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L'effacement du monde

Publié le par Yv

L'effacement du monde, Eric Pessan, Ed. La différence, 2001

Un homme, marié, père d'une petite Lalie, père au foyer s'aperçoit un jour qu'il oublie des mots. Et puis, de jour en jour, il perd l'usage du français, parlé, lu et écrit. Il s'exprime dans ce qu'il appelle une nouvelle langue qui n'est qu'un charabia compréhensible de lui seul. Mais il est persuadé, au départ que ce sont les autres qui ont changé et pas lui. Dès lors, comment vivre avec les autres ? S'il réussit à cacher sa différence à sa femme, universitaire très absente du foyer pour cause de travail, aux autres personnes avec qui il n'a que peu de relations, sa fille Lalie le regarde bizarrement et ne le comprend plus.

Roman fin et très maîtrisé qui pose des questions importantes, essentielles : qu'est-ce-que le langage, la communication ? Peut-on vivre sans communiquer ? Quelle importance ont les mots ?  Le langage est-il inné ? Tout le monde y a-t-il accès ?

"L'oubli de la genèse est-il inscrit dans le processus d'apprentissage de la lecture et de l'écriture ? Est-il une condition au bon fonctionnement de nos capacités ?

Cette journée passée à espionner les plus petits m'avait fait constater que j'apprenais des choses, que je ressentais comme naturels des processus qui ne l'étaient pas. Jamais je n'avais touché de manière aussi tangible la réalité de l'école." (p.59/60)

Dans ce roman superbement écrit, Eric Pessan choisit et pèse chaque mot, chaque phrase. Il maîtrise totalement sa langue et il ressort de ce livre une atmosphère pesante, lourde. Ce n'est tout de même pas rien de perdre le moyen de communiquer avec autrui.

Une intrigue et un roman qui tiennent la route ; une idée originale, un brin "fantastique" ou flirtant avec une irréalité qui pourrait être réelle, c'est vraiment un livre à découvrir. L'auteur que j'ai découvert il y a quelques années avec d'abord le très bon roman : Les géocroiseurs (lu avant la naissance de ce blog, et donc non chroniqué) et avec L'écorce et la chair, livre original et particulièrement soigné, est un auteur que vous ne pouvez plus rater maintenant que je vous en ai parlé.

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Un rude hiver

Publié le par Yv

Un rude hiver, Raymond Queneau, L'imaginaire Gallimard, 1939 (renouvelé en 1966)

"Il ne se passe apparemment pas beaucoup de choses dans Un rude hiver : un réactionnaire plein de rancœurs va déjeuner chez son frère, se promène au bord de la mer avec une Anglaise en uniforme, et emmène au cinéma deux enfants qu'il a rencontrés dans un tramway.

La première fois, je me suis émerveillé de cette histoire tranquille en me demandant comment elle faisait pour m'émouvoir.

Depuis, à chaque relecture, je découvre un détail auquel je n'avais pas prêté attention [...]

Aucune de ces découvertes n'est vraiment originale [...] mais, de surprise en surprise, de découverte en découverte, Un rude hiver, pour moi, s'achemine doucement vers l'inépuisable." Georges Perec (4ème de couverture)

Pas facile de dire quoi que ce soit après ce compliment de Perec à Queneau, mais comme on ne joue pas vraiment dans la même cour, je ne prends aucun risque à passer derrière eux.

C'est un roman dont l'action est située au début de la première guerre mondiale, dans ces moments où les Français croient encore à une victoire facile et à une guerre à l'issue -favorable, il va sans dire- rapide. Le héros, Lehameau, blessé dès le tout début du conflit traîne sa carcasse et son air blasé dans les rues du Havre. Il côtoie la bonne société havraise, son frère notamment, mais ne rechigne pas à se promener dans les quartiers pauvres, ce qui n'est pas bien vu de sa famille et de ses relations. Il converse dans le salon de son frère et de sa belle-sœur, mais ses opinions, qu'il exprime au grand dam des invités, vont à l'encontre de celles des autres convives.

Comme le dit Georges Perec, il ne se passe pas grand chose. Entendez par là, qu'il n'y a ni meurtre, ni hémoglobine, ni action tumultueuse. Juste le plaisir de lire du Queneau. C'est tout ! Chez  cet écrivain, tous les mots sont pensés, pesés et placés là où il faut. Même ceux dont on peut  se demander pourquoi il les a mis là ou pourquoi il les orthographie ainsi. Un rude hiver n'est pas un roman drôle comme certains de Raymond Queneau, même si certains passages valent de larges sourires. C'est un beau roman, mélancolique. Assez différent de ce que je connaissais déjà de cet auteur, mais je crois que ça, je le dis à chaque fois que je lis du Queneau, ce qui prouve qu'outre son immense talent d'écrivain, il savait se renouveler. Queneau est pour moi l'un des plus grands écrivains français. Celui, qui après des classiques du 19ème siècle, m'a donné le goût de la lecture, je dirais même le goût des mots. J'adore sa façon de franciser les mots étrangers -anglais pour la plupart-, de triturer la langue, de tordre, de transformer mots et phrases, de jouer des répétitions. Dès que je trouve un bouquin signé Queneau que je n'ai pas lu, je ne peux pas résister, je plonge, et à chaque fois avec bonheur. Et souvent, je pousse même la "fan-attitude" jusqu'à relire mes acquisitions queneauïennes. Plusieurs fois pour certaines !

Assez peu connu et quasiment pas chroniqué sur les blogs, je ne peux que vous conseiller Un rude hiver, vous passerez un merveilleux moment.

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