Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'intranquille

Publié le par Yv

L'intranquille. Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou, Gérard Garouste (Avec Judith Perrignon), L'iconoclaste, 2009 (Livre de poche, 2011).....

Gérard Garouste est peintre, né en 1946, d'une mère effacée et d'un père marchand de meubles, antisémite, qui hait l'humanité et qui n'a pas hésité a récupérer les biens des juifs pendant la guerre. Sa méthode d'éducation est basée sur la peur. Même pour son fils devenu jeune homme qui a mis du temps à échapper à son emprise. A peine libéré, à vingt-huit ans, Gérard Garouste fait une crise de délire et est hospitalisé. D'autres crises et d'autres internements suivront. Gérard est bi-polaire. La rencontre avec Élisabeth, juive, la naissance de ses garçons, l'amitié indéfectible de quelques hommes rencontrés en pension, la recherche d'une spiritualité, la peinture à travers laquelle il est enfin reconnu, rien n'empêchera ces crises de délire.

C'est Aifelle qui m'a suggéré cette lecture dans un commentaire sur mon article concernant le livre de l'un des amis poches de Gérard Garouste, l'un des fameux pensionnaires, Jean-Michel Ribes, Mille et un morceaux. Merci beaucoup, car c'est une lecture forte, que j'ai alourdie de notes, de phrases ou paragraphes soulignés. Le tout début par exemple : "Quand Isabelle, la dame qui s'occupait de lui, m'a appelé en pleurs, je suis parti vers Bourg-la-Reine et la maison de meulière, 15 avenue de Bellevue. Il était dans son lit, la tête posée sur les mains, il semblait dormir tranquillement, en accord avec lui-même. Mais il était mort et j'étais soulagé." (p.11) Plus loin, Gérard Garouste parle un peu de ses ascendants et des secrets de famille qui plombent les générations suivantes. Son père, né en 1919 héritier des magasins de meubles Garouste et fils qui profitera de la guerre : "Il n'avait pas pu faire héros. Alors il avait fait salaud. Son éducation de bon catholique l'y préparait. Il appartenait à un monde d'illusions et de certitudes, où les Juifs avaient une sale réputation." (p.25)

Gérard Garouste revient sur son enfance, la peur qu'inspirait son père, sa haine des juifs et sa misanthropie de manière générale. Son sauvetage, il le doit à plusieurs causes : la peinture, l'amour d'Élisabeth qui deviendra sa femme et les livres. Pas n'importe lesquels : La divine comédie de Dante, puis plus tard le Talmud et la Torah. Il apprend l'hébreu, discute avec des rabbins : "Et sans le voir je dérivais doucement vers ce monde juif obscur et malin, dont on m'avait appris à me méfier." (p.75) Beaucoup de pages sur l'antisémitisme de son père et sur son apprentissage de ce que sont les juifs jusqu'à en presque épouser la religion, comme pour contrebalancer la haine du père.

Le livre est aussi une belle réflexion sur la peinture, la création, l'argent qui entoure l'art et sur Picasso qui "a cassé le jouet... Il avait cannibalisé, brisé la peinture, ses modèles, ses paysages, et construit une œuvre unique... Il a rendu classique tout ce qui viendrait après lui. Il est la peinture et son aboutissement. Que faire après lui ? Et Marcel Duchamp qui venait de mourir ? On était en 1968, et nul n'a voulu voir, alors, que la révolution de l'art était terminée, Duchamp en était le point final. Il avait renoncé à la peinture, décrété l'objet comme œuvre et l'artiste celui qui regarde. Il avait joué avec notre mémoire, notre culture, notre rétine et avait poussé si loin le défi, que tout avait été fait et défait." (p.61/62)

Et puis la folie, les crises de délire fortes, la maladie qui effraie son entourage, ses fils particulièrement : "Selon les époques, les mots me concernant ont changé : on m'a dit maniaco-dépressif ou bipolaire... Un siècle plus tôt, on aurait juste dit fou. Je veux bien." (p.88) Les séjours à Sainte-Anne, la camisole chimique, les retours et les rechutes...

Une histoire poignante, sincère et directe, pas de détours, de paraphrases pour expliquer ceci ou cela, le récit est brut, franc, ce qui explique aussi sa relative et bienvenue brièveté (156 pages en poche). Une vie pas commune, pas particulièrement joyeuse, mais pas écrite pour faire pleurer ou pour s'apitoyer, sans doute pour donner quelques explications aux toiles du peintre, car toute sa vie est dans sa peinture ainsi qu'il l'écrit.

Un texte dense et bouleversant des titres et sous-titre jusqu'à la fin, sans doute comme les toiles du peintre que j'avoue ne pas bien connaître, seulement par mes recherches sur Internet.

Commenter cet article
E
Je l'avais repéré chez Aifelle aussi, mais je ne l'ai toujours pas lu.
Répondre
Y
Un petit bouquin vite acheté et assez vite lu car très court
J
J'avais eu la chance de lire ce livre avec le jury Elle il y a quelques années et j'ai beaucoup appris. J' ai dans mon entourage une personne concernée par cette " maladie", une personne qui a aussi un talent artistique. Ce livre m'a personnellement touchée. C'est bien que tu en reparles maintenant.
Répondre
Y
Je connais aussi la maladie et des gens qui en souffrent. J'ai découvert le livre et le peintre très récemment
H
Là où je travaille je suis entourée des oeuvres de Garouste, le hall a été "mis en valeur" par lui. De fait tu penses bien que cela fait deux ans que je me dis qu'il faut que je lise ce livre... ça viendra...
Répondre
Y
La chance, c'est assez difficile de voir des œuvres de Garouste, même sur Internet...
A
Un beau conseil de lecture.
Répondre
Y
oui, pas reposante, mais excellente
V
ça a tout pour me plaire et ça a l'air sacrément original !
Répondre
Y
C'est beau et fort. Marquant également
G
Je crois que je l'avais vu chez Aifelle aussi. Une lecture marquante!
Répondre
Y
Exact, comme ce que j'ai vu de la peinture de Gérard Garouste
E
Comme toi, c'est cette lecture conseillée par un de mes collègues qui m'a fait connaître l’œuvre de Garouste (j'ai regretté d'ailleurs que le récit ne soit pas illustré de toiles)... et par la même occasion la plume de Judith Perrignon que j'ai de nouveau goûtée avec plaisir dans "C'était mon frère" (sur la relation Van Gogh/Théo) et dans un roman "Les faibles et les forts" (que je te conseille chaudement, cal va de soi).
Répondre
Y
Bonjour, de Judith Perrignon, j'ai lu Les faibles et les forts, que j'ai beaucoup beaucoup -le doublon, c'est voulu- aimé. Tu as raison sur le point des illustrations, une version avec des toiles reproduites serait une excellente idée.<br /> A bientôt
A
Je l'ai encore entendu récemment à la radio et il me touche à chaque fois. C'est en effet une lecture forte, que l'on n'oublie pas.
Répondre
Y
Merci pour ton conseil