jean-Louis Fournier est toujours entre l'humour, la dérision et la larme qui coule :

"Matthieu n'arrive pas à se redresser. Il manque de tonus musculaire, il est mou comme une poupée de chiffon. Comment va-t-il évoluer ? Comment sera-t-il quand il sera grand ? On va devoir lui mettre un tuteur ?

J'ai pensé qu'il pourrait être garagiste. Mais garagiste allongé. Ceux qui réparent le dessous des voitures dans les garages où il n'y a pas de pont élévateur." (p.23)

Jean-Louis Fournier rigole de tout, mais pas avec n'importe qui comme le disait justement Pierre Desproges : pour rire avec lui, il faut accepter qu'il puisse dire des choses fortes et dérangeantes. Le nombre de fois où il a pensé à l'infanticide, à la disparition inopinée et peut-être pas si inespérée de ses deux fils, à un accident fortuit mais libérateur, au suicide. Qui pourrait lui reprocher d'écrire aujourd'hui ses pensées les plus viles, celles qui passent par la tête ne serait-ce que le temps d'une petite seconde -ou d'une grande d'ailleurs ? J-L Fournier revendique le droit de rire des ses garçons :

"Comme Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez, je me moque moi-même de mes enfants. C'est mon privilège de père." (p.40)

Évidemment, la frontière entre le rire et la vulgarité est ténue, mais le père ne la franchit jamais. On ressent à le lire toute la tendresse qu'il a pour Thomas et Matthieu, malgré l'énervement et l'éloignement qui furent les siens parfois. Malgré la déception de ne pouvoir partager avec eux son amour de la musique, de la littérature, de la peinture, ... Malgré la déception de ne partager que les "Où on va, papa ?" de Thomas dès qu'il monte en voiture et qu'il répète inlassablement tout au long des trajets. Des déceptions qui l'ont probablement conduit à voir ses enfants pire qu'ils n'étaient en réalité, si j'en juge par les réactions de la maman de Thomas et Matthieu. Sur son site -le premier qui s'appelait Où on va, maman, fut interdit par l'auteur et l'éditeur-, elle explique son point de vue, montre des photos des enfants et explique que pour elle, le livre de son ex-mari est un roman qui prend pour base la caricature des deux garçons. Je ne reviendrai pas sur la querelle entre les deux parents, mais confronter les deux avis est intéressant. On sent dans les propos de la maman, un réel et fort attachement pour ses enfants différents, alors que le papa avoue avoir eu beaucoup de mal avec le lien filial. Pour plus de détails, c'est ici.

Souvent très drôles, les anecdotes sont entrecoupées de passages nettement plus tristes et de réflexions plus intimes:

"Il ne faut pas croire que la mort d'un enfant handicapé est moins triste.  C'est aussi triste que la mort d'un enfant normal.

Elle est terrible la mort de celui qui n'a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur terre seulement pour souffrir.

De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d'un sourire" (p.90)

En fait, J-L Fournier parle de ses garçons anormaux -il n'aime pas le mot handicapé- de la même manière qu'il parlerait d'eux s'ils étaient normaux. C'est en cela que son livre est sain, profond et malgré une présentation de Thomas et de Matthieu, malgré une introspection personnelle, malgré un humour ravageur et totalement politiquement incorrect, absolument pudique.

Livre qui a reçu le prix Fémina 2008 et qui a été beaucoup lu et chroniqué sur les blogs : plusieurs critiques chez Babelio.

Voir les commentaires

<< < 1 2