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Failles

Publié le par Yv

Failles, Yanick Lahens, Ed. Sabine Wespieser, 2010

"Le 12 janvier 2010 à 16h53 minutes, dans un crépuscule qui cherchait déjà ses couleurs de fin et de commencement, Port-au-Prince a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu'ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s'écrouler cheveux hirsutes, yeux révulsés, jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang. Livrée, déshabillée, nue, Port-au-Prince n'était pourtant point obscène. Ce qui le fut, c'est sa mise à nu forcée. Ce qui fut obscène et le demeure, c'est le scandale de sa pauvreté." (p.12/13)

Yanick Lahens est une écrivain et elle vit à Port-au-Prince. Suite au séisme, elle décide de rester, de porter secours selon ses moyens à qui le demande et surtout de continuer à écrire, au jour le jour, sur les Haïtiens, sur Haïti. Elle ne fait l'impasse sur rien et se pose même les questions les plus importantes : "pourquoi nous les Haïtiens ? Encore nous, toujours nous ? Comme si nous étions au monde pour mesurer les limites humaines, celles face à la pauvreté, face à la souffrance, et tenir par une extraordinaire capacité à résister et à retourner les épreuves en énergie vitale, en créativité lumineuse. (p.68) Sans rien éluder, elle scrute les différences entre les Haïtiens, partagés en deux, les Créoles, "ceux qui ont" et les Bossales, "ceux qui n'ont pas". Pourquoi, ce petit pays, la première colonie à avoir été indépendante ne réussit pas à vivre, tout simplement, mais use toute son énergie à survivre ? Yanick Lahens passe en revue, la politique, l'économie, les associations qui aident les sinistrés, mais qui les rendent également dépendants de leur aide : "Autant dire que nous sommes devenus à la longue des camés, dépendants d'une cocaïne, d'un crack qui s'appelle l'aide internationale. La reconstruction, la vraie, supposerait un accompagnement de qualité venu d'ailleurs (car nous avons besoin d'aide) mais précisément pour une cure de désintoxication qui passerait par les affres du sevrage avant le long chemin vers la dignité. On en est encore loin" (p.150)

Pas de misérabilisme, juste un constat : aidons les Haïtiens à vivre, à s'en sortir eux-mêmes ! Loin des discours habituels, Yanick Lahens insuffle une bonne dose d'optimisme et "une formidable force de vie." (4ème de couverture)

Pour conclure, une dernière citation  de l'auteure -j'en ai déjà fait beaucoup, mais j'aurais presque pu citer tout le texte ! -qui résume la démarche d'écriture de ce livre :  "Le 12 janvier, le temps s'est figé, chaque seconde lestée. Nous étions sans passé, sans avenir. Dans l'unique sidération de l'instant.  Plombés dans un présent étroit et noir.

Toutes ces pages en deux mois et demi pour dire. Les mots sont sortis comme des éclats d'un corps. Certains projectiles m'avaient atteinte bien avant le 12 janvier et s'étaient ce jour-là seulement enfoncés plus profondément dans ma chair. J'en ai presque perdu le souffle et le sommeil, mais j'ai avancé. Je devais le faire. En dépit de mes propres failles Au bout du compte, me suis-je mise en danger ou en représentation, ou les deux ? Je ne sais pas." (p.143)

PS : Yanick Lahens est venue près de chez moi, à Nantes, pour poser la première pierre du futur mémorial de la traite des noirs et de l'esclavage. "Dans une ville par laquelle a transité [...] la moitié des bateaux négriers en route vers l'Amérique. Douze années de lutte de la municipalité pour remplir ce devoir de mémoire. Chapeau ! Pour moi, grande émotion sur le quai de la Fosse. Très grande émotion." (p.144)

 

dialogues croisés

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M
<br /> Je viens de terminer la lecture de ce constat prenant et bouleversant...<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Il y a aussi de Rodney Saint-Eloi, Haiti Kenbe la ! qui retrace le séisme vécu de l'intérieur et ses conséquences sur les habitants.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle (pré-sélection), je dois dire que ce livre m'a vraiment touchée, je l'ai trouvé vraiment bien écrit, pudique et très instructif.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Je partage asolument tout ce que tu en dis.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Ce livre pourrait m'intéresser, d'autant plus qu'il ferait suite au roman "L'assassinat d'Yvon Toussaint" du journaliste romancier belge Yvon Toussaint. Un roman très intéressant sur Haïti sous<br /> forme d'enquête d'un assassinat politique et un auteur qui avait très bien senti toute la complexité de cette île et annonciateur du drame à venir. J'espère trouver le temps d'en faire un billet un<br /> de ces jours...<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> J'irai voir ton billet sur ce livre qui, dit comme cela, m'intéresse bien.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Pas un peu tôt pour écrire un livre sur ce drame ?<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Ca fait déjà un an et Yanick Lahens, comme d'autres écrivains haïtiens (Rodney Saint Eloi, par exemple) étaient présents sur l'île lors du séisme. Leurs écrits témoignent de ce drame, mais je ne<br /> pense pas que ce soit trop tôt : c'est de la littérature à chaud.<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Moi futile avec Wespieser ^_^? Oui, les mêmes couvertures... Pour la chick lit, je ne dis pas, ça flashe... Et ça trompe...<br /> Tiens cet aprem je suis revenue de la bibli avec un roman de chez S Wespieser, rien que pour la couv, l'éditeur, et l'auteur (irlandaise)<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Bon d'accord, je retire.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Merci c'est sympa, mais ma bibliothèque l'a, ce sera plus simple.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> eh bien bonne lecture<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> J'ai assisté à un débat avec elle au festival America, elle est passionnante, je compte bien la lire.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Je peux te l'envoyer si tu veux.<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> et ensuite le sujet, quand même! merci d'en avoir parlé<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Ah, tout de même, ton dernier commentaire me faisait croire à une futilité de ta part, qui ne se serais laissée attirer que par une couverture. Tu fais bien de rectifier, j'aurais pu me faire une<br /> mauvaise image de la lectrice Keisha ;)<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Encore un bon choix de l'éditeur... C'est la couverture qui m'attire (et pourtant, quelle sobriété) et la réputation de l'éditeur.<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Il me semble pourtant que toutes les couvertures chez cette éditrice sont les mêmes, sauf titre et nom d'auteur, bien sûr ?<br /> <br /> <br /> <br />