On ne se baigne pas dans la Loire
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On ne se baigne pas dans la Loire, Guillaume Nail, Denoël, 2023
Un groupe d'adolescents, en colo, en Anjou, pas loin de la Loire. Cela fait deux mois qu'ils sont là, et, les deux derniers jours, fin août, chacun refait le séjour dans sa tête. Il y a Pierre le bouc-émissaire, Farid le seul à lui témoigner de l'amitié, Gus le boute-en-train, toujours à dire ou faire une connerie pour faire marrer et se montrer, Tof un peu jaloux du succès de son ami... Puis Benoît directeur du centre et Pauline l'animatrice à peine plus âgée que les jeunes qu'ils accompagnent. Et survient cette phrase de l'un d'eux, Gus, sûrement "A la flotte !" Mais "On ne se baigne pas dans la Loire, pourtant. Tout le monde le sait. Mais là, c'est pas la Loire. Pas vraiment, du moins. Quelques flaques sans trop de fond, que de longues langues de sables séparent sagement du fleuve." (p.29)
Très beau texte de Guillaume Nail dont c'est le premier roman pour le public adulte, même s'il met en scène des adolescents et de jeunes adultes. Il parvient avec tact et finesse à se couler dans les peaux des jeunes gens aux caractères si différents, entre Gus l'extraverti et Pierre le timide mal dans sa peau et son corps trop gros. C'est très bien fait parce que tout paraît joué dès le départ, mais à petites touches, doucement, l'auteur fait naître une autre réalité, la vraie si je puis me permettre ce pléonasme. La vie est souvent autre chose que ce que l'on veut bien montrer. La Loire elle-même, ce fleuve qui semble lui-même si lent, si indolent mais dont il faut se méfier. Elle rythme et sculpte les paysages, même dans les villes où elle ne se laisse pas domestiquer. Tous les Ligériens vous le diront.
Court chapitres ou les narrateurs alternent et se révèlent, gambergent. Certains veulent oublier ce qui les attend à leur retour, ces deux mois furent une pause, une bouffée d'air, alors il faut en profiter jusqu'au bout. Et la tension monte parce qu'on sent le proche drame, mais que l'auteur tarde à le narrer, il raconte le contexte, les petits incidents, les tracas... et nous-mêmes, lecteurs, de ne point aller trop vite pour ressentir encore plus vivement cette tension.
J'aime beaucoup l'écriture de Guillaume Nail, moderne, rapide, phrases courtes, nominales parfois, lorsqu'il dialogue ou décrit un jeune. De belles phrases plus longues pour des descriptions de lieux ou de situations, avec des mots rares, comme celles qui ouvrent le roman :
"On le sait pourtant.
Héritée de nos mères, de nos pères, c'est la rumeur qui coule dans nos gènes et infuse, sur les pentes des coteaux comme aux plaines du Maine, des berges de l'Authlon en corniche angevine, alluvions et roseaux, bras morts et plein lit, c'est cette rengaine avide, bruit lancinant qui attend, au crépuscule là-bas, vers l'estuaire, un monde." (p.9)