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Dans les eaux du lac interdit

Publié le par Yv

Dans les eaux du lac interdit, Hamid Ismaïlov, Denoël, 2015 (traduit par Héloïse Esquié).. 

A bord d'un train qui parcourt les steppes kazakhes un voyageur voit et entend un tout jeune violoniste qui joue excellemment du Brahms tout en vendant des boulettes de lait caillé. Intrigué par sa virtuosité, le voyageur interpelle le garçon qui répond assez violemment. En effet, Yerzhan, c'est son nom, en a assez qu'on le prenne pour un garçon de dix/douze ans dont il a l'apparence : il en a vingt-sept. Le voyageur l'invite à monter dans son compartiment qu'il occupe seul avec un vieil homme endormi et à lui raconter son histoire.

En préambule au roman, il est une note ainsi rédigée : "Entre 1949 et 1989, au Polygone nucléaire de Semi-palantisk, il fut réalisé un total de 468 explosions nucléaires, dont 125 explosions atmosphériques et 343 explosions souterraines. La puissance totale des appareils nucléaires testés dans l'atmosphère et sous la terre au Polygone (dans une région peuplée) dépassait par un facteur de 2 500 la puissance de la bombe lâchée sur Hiroshima par les Américains en 1945."

Et l'on se doute alors que Yerzhan a dû grandir dans cette zone et qu'il est atteint d'un mal l'empêchant de grandir. Un Oskar Matzerath (le personnage de Günter Grass dans Le tambour) qui ne déciderait pas de garder sa taille d'enfant mais y serait contraint. Yerzhan raconte son enfance au voyageur. Une enfance dans un hameau de deux maisons, Kara-Shagan, au bord de la voie ferrée. Deux familles liées par l'amitié entre les grands-mères y vivent. Lui est le fils sans père de Kanishat devenue muette depuis son troisième mois de grossesse. Dans la maison d'en face vit un couple avec une petite fille d'un an de moins que Yerzhan, Aisulu qui deviendra très vite sa confidente puis son amoureuse avant, croient-ils, de se marier dès qu'ils en auront l'âge. Yerzhan développe très vite des dons hors norme pour l'apprentissage des langues et surtout pour la musique, la dombra d'abord, instrument local, puis le violon qu'il apprendra grâce à un Bulgare qui vit un peu plus loin et qui dit-on a été enseignant de musique.

Ce roman est bizarrement construit. En trois parties inégales. La première sur l'enfance de Yerzhan, heureuse, calme entrecoupée parfois de secousses qu'ils ne savent pas être des essais nucléaires, bien sûr les populations habitant dans la zone n'ont pas été mises au courant par les autorités ; les Russes ont un retard considérable à rattraper sur les Américains déjà détenteurs de la bombe et comme l'époque est à la guerre froide, il est mieux de s'équiper pour éviter la troisième guerre mondiale, selon les discours officiels de tous les pays. Cette première partie est lente et parfois longue, elle est centrée sur le jeune garçon et l'on ne voit que peu son originalité de vivre dans cet endroit perdu en plein cœur d'une zone d'essais nucléaires.

Arrive alors une deuxième partie dans laquelle les effets de l'exposition se font sentir sur Yerzhan qui sent bien qu'il est différent. Il sent qu'Aisulu lui échappe, le dépasse en taille. Cette partie est plus intéressante et enfin je sens que le livre va prendre son envol -on en est à peu près à la moitié- mais mes intuitions sont mauvaises puisqu'elle ne fait que 15 pages (contre 60 pour la première).

Il y a donc une troisième et dernière partie qui retombe un peu dans les travers de la première pour s'emballer sur la fin et dévoiler quelques rebondissements qui, s'ils ne sont pas imprévisibles sont les bienvenus pour finir sur une note positive.

Mitigé je suis donc sur ce roman dont j'attendais beaucoup plus, il y manque la fameuse âme slave. L'écriture que je qualifierais de journalistique n'aide pas à la compassion, à l'empathie, c'est sans doute pour cela que j'aurais aimé plus de descriptions des lieux, du contexte "explosions nucléaires". Le souffle des steppes -fut-il celui d'une explosion- est un peu court et ne parvient pas jusqu'à l'extrême ouest de l'Europe -bon, à peine, je le concède, il y a encore quelques petits kilomètres de chez moi à la côté atlantique-, il a dû, c'est bien connu, comme le nuage de Tchernobyl, s'arrêter à la frontière. Dommage... enfin, dommage pour le souffle des steppes, Tchernobyl, on s'en serait bien passé

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C
Je viens de le lire et mon avis rejoint le tien. Pas moyen de s'accrocher à cette histoire qui pourtant était prometteuse! Le style est sec et aride.
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Y
Oui, c'est une déception, ce bouquin promettait et puis, ça n'accroche pas. Dommage
E
Dommage, il avait l'air intéressant, mais je passe mon tour à la lecture de ton avis.
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Y
Tu peux, mais peut-être t'aurait-il intéressé ?
N
Oui, dommage, le pitch était tentant...
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Y
C'est la raison pour laquelle je l'ai ouvert
Z
Dommage dommage en effet car j'aime beaucoup la couverture et le sujet me tentait bien. Bon, j'attends encore d'autres avis mais vu la déferlante qui va arriver la semaine prochaine...
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Y
J'ai vu un autre avis comme le mien et un beaucoup plus enthousiaste (remarque moins, ce n'est pas possible)
J
Je l'ai lu récemment et comme toi, je suis un peu restée en marge. J'ai apprécié l'histoire, l'humour, le dépaysement mais il me manque une dimension. Peut-être la construction ou ce détournement pour ne pas "accuser" le nucléaire.
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Y
L'accusation n'est pas franche, mais entre les lignes, on ressent quand même la désapprobation des essais, mais il manque quelque chose c'est évident
S
Commentaire fort utile : j'aime beaucoup la couverture.
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Y
oui la couverture est très réussie, sobre et explicite
G
Sujet terrible... dommage pour l'écriture qui ne donne pas vraiment envie de s'y plonger. Le journalisme et la littérature, ce n'est pas tout à fait la même chose. Je viens de lire un polar où l'on sent l'efficacité "journalistique" de l'auteur, et c'est aussi au détriment de la psychologie, de l'empathie et de la profondeur des personnages.
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Y
Le style journalistique c'est bien parfois, mais pas tout le temps. Là, il y a des longueurs et des manques
K
Il me semblait prometteur aussi... je verrai, peut-être à la bibliothèque.
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Y
oui ce n'est que mon impression, il peut plaire à d'autres
K
Vraiment dommage en effet. L'auteur est de quelle nationalité?
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Y
il est ouzbek, né au Kirghizistan
H
Mince il semblait prometteur pourtant !
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Y
oui comme ça, sur le papier, il semblait, c'est pour cela même que je l'ai pris
S
Le sujet est très intéressant à traiter en roman : comment ces populations ont vécu et vivent encore ces essais, dans leur vie quotidienne, leur corps, ça peut être très fort...
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Y
Il y une ambiance dans ce village isolé, loin de tout et on sent que ce roman aurait vraiment pu être passionnant, mais il frôle très souvent l'ennui et les longueurs